Expulsions

Centre de rétention administrative : bientôt un tribunal derrière les barbelés ?

Expulsions

par Julien Bonnet

Centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, ultime étape avant l’expulsion. Ce lieu d’enfermement en Seine-et-Marne, avec grillages, barbelés, caméras de surveillance, accueillera bientôt des salles d’audience. Par souci « d’efficacité » sans doute, le juge des libertés et de la détention statuera du sort des étrangers en situation irrégulière directement dans les locaux de fortune de ce tribunal délocalisé. Un régime d’exception dénoncé par les avocats et militants des droits de l’homme.

Photo : Centre de rétention de Vincennes - © David Delaporte/Cimade

C’est une toute petite bourgade de Seine-et-Marne (900 habitants), voisine de l’aéroport Charles-de-Gaulle, à 30 km à l’ouest de Meaux. Le Mesnil-Amelot est pourtant en passe de devenir le plus gros des 24 centres de rétention administrative (CRA) français. Il est composé aujourd’hui d’une unité capable d’accueillir 140 étrangers en situation irrégulière. Et deux nouveaux centres devraient ouvrir avant l’été, ce qui porterait sa capacité d’accueil à plus de 300 personnes. Dont un espace est réservé aux familles et à leurs enfants. Une véritable usine à enfermer avant d’expulser.

Dernier fait d’armes : d’ici à l’automne, le CRA du Mesnil-Amelot devrait ouvrir deux salles d’audience, à une centaine de mètres seulement des centres de rétention. Les salles sont destinées à accueillir le juge des libertés et de la détention (JLD) chargé d’assurer la protection des droits du migrant, et éventuellement de mettre un terme à sa rétention. Ce magistrat joue un rôle important pour protéger les droits des étrangers incarcérés. Jusqu’ici, il les recevait au tribunal de grande instance (TGI) de Meaux. Désormais, il devra se déplacer dans deux minuscules salles (une quinzaine de places chacune), au plus près des centres de rétention, dans un environnement clairement sous la coupe du ministère de l’Intérieur.

Un régime d’exception

« C’est une désanctuarisation de la justice », dénonce le député écologiste Noël Mamère. « C’est extrêmement choquant », s’indigne de son côté Mylène Stambouli, présidente de l’association des Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE). « Ces salles sont très éloignées du Palais de Justice situé en centre-ville, et sont particulièrement difficiles d’accès. On est dans la mise en place d’un régime d’exception. » Difficile d’imaginer une justice indépendante dans ce lieu sinistre et isolé, à côté des murs, des grillages et des caméras de vidéosurveillance !

Photo : © Jean-Claude Saget / RESF

Pour témoigner leur opposition à cette délocalisation, un collectif d’élus, de magistrats et d’associations — réunis en « Observatoire citoyen de la rétention 77 » — s’est rendu au Mesnil-Amelot et à Meaux le 18 mai dernier. Ensemble, ils ont visité le nouveau « village judiciaire » et manifesté devant le tribunal de grande instance.

Cette situation au CRA du Mesnil-Amelot n’est malheureusement pas une première : les centres du Canet (au nord de Marseille) et de Cornebarrieu (près de Toulouse) avaient connu la triste expérience de salles d’audience à l’intérieur même des centres de rétention. En avril 2008, la Cour de Cassation a rendu trois arrêts qui ont fait date, autorisant le juge des libertés et de la détention à statuer à proximité immédiate des centres, mais pas à l’intérieur de ces derniers. Des audiences « délocalisées », à proximité immédiate des CRA, ont eu lieu depuis au Canet et à Coquelles (près de Calais). Bientôt des tribunaux dans toutes les prisons ?

Julien Bonnet

A lire : le rapport 2009 de la Cimade sur les centres et locaux de rétention administrative

Le communique de RESF « Pas de justice derrière les barbelés ! »

Photos : © Jean-Claude Saget / RESF