Capitalisme

Crise financière : « Ce sont les salariés qui vont porter le chapeau »

Capitalisme

par Ivan du Roy

Pour qui n’est pas trader, investisseur, actionnaire ou banquier, l’éclatement de la bulle financière semble virtuel. La crise aura pourtant des conséquences concrètes sur l’économie réelle. Explications de Michel Vigier*, ancien gérant de portefeuilles éthiques.

L’épargne des particuliers est-elle menacée ?

L’épargnant moyen n’a pas ou peu d’actions et ses avoirs bancaires sont couverts par les assurances. Le seul secteur sur lequel il va souffrir, c’est l’immobilier, surtout en Espagne, en Grande-Bretagne et en Irlande où les stocks d’invendus deviennent monstrueux. En France, les gens sont moins surendettés. Aux Etats-Unis, les classes populaires ont vu leur rêve brisé : celui d’avoir leur maison. Mais ce ne sont pas eux qui payeront la différence entre le prix d’achat et le prix de revente. Quand l’emprunt ne peut plus être remboursé, ce sont les banques qui deviennent propriétaires. Si la banque revend la maison à 50% de sa valeur initiale, comme actuellement, les pertes sont pour elle. Jusqu’à présent il n’y avait que les pauvres qui souffraient, maintenant les riches aussi. C’est une crise de riches.

En France, les ménages vont-ils rencontrer davantage de difficultés pour accéder à la propriété ?

Le particulier n’a aucun intérêt à acheter dans l’immobilier aujourd’hui. Les crises de l’immobilier sont très longues. Il y a une bulle immobilière phénoménale aux Etats-Unis et en Europe. Le temps qu’elle se dégonfle, cela va prendre des mois voire des années. Lors de la précédente crise immobilière du début des années 90, les prix ont vraiment baissé trois ou quatre ans plus tard. Le fait que les gens soient privés d’emprunts et donc d’accès à la propriété par les banques va, paradoxalement, les protéger. Ce que ne disent pas les promoteurs, c’est qu’ils n’ont plus un visiteur depuis des mois.

La crise financière va-t-elle influer sur le prix des matières premières ?

La bulle des matières premières, c’est autre chose. Elle se dégonfle aussi vite qu’elle ne gonfle. Les ventes d’essence se sont effondrées de 12% cet été. Les gens ont ainsi réagi sainement face à l’envolée au prix du baril. Forcément, cela a des répercussions macro-économiques. Cela dit, je ne crois pas que la bulle des matières premières se dégonflera longtemps, à cause de leur raréfaction.

Les banques centrales ou fédérales ont injecté des centaines de milliards dans le système financier. Qui va payer au final ?

Les banques centrales donnent plus de liquidités aux marchés car plus personne ne veut prêter de l’argent. Elles ouvrent donc des guichets où banques et assurances qui ont besoin d’argent peuvent se refinancer. Le plan Paulson aux Etats-Unis consiste à ouvrir un guichet supplémentaire pour la titrisation de crédits, tous ces produits financiers « pourris » que plus personne n’arrive à négocier. C’est un guichet qui n’est pas gratuit où les crédits sont revendus en enchères inversées, au plus bas prix que propose le marché. Banques et assurances vont donc vendre à perte, mais cela leur permet de libérer du capital pour financer de nouveaux projets. Ce n’est pas un plan qui vise à socialiser les pertes. La hausse des valeurs bancaires en bourse ne va donc pas durer. Les banques auraient mieux fait de financer des investissement productifs et non spéculatifs.

Cette baisse des capacités d’investissement va-t-elle avoir des conséquences sur les entreprises, et donc les salariés ?

Cela va fragiliser les entreprises, déjà mises à mal par les bonus réclamés par les LBO [fond d’investissement spéculatif, ndlr]. Leurs profits sont déjà en train de baisser. Les investissements productifs vont souffrir. Ce sont les salariés qui vont porter le chapeau, comme le montre l’exemple de Renault, en situation de sous-investissement, et qui vient d’annoncer 6 000 suppressions de postes à cause des erreurs du PDG Carlos Ghosn. Seul le secteur de l’énergie échappe à la crise.

Quelles seront les conséquences sur les pays en développement ?

Certains pays émergents connaissent depuis deux ou trois ans une situation de surendettement : l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Indonésie, le Kazakhstan, les Philippines, la Russie ou l’Ukraine, et dans une moindre mesure l’Inde. Ils vont donc rencontrer un problème de refinancement de leurs dettes. Le Brésil n’est pas touché grâce à ses récentes découvertes pétrolières. La Chine n’a investi aux Etats-Unis que 2% de ses capacités d’investissement.

Recueilli par Ivan du Roy

* Co-auteur du livre "Le capitalisme déboussolé
Après Enron et Vivendi : soixante réformes pour un nouveau gouvernement d’entreprise", Editions La Découverte (2003).