Agriculture

Cantines bio : bientôt la pénurie ?

Agriculture

par Nolwenn Weiler

Le bio se multiplie dans les cantines scolaires. Mais en raison d’une production agricole trop faible, jusqu’à 60% des produits bio consommés sont importés de l’étranger. Une aberration pour le premier pays agricole européen. Mais pas surprenante au regard du désengagement persistant de l’État envers l’agriculture biologique. Les cantines bio connaîtront-elles bientôt la pénurie ? Des solutions pourtant existent. Enquête.

Photo : campagne WWF

78% des villes moyennes (dont la population est comprise entre 20.000 et 100.000 habitants) utilisent des produits bio dans les menus de leurs cantines scolaires. C’est une étude récente de la Fédération des maires des villes moyennes (FMVM) qui le révèle. Les aliments issus d’une agriculture sans produits chimiques répondent à plusieurs préoccupations. À la volonté d’échapper à des produits dangereux en matière de santé publique (vache folle, OGM, pesticides...) s’ajoute le besoin d’accorder les menus au rythme des saisons.

L’introduction de produits bio dans la restauration collective (cantines scolaires et restaurants d’entreprise) est tellement politiquement correcte qu’elle fait partie des recommandations du Grenelle, qui a promis 20% de bio dans ladite restauration en 2012. « Le bio n’est pas une lubie d’écolo mais une solution d’avenir ! », scande le WWF France pour sa campagne « Oui au bio dans ma cantine ! », lancée en décembre dernier.

Repenser l’alimentation

Les problèmes de surcoût souvent imputés aux produits bios sont contournés par diverses stratégies des élus et gestionnaires en charge de l’organisation des repas. Ainsi, à l’Île-Saint-Denis, une commune au nord-est de Paris, 21% de bio garnissent les assiettes des cantines scolaires, avec un budget constant depuis 2001. Utilisation de produits de saison (jusqu’à trois fois moins chers), travail avec un fournisseur spécialisé en bio, réflexion sur la composition des repas sont les principales mesures utilisées par la commune.

« Nous nous sommes aperçus qu’une grande partie des repas servis alimentaient... les poubelles ! explique Stéphane Banchereau, responsable de la restauration municipale. Nous avons proposé de nouvelles pratiques. Par exemple, les enfants arrivent à table et trouvent d’abord leur entrée. Le pain n’arrive qu’ensuite. Ils en mangent moins et terminent plus facilement leur plat de résistance. » Les grammages quotidien en viande ont aussi été revus à la baisse et les protéines végétales (légumes secs, soja, etc.) revalorisées, après concertation avec une diététicienne nutritionniste.

Le Code des marchés publics n’est pas un frein !

Selon Annie Lahmer, directrice de cabinet de Jacques Boutault, maire Vert du deuxième arrondissement de Paris, « la part des denrées alimentaires, dans un repas, ne représente que 1,97 euros sur un total de 5,97 euros. Même si cette part augmente de 50%, ce n’est pas si important sur le budget global. » Dans cet arrondissement parisien, 80% des assiettes servies à la cantine sont composées de produits bio. Julien Labriet, chargé de mission restauration collective et circuits courts à la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) confirme que « l’achat matière ne concerne que 50% maximum du coût du repas ».

Pour lui, le Code des marchés publics, qui régit tous les achats des collectivités locales, y compris les aliments pour les cantines, est une contrainte mais pas un frein. « Ce qui est compliqué, c’est d’introduire des produits locaux. Or la proximité, fortement recommandée, est une exigence pour beaucoup d’élus. Avec des juristes nous avons répertorié une série d’outils qui permettent de travailler sur les circuits courts tout en respectant le Code des marchés publics. » Citons, par exemple la notion de commande publique responsable et/ou durable, la formulation d’exigences sur la fraîcheur des produits, ou sur les modes et délais de livraison, etc. Pour de nombreuses communes, le recours à ces outils assure de ne pas aller vers un contentieux.

Structurer la filière, pour connecter l’offre et la demande

La véritable entrave à l’augmentation de la part bio dans les assiettes des petits Français semble bien être l’incapacité des filières de l’agriculture bio de répondre à la demande. C’est que notre joli pays est historiquement la terre de l’agriculture productiviste. Arrosée de subventions et de pesticides, bénie par la Politique Agricole commune (PAC) et la plupart des ministres de l’Agriculture, cette agriculture dite conventionnelle a toujours regardé sa petite sœur bio avec mépris. Et a largement freiné son développement. La France, premier pays agricole européen arrive en 22e position (sur les 27 pays de l’UE) pour la part de bio cultivée dans sa Surface agricole utile (SAU). Elle s’élève à 2,46%, contre 8% en Italie ou 13,5% en Autriche. Loin, très loin des 6% promis pour 2012 par le Grenelle. Qui voyait en grand et promettait même 20% de la SAU en bio pour 2020 !

Peu nombreuses mais en augmentation, les exploitations bio sont très éparpillées sur le territoire. L’organisation de la collecte et de la transformation implique d’importantes contraintes logistiques et des coûts peu compétitifs. Des difficultés que n’ont pas nos voisins belges, hollandais ou allemands qui ont mis en place depuis longtemps des bassins de production. La demande croissante, notamment en restauration collective, force la filière à se structurer. Et des résultats très concrets montrent que cela peut avancer. « La ville de Brest, qui sert 6.000 repas par jour, a, la première année de son passage en bio, importé 70% des carottes, décrit Julien Labriet, de la FNAB. Un travail avec la maison de la bio, qui représente les producteurs, a permis de passer en quelques années à des carottes 100% finistériennes. »

12 fois plus de subventions pour les agrocarburants !

Ceci dit, pour le moment, la France importe 40% des produits biologiques consommés sur le territoire. Allant même jusqu’à 60% si l’on ne considère que les fruits et légumes ! « La provenance des produits est un critère de choix pour nous, annonce Stéphane Banchereau, de l’Île-Saint-Denis. Nous refusons les poires bios d’Argentine que nous propose notre grossiste et pour les kiwis, nous choisissons ceux qui viennent du Bordelais, plutôt que ceux qui viennent d’Italie. Le travail sur la saisonnalité des produits permet de limiter les importations. Mais nos moyens s’arrêtent là ! 50% de nos denrées sont importées. » Et cette proportion pourrait s’aggraver en cas d’augmentation des volumes. « Nous sommes très attentifs à la provenance des aliments, estime de son côté Annie Lahmer. Et le prestataire qui compose les repas que nous achetons le sait. Mais nous ne pouvons pas faire grand chose, car la faiblesse de l’offre nous oblige à composer avec des produits importés. En créant un marché de consommation de produits bios, nous favorisons aussi les installations et/ou les conversions, puisque nous créons des débouchés sûrs pour les producteurs. »

L’augmentation du nombre d’actifs agricoles semble bien être LA solution. Curieusement, la majorité UMP semble plus que frileuse sur ce chapitre. Aurait-elle peur de froisser son partenaire privilégié, la FNSEA, qui n’a jamais porté l’agriculture bio en haute estime ? La loi de Finances 2011 divise ainsi par deux le montant du crédit d’impôt destiné aux agriculteurs qui se convertissent à l’agriculture biologique. Ces 16 millions d’euros faisaient pourtant pâle figure, au regard des 10 milliards donnés par la PAC chaque année à l’agriculture conventionnelle. Les parlementaires Europe Écologie – les Verts rappellent que ce montant représentait 12 fois moins que le budget prévu pour les exonérations fiscales au profit de la filière des agrocarburants, subventionnée à hauteur de 196 millions d’euros ! Rouler ou manger, il va falloir choisir !

Collectivités locales : un levier pour orienter des terres vers le bio

Pour Anny Poursinoff, député Europe Écologie des Yvelines, l’abandon de ce crédit d’impôt est d’autant plus dommageable que « les aides financières pour l’agriculture bio sont largement compensées par la meilleure qualité de l’eau, des sols, de la santé des consommateurs et agriculteurs. » Les collectivités locales ont, selon elle, un double levier à leur disposition : « celui qui consiste à augmenter la demande pour créer un marché. Et le second, qui consiste à créer des réserves foncières destinées à l’agriculture bio. »

Mis en place pour certains voici plus de 20 ans, les établissements publics fonciers (EPF) peuvent être saisis par les collectivités locales. « La protection des terres agricoles fait partie des missions des EPF, » explique Daniel Cueff, conseiller régional de Bretagne et président de l’établissement public foncier en passe d’être institué dans la région. Les collectivités soucieuses de donner priorité à l’installation de producteurs et de favoriser la densification urbaine plutôt que l’étalement peuvent s’appuyer sur l’EPF pour créer une réserve foncière. « En Bretagne, nous proposons ensuite à la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) d’installer un agriculteur sur les bases d’un cahier des charges agronomiques très proche de celui de la bio. »

La baisse des subventions de l’État freine le développement du bio

Les communes ont aussi la possibilité d’exonérer les exploitations biologiques de taxes foncières, et les régions, celle de prendre en charge une partie des coûts annuels de certification AB. Il existe des outils d’incitation financière à disposition des collectivités pour aider les agriculteurs présents sur le territoire à passer au bio. Mais ils ne suffiront pas ! La technicité nécessaire au passage en bio ne s’acquiert pas du jour au lendemain. Les agriculteurs qui font ce choix ont besoin d’être accompagnés.

Les moyens humains dont disposent des structures comme les Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (Civam) risquent malheureusement de se réduire, baisse des subventions d’État oblige. « Nous sommes de plus en plus sollicités pour relayer auprès de nouveaux intéressés les expériences menées en matière d’agriculture biologique. Et pour accompagner ensuite ces personnes vers de nouvelles façons de travailler », explique Véronique Rehboltz, directrice de la fédération nationale des Civam. Son rôle consiste à impulser et encadrer des groupements d’agriculteurs : une pratique intéressante, pour « voir ce que l’autre met en place pour ne rien rater au niveau de l’évolution de son système, rassurer et être rassuré. Bref, créer de l’intelligence collective à partir d’expériences individuelles. »

Mais les freins au changement, chez les agriculteurs, sont nombreux. Selon elle, « une exploitation qui marche, c’est rassurant. Pour ce qui est du système herbager (élevage de bovins en extensif, ndlr) on a pas mal de références, depuis 20 ans. Des choses très concrètes qui montrent que c’est viable. Et pourtant, il n’y a aucun changement de paradigme fondamental. » Les pouvoirs politiques ont donc, chacun à leur niveau, fort à faire pour augmenter la part bio de la SAU. Et pour mettre en place de véritables incitations financières qui pourraient changer le visage agricole de la France. « Cela prendra du temps », rappelle Véronique Rehboz. Passer d’un mode d’achat et d’alimentation où on achète ce qu’on veut quand on veut à une réflexion commune entre producteurs et consommateurs, pensée sur le long terme, au rythme des saisons, ne se fait pas du jour au lendemain. Et pour le rab à la cantine bio, on attendra.

Nolwenn Weiler