Hôpitaux publics

Aux urgences, des milliers de patients passent la nuit sur des brancards

Hôpitaux publics

par Nolwenn Weiler

Chaque matin, les médecins du service des urgences de Troyes distribuent une note surréaliste à leurs patients. « Madame, monsieur ; vous venez de passer une nuit sur un brancard au sein du service des urgences. Sachez que nous déplorons cette situation (…). L’hôpital manque de lits. Les médecins étant de moins en moins nombreux, il devient difficile d’assurer l’ensemble des missions [1]. » Il devient courant dans les services d’urgence en France que des dizaines de patients attendent ainsi leur tour sur des brancards pendant toute une nuit. « Dans la nuit du 13 au 14 mars, d’après le décompte quotidien relevé par le Samu des urgences de France, ils étaient plus de 200, relève Jean Vignes, secrétaire fédéral du syndicat Sud Santé. Entre janvier et mars, on arrive à environ 15 000 personnes ! » Ce mois-ci, deux patientes sont décédées d’arrêts cardiaques alors qu’elles attendaient leur tour sur des brancards, dans les couloirs des urgences des hôpitaux de Rennes et Reims.

Grèves dures et droit d’alerte

« Notre système d’accueil n’est pas dimensionné pour faire face, déplore Yves Morice, représentant Sud santé sociaux au CHU de Rennes. Nous avons tellement supprimé de lits que l’on n’a plus de solutions d’accueil pour désengorger les urgences. Résultat ? Les gens restent là, au risque de passer 24 heures ou même 48 heures sur des brancards dans les couloirs. » Dans certains services d’urgences, il n’y a parfois même plus de places dans les couloirs pour poser les brancards... Depuis des années à Rennes, et partout en France, les soignants alertent sur cette situation, avec des grèves parfois très longues ou des droits d’alerte déposés en comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) [2].

Mais les fermetures de lits et les suppressions de postes se multiplient, au fil des sévères coupes budgétaires qui sont imposées à l’hôpital public, alors même que les besoins de la population s’accentuent. La population vieillissante augmente, la précarité également – ce qui conduit de plus en plus de gens vers les urgences puisqu’il ne faut pas y avancer d’argent – et le nombre de médecins « de ville » ne cesse de diminuer. Le plan triennal (2015-2017) de l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine, a imposé des économies de trois milliards d’euros en trois ans. L’actuel gouvernement Macron persiste : 1, 6 milliards d’euros d’économies ont été réclamées pour 2018.

Vers le surendettement ?

Les conditions d’accueil aux urgences ne risquent pas de s’améliorer, pas plus que les conditions de travail, d’autant que les hôpitaux s’enfoncent dans une situation d’endettement inquiétante. « La situation financière des hôpitaux s’est très fortement dégradée en 2017, comme en témoignent les premières estimations remontées aux Agences régionales de santé (ARS) par les établissements », signale dès le mois de décembre la fédération hospitalière de France. Les hôpitaux devraient connaître un déficit historique de 1,5 milliards d’euros en 2018, soit une multiplication par trois en deux ans. Ce déficit était de 470 millions d’euros en 2016.

« Les établissements de santé vont se trouver pris en otage entre la qualité des soins qu’ils doivent à leurs patients, la préservation des conditions de travail et de l’emploi des équipes hospitalières et l’obligation du retour à l’équilibre des comptes », déplorait Frédéric Valletoux, président de la fédération. Pour faire face, les établissements vont être obligés de recourir aux partenariat public privé et... à l’endettement. Un risque de spirale infernale imposé par une gestion néolibérale des services publics.

Photo : CC Hospital Clinic via flickr.

Notes

[1Voir le site de l’association des médecins urgentistes de France.

[2Ce droit qui appartient à chaque membre du CHSCT doit être déclenché s’il existe un danger grave susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché. Il est censé permettre une modification de la situation qui aboutit à la possibilité d’un danger grave...