Luttes sociales

Au nom du service public postal, la longue grève des facteurs rennais

Luttes sociales

par Nolwenn Weiler

Pour les facteurs de Rennes, c’est la réorganisation de trop. Leur direction veut allonger leurs journées et leur charge de travail, en rognant sur la qualité des services proposés. Pour défendre leur métier et les droits des usagers, certains d’entre eux ont entamé une grève le 9 janvier dernier. Depuis bientôt quatre mois, ils enchaînent manifestations, piquets de grève, débrayages et autres actions. L’importante caisse de grève qu’ils ont pris soin de constituer leur permet de tenir le coup dans la durée, de même que de nombreux soutiens citoyens. Reportage.

Ce 2 mai, les postiers de Rennes entrent dans leur 113e jour de grève continue. C’est le bureau de Crimée, situé dans le sud de l’agglomération, qui a lancé le mouvement, le 9 janvier dernier, rapidement rejoint par des collègues d’autres bureaux de poste de la ville et du département. Raison de leur colère : le projet de réorganisation que La Poste veut leur imposer. « Nous ne sommes pas en grève, comme on l’entend parfois, parce que nous refusons une pause déjeuner, insiste Arnaud, porte-parole du collectif des facteurs en lutte. Ce que nous rejetons, c’est l’instauration d’une pause méridienne de 12h à 12h45 qui modifierait radicalement nos conditions de travail et nos rythmes de vie. » Pour le moment, les facteurs démarrent à 7h pour terminer aux alentours de 13h30 une fois la distribution du courrier accomplie.

Changement des rythmes et augmentation des cadences

Avec la réorganisation, plusieurs « prises de service » sont décalées. La première commencerait à 7h20 pour se terminer à 15h05. Une grosse demi-journée de travail, une pause, puis une reprise pour une demi-journée tronquée. Un rythme qu’ils considèrent peu adapté à la réalité des tournées. « Il faudrait qu’on arrête au milieu d’une rue pour revenir la terminer plus tard ? Ça n’a pas de sens », illustre un facteur. « Ils veulent repousser notre début de journée d’une demi-heure pour que l’on soit obligés de prendre une pause. Quand on sera en tournée sous la pluie, par exemple, il faudra rentrer trempé, pour repartir ensuite tout aussi trempé. Ce n’est pas du tout confortable pour nous », renchérit une factrice.

À Janzé, commune située au sud-est de Rennes, la réorganisation est effective depuis le 14 novembre. Élodie, factrice depuis dix ans, commence à 8h15 et termine à 16h15. « Je pensais que ce serait plus confortable pour ma vie de famille, que cela me permettrait de voir ma fille le matin. En fait, je ne peux plus la récupérer le soir après l’école. Cela nous manque à toutes les deux. Et j’ai l’impression de courir tout temps, d’autant que nos tournées ont été rallongées. On ne peut jamais terminer nos tournées. » « On court tout le temps, confirme Madleen, elle aussi factrice à Janzé depuis dix ans. Parfois, ils nous préviennent la veille : "Demain tu commences à telle heure", même s’ils n’ont pas le droit. Je refuse, mais je sais que d’autres acceptent. Comment peut-on s’organiser dans ces conditions ? »

« C’est tout un métier qu’ils veulent nous voler »

« L’impact de ces changements sur la vie personnelle des facteurs est important, constate Stéphane Gefflot, secrétaire du syndicat Sud PTT 35. Nombre de parents ont l’habitude de récupérer leurs enfants à l’école. Faudra-t-il qu’ils paient une garderie, sachant que leur salaire de 1300 euros net ne va pas augmenter ? » Entre la hiérarchie et les facteurs, la confiance est profondément altérée : « Ils nous parlent de 45 minutes de pause, lâche un gréviste. Mais qui nous dit qu’ils ne vont pas l’allonger ensuite, et nous envoyer distribuer le courrier jusqu’à 18h ou 19h ? En fait, ils aimeraient qu’on soit à disposition toute la journée. » « Le soutien des collègues de Janzé, qui sont en pleine réorganisation, a été décisif pour que les facteurs rennais fassent durer leur grève, estime Stéphane Gefflot. Ils leur ont dit : "Vous avez raison de vous battre !". »

Les postiers de Rennes fêtent leur 100e jour de grève, le 18 avril, avec le soutien d’usagers

Autre évolution dont les facteurs ne veulent pas : la « tournée sacoche ». « Actuellement, avant la tournée, on trie notre courrier nous-mêmes, détaille Nicolas. Ce qu’ils veulent, c’est qu’on récupère le courrier déjà trié, par quelqu’un d’autre. Or, chacun trie son courrier différemment : on enlève les plis des personnes qui ont déménagé, on range nos lettres en fonction de l’emplacement des boîtes, et on le fait différemment aussi si l’on est droitier ou gaucher... C’est tout un métier qu’ils veulent nous voler, en fin de compte. » « Ils nous ont proposé 300 ou 400 euros pour faire passer ce changement de rythme, qui change en fait toutes nos vies », s’indigne Christian, en grève depuis le début du mouvement. « Ils les prennent vraiment pour des gueux, appuie Stéphane Gefflot. Mais les grévistes ne sont pas là pour faire l’aumône ! »

Fin programmée de la distribution quotidienne du courrier

Les conséquences seront aussi considérables pour les usagers, affirme le collectif : D’abord, la disparition du lien entre facteurs et population : les postiers n’auront plus de tournée attitrée, ni même le temps nécessaire pour échanger. Ce lien avec les habitants sera remplacé par une relation purement commerciale. Ensuite, la fin programmée de la distribution quotidienne du courrier, et plus globalement une baisse de la qualité générale du service... « Quand on pense qu’ils veulent faire payer les gens pour qu’on s’arrête prendre des nouvelles des personnes âgées... Quelle honte ! Ce sont des choses que nous faisons gratuitement aujourd’hui », s’insurge un facteur (lire notre article : « Veiller sur mes parents » : faire payer la relation humaine rend les facteurs mal à l’aise)

Pour tenir, les facteurs ont mis en place une caisse de grève auto-organisée et très dynamique : « Quand on fait une grève dure, on doit compter sur ses propres moyens, explique Arnaud. Nous n’avons pas attendu que les syndicats activent des caisses. Nous avons organisé des ventes de gâteaux, des concerts de soutien, des collectes lors des manifestations. Ces moments permettent aussi d’échanger avec les usagers, qui semblent bien comprendre le mouvement. »

Grâce aux dons, au moins 50% du salaire maintenu

Depuis bientôt quatre mois, des chèques arrivent de tout l’hexagone, depuis les autres sections syndicales, mais pas seulement. La section Sud PTT 35, qui centralise ces dons, a mis en place un barème d’indemnisation des grévistes indexé sur le nombre de jours de grèves cumulés, qui leur permet de toucher, pour l’instant, de 50 à 70% de leur paie. Un soutien plus que bienvenu, alors que la direction n’a pas concédé le moindre étalement des retenues sur salaire, mettant les feuilles de paie à zéro.

« Une grève fonctionne parce qu’elle relie les gens », poursuit Stéphane Gefflot. Piquets de grève, débrayages dans les autres bureaux du département, blocages de centre de tri, assemblées générales quotidiennes, barbecues et manifs : les facteurs passent beaucoup de temps ensemble et apprennent à se connaître. « On parle du travail entre nous, ce que nous ne faisions pas auparavant. On mutualise nos vécus, nos manières de faire. On fraternise, et c’est bon pour le moral ! », raconte Arnaud. « L’ambiance au boulot n’est pas très bonne, souligne Élodie. On est mieux sur les piquets de grève, où l’on sent de la solidarité. » Il y a aussi des liens avec les cheminots, et avec l’assemblée interprofessionnelle née pendant les mouvements de lutte contre la loi travail du printemps 2016. Un collectif informel d’usagers des services publics apporte souvent son soutien sur les actions menées par les grévistes.

Au tribunal, une victoire pour le droit de grève

Face à eux, la direction de La Poste affiche également une détermination sans failles. Par courriel, l’entreprise affirme à Basta! avoir proposé « de nombreux scénarios différents d’organisation du travail, toujours refusés par les organisations professionnelles ». La direction assure que « le dialogue social se poursuit avec des rencontres ponctuelles entre la direction et les organisations professionnelles ». Elle dément également que des cadres aient été appelés en renfort pour assurer les tournées des facteurs, ce que Sud PTT maintient. « Nous avons intercepté un mail faisant appel à des cadres sur Lille, pour qu’ils viennent faire les tournée à Rennes !, répond Stéphane Gefflot. Des cadres sont venus de toute la Bretagne, parfois pour une seule journée. Et ils sont toujours deux par tournée, ce qui doit coûter une fortune. » La direction minimise également l’impact de la grève, assurant qu’aucun bureau n’a dû être fermé et plus de 80% des tournées sont assurées à Rennes.

En février dernier, La Poste déposait une requête au tribunal, soutenant qu’elle ne pouvait plus assurer sa mission de service public, et demandant des mesures d’interdiction des bureaux aux personnes grévistes. Mais le syndicat Sud PTT, invoquant de son côté le respect du droit de grève, gagnait finalement la partie. La Poste a été condamnée à lui verser 2500 euros. En attendant une négociation victorieuse, et une reprise du travail, les grévistes poursuivent leurs actions. En fin de semaine dernière, ils ont installé un bureau de poste éphémère et rural dans la Zad de Notre-dame-des-Landes. Qu’ils ont ensuite ramené, ce mardi 1er mai, au centre ville de Rennes.

Nolwenn Weiler

Photo de une : CC dadavidov