Guerres

Armes chimiques en Syrie : des entreprises européennes visées par une plainte

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par Rachel Knaebel

Le 16 mai dernier, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a annoncé, suite à une mission d’inspection en Syrie, qu’elle avait constaté que du chlore avait été « vraisemblablement utilisé comme arme chimique le 4 février 2018 » dans la ville syrienne de Saraqib [1]. Contrairement au « Mécanisme d’enquête conjoint » – supprimé fin 2017 suite à un véto de la Russie, après avoir conclu à la responsabilité du régime syrien dans l’attaque au gaz sarin de Khan Cheikhoun le 4 avril 2017 [2] –, l’OIAC n’a pas pour mission d’examiner quel belligérant l’a utilisé. Une enquête de l’OIAC est également en cours concernant l’attaque de Douma le 7 avril dernier, dans le cadre de l’offensive du régime contre la Ghouta orientale, près de Damas.

Dans son rapport sur l’attaque de Saraqib, localité située dans la province d’Idlib, l’organisme a précisé avoir établi « des analyses environnementales démontrant la présence inusuelle de chlore dans l’environnement local » et constaté qu’un « nombre important de patients présentaient peu après l’attaque des symptômes d’irritation des tissus cohérents avec l’exposition au chlore ». Pourtant, en 2014, la même organisation avait annoncé que le stock syrien d’armes chimiques, déclaré un an auparavant par le pouvoir syrien, avait été livré aux forces internationales chargées de le détruire [3].

Comment des armes chimiques peuvent donc encore être utilisées contre les populations en Syrie en 2018 ? Des entreprises européennes en sont-elles en partie responsables ? En principe, depuis l’embargo sur les exportations d’armes vers la Syrie décidé par l’Union européenne en 2013, la livraison de produits chimiques qui pourraient être utilisés pour fabriquer de telles armes doivent être soumis à des autorisations strictes des autorités des pays exportateurs. En principe. Car le 18 avril dernier, la justice belge a lancé une enquête à l’encontre de trois entreprises belges pour avoir exporté vers la Syrie des produits pouvant servir à la fabrication d’armes chimiques, dont du gaz sarin. Ces firmes n’ont pas sollicité les autorisations nécessaires pour exporter après 2014 des dizaines de tonnes d’isopropanol, d’acétone, de méthanol, de dichlorométhane… En Suisse, c’est l’État lui-même qui est montré du doigt pour avoir autorisé en 2014 l’exportation vers la Syrie des tonnes d’isopropanol [4].

Des entreprises européennes pourraient-elles se trouver un jour sur le banc des accusés pour leur part de responsabilité dans des crimes commis à l’arme chimique en Syrie ? Certaines sont déjà mises en cause dans le cas des attaques chimiques perpétrées en 1988 en Irak contre les populations kurdes. Début mai, un cabinet d’avocat états-unien, MM Law, a annoncé avoir déposé une plainte devant le tribunal civil d’Halabja, au Kurdistan irakien, contre des sociétés européennes pour complicité de crimes de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, au nom des victimes du massacre à l’arme chimique qui avait tué des milliers de personnes dans cette même ville d’Halabja en 1988, au Kurdistan irakien [5].

Les entreprises visées par cette plainte sont toutes des entreprises européennes : des PME françaises et allemandes, une entreprise néerlandaise et une luxembourgeoise. Une plainte avait déjà été déposée à Paris en 2013 pour ces faits, par des victimes de cette même attaque d’Halabja. L’instruction est toujours en cours.

Rachel Knaebel