Politique

Après le scrutin européen, ultime alerte pour la gauche française face à la montée des autoritarismes

Politique

par Ivan du Roy

L’extrême droite arrive encore en tête et progresse même en voix suite aux élections européennes du 26 mai. Le parti lepéniste, malgré son hypocrisie sur nombre de questions sociales, semble seul profiter de l’essoufflement de la majorité présidentielle. En face, parmi les listes de gauche qui se présentaient en ordre très dispersé, seuls les écologistes arrivent à sauver les meubles. Que feront-ils cette fois de leur relatif succès électoral ? La gauche, totalement éparpillée, peut-elle se reconstruire avant l’enjeu des élections municipales ?

Dans une gauche française dispersée façon puzzle, ce sont les écologistes (13,5%) qui s’en tirent le moins mal. En attirant notamment les votes des plus jeunes, ceux-là mêmes chez qui la préoccupation climatique est la plus forte, EELV profite du bon bilan de ses eurodéputés et tente de se placer en parti de l’avenir. Les écologistes bénéficient aussi d’une dynamique européenne : ils arrivent en 2e position en Allemagne (20,5%) et leurs bons scores en Europe de l’Ouest leur permettent de gagner une bonne vingtaine de sièges au Parlement européen. Nous sommes cependant loin d’une « vague verte » : avec environ 70 députés, les écologistes européens constitueront a priori la 4e ou 5e force politique à Strasbourg, derrière la droite, les sociaux-démocrates, les libéraux, voire l’extrême-droite. Quelles alliances et quels compromis accepteront-ils de passer pour peser ?

En image : projection de la répartition de sièges au Parlement européen. De gauche à droite : la Gauche unie européenne (dont 6 sièges pour LFI en France), les écologistes (dont 13 sièges pour EELV), les sociaux-démocrates (dont 6 sièges pour PS/Place publique), les libéraux (dont 23 sièges pour LREM, en jaune), la droite (dont 8 sièges pour LR), la droite souverainiste (en bleu marine, pas de Français), le parti du Brexit (députés britanniques), l’extrême droite (dont 23 sièges pour le RN/FN, en noir). Source : Europe Elects

En France, reste à savoir ce que le parti, désormais incarné par Yannick Jadot, fera de sa position de leader à gauche. En 2009, le mouvement écologiste avait réalisé un excellent score aux européennes (16 %), suscitant carriérismes, opportunismes et luttes intestines en son sein, avec nombre de retournements de vestes. Ces dérives, incompatibles avec la volonté affichée de « faire de la politique autrement » et d’incarner l’intérêt des générations futures, ont amorcé sa lente descente aux enfers électorale. Lors des législatives de 2017, EELV était balayée de l’Assemblée nationale. Ses animateurs ont-ils tiré les leçons de la décennie passée, catastrophique pour l’écologie politique ?

Un incohérent émiettement qui vient de se payer cash dans les urnes

En dehors des scrutins présidentiels très personnalisés, La France insoumise (LFI, 6,3%) n’arrive toujours pas à progresser durablement. Si LFI se maintient par rapport aux précédentes élections européennes de 2014 – Le Front de gauche, intégrant le Parti communiste, avait alors également attiré 6,3 % des voix –, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon perd un million de suffrages comparé aux législatives de 2017, alors même que la participation est similaire. En souhaitant faire du scrutin européen un référendum anti-Macron plutôt qu’un enjeu pour l’Europe sociale et écologique de demain, LFI s’est probablement trompée d’élections et de campagne. Ses ambiguïtés sur la question européenne, la personnalité de son leader, considéré par nombre d’électeurs de gauche comme trop « agressif », ne sont sans doute pas pour rien dans la désaffection subie dans les urnes. Ses partenaires au sein des autres grands pays européens s’essoufflent également : Die Linke s’affaisse en Allemagne (5,4 %) ; en Espagne, Podemos poursuit son érosion (11%) ; en Italie la gauche radicale est rayée de la carte.

Que faire des anciens partis qui, au 20e siècle, incarnaient la gauche ? Le Parti socialiste (6,2 %), malgré son « relooking » avec Place publique de Raphaël Glucksmann, continue de perdre des voix comparé aux législatives de 2017. Avec son mouvement Générations (3,3 % des voix), Benoît Hamon semble avoir définitivement échoué à incarner une alternative entre PS et insoumis. Quant au Parti communiste, il paie sa stratégie en solitaire (2,5%). Cet incohérent émiettement vient de se payer cash dans les urnes. Bref, malgré le score honorable d’EELV, la gauche française se porte mal. Et n’a pas profité de l’érosion de la majorité présidentielle. La République en marche a pourtant perdu 1,4 million de voix comparé aux législatives.

Le salut viendra-t-il du mouvement social, en pleine ébullition ?

Le salut viendra-t-il du mouvement social, en pleine ébullition, depuis le début du mouvement des gilets jaunes ? Actions et mobilisations se multiplient sur l’urgence climatique comme sur la défense des services publics (grève des urgences dans les hôpitaux, actions d’enseignants et de parents d’élèves dans les établissements scolaires…). En tant que média engagé sur ces enjeux, Basta! contribue à vous informer régulièrement sur ces mouvements, celles et ceux qui les font vivre, les nouvelles idées qui s’y ébauchent. Ces mobilisations sont cependant la cible d’un mépris et d’une répression de plus en plus inflexible de la part du pouvoir.

Plusieurs personnalités politiques, à l’image de la députée insoumise Clémentine Autain, plaident pour « s’ouvrir sur la société, les citoyens, les syndicats, les intellectuels, les associations » (dans cet article du Monde). Idem pour l’eurodéputée écologiste Karima Delli qui, lors de la soirée électorale sur France 2, appelle à une grande concertation avec les mouvements sociaux. Faisant part de sa « déception », le mouvement de Benoît Hamon souhaite lui aussi partir « des initiatives des mouvements politiques, sociaux et citoyens qui veulent réinventer le projet de la gauche et l’unir ». Incantations post-électorales ou véritable prise de conscience que la gauche politique ne peut continuer dans l’impasse actuelle ?

Ouvrir de nouveaux horizons est en tout cas impératif. Deux pays européens ont placé l’extrême droite en tête : l’Italie et la France. En Italie, en dehors des sociaux-démocrates, toute alternative de gauche ou écologiste a disparu. En France, le Rassemblement national (ex FN) a encore gagné un demi-million de voix par rapport aux élections européennes de 2014, et a même doublé son score comparé aux législatives de 2017 [1]. Et ce, malgré ses nombreux votes anti-sociaux et anti-écologiques au Parlement européen.

Ivan du Roy

 Gauches, écologistes, néolibéraux, droites extrêmes : quelle force politique dominera l’Europe de demain ?

Notes

[15,8 millions de voix ce 26 mai, 2,9 millions au 1er tour des législatives il y a deux ans.