Globalisation de la contestation

Au Brésil, militants antifascistes et mouvements d’émancipation défient le président Bolsonaro

Globalisation de la contestation

par Rachel Knaebel

Pendant que les États-Unis se soulèvent contre le racisme, au Brésil, des clubs de supporters de foot antifascistes manifestent contre le président d’extrême droite et convergent avec d’autres mouvements sociaux.

Tout est parti d’une attaque de militants d’extrême droite contre des supporters de foot du mythique club Corinthians, de São Paulo – club dont les joueurs et les supporters étaient à la pointe de la lutte contre la dictature militaire au début des années 1980 [1]. Ce 31 mai, en réaction à cette agression, des groupes antifascistes de supporters de foot ont manifesté contre le président brésilien Jair Bolsonaro et pour la démocratie dans plusieurs grandes villes du Brésil : São Paulo, Rio de Janeiro, Porto Alegre, Curitiba, Belo Horizonte, Salvador… « En utilisant la pandémie pour faire avancer son projet autoritaire, Bolsonaro pousse le Brésil au bord du gouffre », a déclaré la députée fédérale du parti de gauche PSOL Sâmia Bomfim, qui a manifesté aux côtés des supporters à São Paulo, au journal El Pais Brasil [2]. La manifestation pauliste a été violemment dissipée par la police, rapportent des journaux brésiliens [3].

À Rio de Janeiro, les groupes de supporters défilaient aux côtés des activistes du mouvement noir. La manifestation a également été réprimée. Les activistes y ont repris le slogan « Les vies noires importent », clamé par le mouvement Black Lives Matter né aux États-Unis, pour protester contre les homicides commis par la police dans les favelas. Un jeune adolescent noir, João Pedro Matos Pinto, 14 ans, a été tué mi-mai dans son salon par une balle dans le cadre d’une intervention policière. « Droit de tuer », titrait le New York Times le 18 mai, analysant dans un reportage les très nombreux cas d’homicides perpétrés par les forces de police dans les quartiers pauvres de Rio : 1814 personnes ont été tuées par la police l’année dernière, rien qu’à Rio.

En tout, 6200 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre brésiliennes en 2018, un chiffre tragiquement spectaculaire, en en constante augmentation, au point que certains observateurs évoquent des « exécutions extrajudiciaires de masse ». Les victimes de violences policières létales sont en grande majorité noires, et jeunes (moins de 29 ans), selon les données recueillies par l’Observatoire de la démocratie brésilienne.

Des dizaines de demandes de destitution

Un manifeste pour la démocratie lancé fin mai a recueilli plus de 250 000 signatures. « Nous sommes des citoyens, des entreprises, des organisations et des institutions brésiliennes et nous faisons partie de la majorité qui défend la vie, la liberté et la démocratie », déclare le manifeste. « Nous exigeons que nos représentants et dirigeants politiques exercent leur rôle avec détermination et dignité face à la crise sanitaire, politique et économique dévastatrice que traverse le pays », dit le texte qui appelle à l’union de la gauche, du centre et de la droite pour défendre la démocratie face au président d’extrême droite et à son gouvernement composé en partie de militaires. « Nous avons des idées et des opinions différentes, mais nous partageons les mêmes principes éthiques et démocratiques. »

Au Parlement, plus de 30 demandes de destitution du président ont été déposées. Au Brésil, n’importe quel citoyen peut déposer une demande d’« impeachment ». Le Parlement n’est pas obligé de les examiner, mais celles-ci s’accumulent depuis plusieurs semaines. Le site d’informations Agência Pública les a listées. Certaines sont déposées par des partis de gauche, une par l’association de la presse brésilienne. D’autres viennent d’anciens alliés de Bolsonaro, ou encore de citoyens, comme des avocats et des médecins.

Les raisons de leurs demandes d’« impeachment » sont diverses. Plusieurs réclament la destitution du président pour avoir interféré avec une procédure de la police fédérale (c’est la raison qu’a donnée l’ancien ministre de la Justice, Sergio Moro, pour justifier sa démission, fin avril). Plusieurs demandes visent l’attitude du président dans la pandémie : comme son homologue Donald Trump, il nie la dangerosité du virus, refuse les mesures de confinement, prend des bains de foule pendant que le nombre des infections monte en flèche. Les cas de contaminations enregistrées ont dépassé le demi-million, avec au moins 30 000 morts - des chiffres très largement sous-estimés. D’autres procédures se réfèrent aux attaques de Bolsonaro contre la presse, à ses apologies de la dictature militaire, à sa présence dans des manifestations antidémocratiques.

Il y a quelques jours, le président brésilien a fait référence à Mussolini, le dictateur fasciste italien. Lorsque Trump a annoncé dans un tweet vouloir déclarer le mouvement « Antifa » – dont les militants états-uniens participent aux manifestations de révolte contre la mort de George Floyd, tué par la police à Minneapolis – comme une organisation terroriste, le fils de Bolsonaro, lui-même député fédéral, a dit que le Brésil devrait faire de même. Les mouvements antifascistes brésiliens annoncent de nouvelles manifestations dans les jours à venir dans tout le pays.

Rachel Knaebel (avec Ivan du Roy)

Photo d’archive (2019)/ CC Midia Ninja