Crise immobilière

Airbnb : arme de destruction massive de la vie de quartier ?

Crise immobilière

par Stéphane Revon

Pour ou contre Airbnb ? Ce 3 novembre, les habitants de San Francisco sont invités à se prononcer par référendum sur une proposition visant à encadrer les locations touristiques de logements par des particuliers. Le symbole est d’autant plus fort que San Francisco est la ville où s’est lancée la start-up Airbnb aujourd’hui devenue multinationale tentaculaire. La proposition soumise à référendum est portée par une coalition d’activistes de gauche, de syndicats, et d’associations, pour limiter les impacts du groupe sur la crise immobilière et la désertification de certains quartiers. En face, Airbnb contre-attaque avec une campagne de lobbying impressionnante.

Le 3 novembre prochain, un référendum sera organisé à San Francisco pour statuer sur le sort à réserver à Airbnb. A l’initiative d’une coalition d’activistes de gauche, de syndicats, d’hôteliers et d’associations de quartier, les riverains auront à se prononcer sur l’adoption ou non de la « proposition F ». Parmi d’autres mesures, celle-ci imposerait une limite de 75 nuits par an aux particuliers qui louent leur logement, et un droit de dédommagement pour le voisinage en cas d’abus. Alors que la question de l’impact du groupe sur la crise immobilière est à nouveau mise sur la table, ce dernier sort les grands moyens dans le cadre d’une campagne de lobbying impressionnante.

Il est aujourd’hui possible de réserver facilement un appartement parmi les 1,5 million d’annonces disponibles dans les 34 000 villes où Airbnb s’est implanté. Internet, en permettant de donner une visibilité mondiale à une offre locale, a profondément révolutionné la façon que de nombreuses personnes ont de voyager. Pourtant, l’économie de partage divise toujours autant. La start-up proposant une plateforme communautaire de location de logements de particuliers, devenue multinationale tentaculaire, est une nouvelle fois au cœur de la controverse. Cette fois-ci pour la pression immobilière qu’elle orchestre.

A San Fransisco, ville qui a vu naître le site, l’approche d’un scrutin le 3 novembre prochain autour de la « proposition F » déchaîne les passions. Ce texte, au cœur d’un débat houleux, vise à encadrer les locations via la plateforme, en interdisant aux habitants de louer tout ou partie de leur résidence pour plus de 75 nuits par an, qu’ils soient ou non présents sur place. Il propose également d’imposer aux plateformes de location entre particuliers comme Airbnb ou HomeAway – ainsi qu’aux logeurs – de déclarer chaque trimestre le détail des transactions effectuées afin d’éviter les fraudes et abus. Point particulièrement contentieux, il autoriserait par ailleurs les habitants du voisinage (s’ils vivent à moins de 30 mètres du lieu de l’infraction supposée) à réclamer des dommages et intérêts pour non-respect de la loi. Bonjour l’ambiance, disent certains. Les autres arguent que les abus sont tellement généralisés que les services municipaux débordés sont absolument impuissants, et ne sauront endiguer le phénomène sans l’aide de citoyens attentifs.

La vie de quartier se meurt

L’initiative est soutenue par une coalition de militants de gauche, de syndicats, d’hôteliers et d’associations de quartier qui accusent Airbnb de se trouver derrière plusieurs phénomènes ayant frappé la ville. La conversion d’immeubles entiers dans les quartiers du centre-ville en hôtels pour touristes – plus rentables que les locations à long terme – est en effet largement venue priver d’accès à ces quartiers les populations désireuses d’y résider à temps plein. Dans le quartier historique de North Beach, par exemple, le nombre d’expulsions de locataires s’est multiplié, au point d’alarmer la municipalité. De plus, les appartements – parfois des immeubles entiers – détournés pour devenir des pied-à-terre pour riches touristes dans le business juteux de la location de luxe, créent comme des déchirures dans le tissu urbain. La vie de quartier se meurt, et les commerçants ferment boutique – les touristes consomment très largement dans des restaurants – ce qui accentue le phénomène, en chassant les riverains de ces zones désertées.

Plus généralement, les hôteliers, les étudiants et les locataires à faibles revenus sont sévèrement impactés par le phénomène Airbnb dans les grandes villes touristiques du monde, de Paris à New York en passant par Sydney et Rio de Janeiro. En détournant le parc immobilier des grandes villes touristiques, le site augmente en effet considérablement la pression immobilière. Selon l’immuable loi de l’offre et de la demande, cela se traduit pas une hausse significative des prix et des loyers, ce qui entérine encore un peu plus le problème de gentrification auquel se heurtent de nombreuses villes touristiques. Paris, où de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer cette fuite en avant (notamment dans le Marais), est particulièrement exposée. Selon des estimations des services municipaux de la ville, entre 25 000 et 30 000 logements, jadis dévolus à la location pour des personnes travaillant et vivant sur place, sont récemment devenus des meublés touristiques à plein temps. Autant d’appartements que les Parisiens ne pourront occuper, dans le climat de crise immobilière qu’on connaît.

Airbnb soumise au scrutin populaire

A peine entré dans la légalité avec la taxe de séjour, après cinq ans d’abus, le groupe sort les millions pour une campagne de lobbying massue. 8 millions de dollars - une somme astronomique, quand on sait que le géant Google a dépensé 16 millions de dollars en lobbying fédéral pour toute l’année 2014 - ont étés investis en vue de sécuriser le vote du 3 octobre. Cette opération de com’ comprend des clips diffusés sur Internet assurant que « la proposition F crée une nouvelle menace : votre voisin ». La déclaration obligatoire à la mairie est présentée comme un pas vers la dictature. « San Francisco sera le seul endroit du monde où les habitants devront déclarer aux autorités où ils dorment. » Un peu facile.

« Airbnb est devenu un gigantesque moyen de contourner la loi pour les professionnels de l’immobilier », déplore le chercheur américain Steven Hill, de la New America Foundation. Le nombre de nuits réservées à l’année sur le site de locations immobilières devrait doubler en 2015 par rapport à l’an dernier, et atteindre 80 millions dans le monde. Forte de son succès, la start-up semble vouloir se tailler la part du lion dans nos espaces urbains. La petite entreprise qui, à défaut de la connaître, commet la crise, va en tout cas être soumise au scrutin populaire, dans sa ville de création qui plus est. Une première étape vers une régulation accrue du phénomène ? Souhaitons-le.

Stéphane Revon [1]

Notes

[1Travaillant dans l’immobilier, Stéphane Revon est un témoin privilégié des mutations urbaines notamment engendrées par le numérique, le développement durable et l’augmentation du niveau de vie moyen.