Action syndicale

Ferme des milles vaches : pourquoi la justice poursuit-elle seulement les syndicalistes ?

Action syndicale

par Laurent Pinatel

Les opposants à la ferme-usine des mille vaches, en Picardie, ont le sentiment d’une justice à deux vitesses. Le 12 mars, le tribunal administratif d’Amiens a refusé la suspension des travaux de construction de la ferme. Au même moment, le porte-parole de la Confédération paysanne, Laurent Pinatel, est convoqué à la gendarmerie, suite à une action syndicale contre ce méga-projet. Il a décidé de ne pas s’y rendre et expose dans une lettre au Procureur ses motivations.

Monsieur le Procureur,

Je tenais à vous informer que je ne répondrai pas présent à la convocation de la gendarmerie d’Abbeville ce mardi [18 mars] à 14h dans le cadre de l’enquête pour « vols et dégradations en réunion » suite à l’action syndicale du 12 septembre 2013 (lire ici), étant précisé que dans le cadre de ladite enquête j’ai déjà été entendu.

Vous comprendrez qu’entre ma vie de paysan et mes obligations de porte-parole de la Confédération paysanne, je ne peux me permettre de venir à deux reprises jusqu’à Abbeville, à 700 km de ma ferme.

Surtout, j’en ai assez. Assez d’avoir l’impression d’une justice à deux vitesses. Assez d’avoir l’impression que cette justice criminalise sans cesse les actions syndicales et ceux qui les mènent !

En effet, nous parlons là d’une action collective, et non pas individuelle. Je suis le représentant de la Confédération paysanne. Comme mon « titre » l’indique, je porte sa parole. Je porte donc la revendication de cette action, consécutive à un état de nécessité face à un danger imminent.

Oui, la Confédération paysanne a agi. Et cette action était légitime.

Parce que la justice ne fait rien pour arrêter la folie destructrice du projet porté par Michel Ramery, nous devions prendre nos responsabilités. En effet, la ferme-usine des 1 000 vaches, qui se veut un projet pilote, porte en germe une accélération incontrôlable de la disparition des paysans (lire notre article). 20 fermes de 50 vaches, ce sont 42 paysans qui vivent de leur travail. La ferme-usine des 1 000 vaches, c’est 18 salariés. A terme, il ne faudrait plus que 2 500 usines pour arriver à la production laitière des 75 000 fermes laitières d’aujourd’hui. Nous n’avions pas le choix.

Je ne compte pas pour autant me soustraire à la justice. Je pense seulement qu’il y a assez de gendarmeries sur le territoire pour m’épargner ce déplacement.

Je serai aussi heureux de pouvoir constater que, dans cette affaire, vous ne comptez pas poursuivre seulement des syndicalistes. Quand la Confédération paysanne vient taguer un chantier illégal, son porte-parole se retrouve placé en garde à vue... Mais quand un notable local profère des menaces à l’encontre d’un de ses opposants, la plainte reste bloquée dans les tuyaux de la justice...

Si on y ajoute la lenteur dont a su user la Préfecture pour donner à Michel Ramery toute latitude pour mener son chantier (presque) à terme, vous admettrez qu’il devient tentant de s’interroger [1]. On m’a appris que la justice était là pour défendre les plus faibles, les plus vulnérables, des exactions des plus gros, des plus nantis... Me serais-je donc fourvoyé ?

Pour toutes ces raisons et par respect pour tous ces producteurs de lait que cet industriel veut faire disparaître, je vais rester chez moi à travailler la terre, à traire mes vaches (j’en ai 60… et nous sommes trois associés...).

Monsieur le Procureur, il fait beau, les travaux des champs m’appellent, les réunions aussi, pour lutter contre ceux que la justice de ce pays a, de son côté, choisi de défendre.

Moi, je sais pourquoi et pour qui la Confédération paysanne se bat... et je reste à votre disposition pour rediscuter de ça et d’autres choses aussi.

Laurent Pinatel
Porte-parole de la Confédération paysanne

[Mise à jour le 19 mars 2014] Le procureur Bernard Farret a réagi auprès de l’AFP sur le choix de Laurent Pinatel de ne pas se rendre à la convocation : « Il n’y a pas de sanction directe, du fait de ne pas répondre à une convocation ». « En revanche, le fait qu’il n’ait pas répondu, ça ouvre la voie à des procédures plus contraignantes. On peut aller le chercher et le placer en garde à vue en utilisant le recours à la force publique », a déclaré le magistrat. Bernard Farret a également indiqué que « la procédure va se poursuivre » et que le porte-parole de la Confédération paysanne « sera à nouveau convoqué », mais cette fois de manière « plus contraignante », tout en précisant que « pour l’instant, rien n’est fixé ».