Climat

Accord historique à la COP21 : « L’océan va bientôt arriver à Paris »

Au moment où les 195 États représentés à la 21e conférence sur le climat adoptent un accord sur les réductions de gaz à effet de serre, historique par son existence mais peu ambitieux, des milliers d’activistes du monde entier se sont rassemblés à Paris, près de l’Arc de Triomphe et de la Tour Eiffel. Malgré l’état d’urgence qui règne en France, ils ont manifesté pour une véritable justice climatique qui ne solde pas l’existence des générations futures et n’oublie pas les communautés les plus touchées par le réchauffement. Reportage avec ces citoyens, souvent jeunes, qui tentent de rappeler aux États leur responsabilité face à l’avenir de la planète.

« L’océan va bientôt arriver à Paris. Ça m’arrange : pas la peine d’aller en camion aux Pays basque pour faire du surf. En plus, ça pollue », rigole une clown, qui a revêtu une combinaison de surf, et pose avec sa planche devant une poignée de gardes mobiles harnachés d’armures en plastique noir. « Le coefficient des marées est très élevé, une énorme vague se prépare et je cherche “bourges plage”, où il y a beaucoup de requins », poursuit-elle, aussi inlassable dans l’absurde que les 195 délégations de pays qui viennent d’adopter un accord au Bourget. Un texte « inconsistant », selon plusieurs observateurs, qui laisse l’avenir de l’humanité en sursis, dépendant pour sa survie du nombre de millions de tonnes de CO2 qui seront émises pendant les prochaines années.

Notre surfeuse a intégré l’armée des clowns à Barcelone, il y a trois ans, au moment du mouvement des indignés. Avec son compère Lucien, qui a rejoint la bande il y a un mois, ils ambitionnent de « combattre le pouvoir de la manière la plus efficace, par l’humour ». La dizaine de clowns se met en marche, mimant une parade militaire. À ce moment, le pouvoir se situe à notre droite, à un bout de l’horizon, où se profilent les tours de la Défense, siège de multinationales comme le pétrolier Total. A l’autre extrémité, l’Arc de Triomphe, où repose le soldat inconnu, victime anonyme de la folie meurtrière du début du XXe siècle. La première tuerie industrielle de masse. Au milieu, 10 000 anonymes dressent une immense ligne rouge, faite de banderoles, de parapluies, de vestes, de bonnets ou de fleurs : la ligne rouge que nos sociétés ne doivent pas dépasser pour que le climat de la planète ne devienne pas incontrôlable. Les initiatives du 12 décembre ont été autorisées in extremis par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, mais restent fortement encadrées par des gendarmes mobiles plutôt détendus.

Accord de Paris : « Ils n’ont aucun plan valable pour y arriver »

Parmi les participants présents, ceux qui, Français ou étrangers, n’ont pas annulé leurs déplacements à cause des attentats ou de l’état d’urgence, une grande majorité de jeunes de moins de 30 ans. Comme parmi les 28 000 personnes qui sont passées pendant la semaine à la « zone d’action climat », organisée au « 104 », un vaste espace culturel parisien qui a battu tous les records de fréquentation. Ces fameuses « générations futures », brandies dès qu’il s’agit d’évoquer la dette publique, se mobilisent pour leur survie climatique. Mais ne font pas la une des journaux télévisés. « Nous sommes venus à 300 en vélo depuis Bruxelles pour le 29 novembre, même si la manifestation a été finalement interdite. Et nous sommes revenus aujourd’hui ! », raconte Charlotte, une Belge flamande de 25 ans. Elle est moins enthousiaste dès qu’il s’agit d’évoquer le résultat des négociations officielles, présenté comme un « accord historique pour sauver la planète ». « L’accord affiche un objectif de 1,5 C° de réchauffement. Très bien, mais ils n’ont aucun plan valable pour y arriver. »

Stuart, un jeune militant indépendantiste écossais, est venu seul à Paris, pour faire entendre sa modeste voix. « Le changement climatique est la plus grande crise du XXIe siècle. Si on arrive à progresser sur la question, ce sera grâce à la pression des populations. Ce qu’il nous faut contre le changement climatique, c’est un changement de système. C’est très important d’avoir une présence internationale ici, d’avoir des manifestants des pays du Nord, qui doivent faire face à leurs responsabilités dans le changement climatique. Car les premières victimes se trouvent au Sud et dans les communautés indigènes », explique-t-il. Laura, la quarantaine, est aussi venue seule d’Angleterre : « Les personnes qui ont négocié l’accord de la COP doivent entendre ce que les gens ont à leur dire ici. Les négociations se concentrent trop sur comment maintenir le capitalisme tel qu’il est. Mais il faut changer le capitalisme. Sinon, ça ne marchera pas. C’est pour ça que je suis ici aujourd’hui. »

« Ce n’est pas seulement une histoire de gaz à effet de serre »

Pour se faire entendre, des cornes de brume se mettent à sonner à midi entre l’Arc de Triomphe et la Porte Maillot, accompagnant la mouvante ligne rouge. Telle une alerte supplémentaire. Anaëlle, 28 ans, en fait fonctionner une. Elle vient de Loire-Atlantique où elle a adopté « un mode de consommation minimaliste » : elle vit en collectivité dans un lieu où elle « met en accord éthique et pratiques », un lieu dédié à la permaculture, autonome énergétiquement, qui développe des projets de développement local et d’éducation populaire, entre Rennes et Angers. C’est justement pour passer du « local » au « global » qu’elle est venue à Paris participer aux actions en marge de la COP21. « Il faut sortir du quotidien, de l’entre-soi. »

Les communautés du Sud sont aussi présentes. Antonio Zambrano Allende, 32 ans, coordonne la délégation de la société civile péruvienne. Le Pérou est l’un des pays du Sud particulièrement exposés au changement climatique. « Nous sommes ici pour demander la justice climatique, et la fin de l’extraction minière intensive au Pérou. Le changement climatique, ce n’est pas seulement une histoire de gaz à effet de serre. Il s’agit aussi de défendre nos territoires contre l’exploitation minière. Un quart du territoire péruvien a été concédé à des compagnies minières, canadiennes, chinoises, états-uniennes ! C’est aussi ça, la question de la justice climatique : la question minière, la forêt amazonienne, la fonte des glaciers. » Il a suivi les négociations pour une plate-forme latino-américaine de la société civile. « Les résultats des discussions, c’est de la bêtise. Il y a beaucoup de trous dans l’accord. C’est un peu mieux qu’avant cette COP, mais ça ne va pas améliorer grand chose. »

« Au Bourget, ils ne parlent pas de précarité énergétique »

Bill McKibben, états-unien et co-fondateur du mouvement 350.org qui mène campagne pour que les investisseurs renoncent à financer les énergies les plus polluantes, comme le pétrole, le gaz ou le charbon, n’est pas totalement négatif sur l’issue des négociations officielles : « Quand on est sorti de Copenhague, en 2009, il n’y avait rien. Entretemps, nous avons fait pression. Et nous sommes arrivés à cette conférence. Nous avons aussi obtenu des États-Unis qu’ils abandonnent le projet d’oléoduc géant Keystone. Nous avons remporté des succès sur le désinvestissement des énergies fossiles. Mais l’industrie pétrolière et gazière a toujours aujourd’hui plus de pouvoir que nous. »

Un peu plus loin, Senowa, 25 ans, et Shela, 37 ans, sont elles aussi venues des États-Unis, en tant que militantes de la communauté noire. « Nous sommes les communautés les plus directement touchées par le changement climatique. Au Bourget, ils ne parlent pas de précarité énergétique, ils ne parlent pas de racisme environnemental, ils ne disent rien du fait que les centrales électriques polluantes se trouvent toujours près des quartiers pauvres et noirs », accuse Senonwa, qui travaille dans une coopérative alimentaire dans le Vermont. « Les solutions discutées au Bourget, ce sont des solutions pour des personnes aisées, pour des gens qui ont le pouvoir. Nous, nous sommes pour une véritable réponse au changement climatique, qui ne serait pas basée sur le marché. »

De nombreux participants aux lignes rouges se sont ensuite rendu au pied de la Tour Eiffel, sur le Champs de Mars, à l’appel du mouvement Alternatiba. Les sacs sont fouillés par les forces de l’ordre, mais l’ambiance demeure détendue. « Nous sommes venus à la COP avec notre université, mais le rassemblement ici, ce n’était pas au programme officiel de la sortie », sourit Benjamin, un étudiant allemand en géographie de 24 ans. Il a suivi les négociations officielles au Bourget et les discussions de la société civile au sein de la zone d’action pour le climat (ZAC) au 104. « Les négociateurs au Bourget, ils ne proposent que des demi-solutions. Ils parlent, mais ils ne disent rien en fait. C’était bien plus intéressant à la ZAC. »

Geoffrey Couanon

Au même moment, au Bourget, les délégations applaudissent un accord qualifié d’ « historique » et saluent le travail du ministre des Affaires étrangères français, Laurent Fabius (voir notre analyse). Lequel de ces deux mondes est le plus réel ?

Rachel Knaebel et Ivan du Roy

Photos : © Myriam Thiébaut
Vidéo : Geoffrey Couanon