Mouvement social

A Notre-Dame-des-Landes, « la fête des humbles chahutant les puissants »

Mouvement social

par Ivan du Roy, Nolwenn Weiler

Ce 10 février, entre 10 000 et 20 000 personnes sont venues sur la « zone à défendre » fêter l’abandon définitif du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, dont la déclaration d’utilité publique a expiré. D’autres défis attendent les occupants de la zone : définir et négocier l’usage des terres et des communs, protéger les expérimentations d’alternatives qui ont fleuri et empêcher les éventuelles expulsions des personnes venues s’installer depuis le début de la lutte. Et inspirer les autres mouvement en cours contre des projets d’infrastructures jugées inutiles. Reportage sur les sentes boueuses de la zone désormais préservée.

C’est « la fête des humbles chahutant les puissants ». Ce 10 février, entre 10 000 et 20 000 personnes sont venues fêter la victoire à Notre-Dame-des-Landes, malgré la boue, le froid et un ciel menaçant. Deux cortèges se rejoignent au lieu-dit de Bellevue. Située au cœur de la « zone à défendre » (Zad), la ferme est l’un des hauts lieux de la lutte. Promise à la destruction, en vue de la construction de l’aéroport, elle abrite aujourd’hui une boulangerie, une fromagerie et un immense hangar en bois local, future menuiserie au service des personnes et collectifs installés sur la Zad. Ces « utopies concrètes » demeureront, tandis qu’un avion en bois est symboliquement enflammé au milieu du champ : « Aucun avion ne décollera d’ici, jamais. »

La « déambulation » venue du nord, du bien nommé lieu-dit le Gourbi, se met en route vers 13h. Cyclistes et marcheurs – bottes ou chaussures imperméables de rigueur – progressent malgré les ornières, sur des rythmes de Batucada et de cornemuse. Les « tracteurs vigilants » ne servent plus à entraver la progression des forces de l’ordre comme ils l’avaient fait cinq ans plus tôt. Transformés en chars de carnaval, ils incarnent chacun un projet jugé inutile : un énorme fût jaune, estampillé du symbole radioactif, pour celui de stockage de déchets nucléaires de Bure (Meuse), deux pelleteuses en carton pour le Center Parc de Roybon (Isère), un dragon dévorant des branches de sapins pour un projet d’usine de granulés de bois sur le plateau des Mille Vaches (Corrèze)…

Solidarité avec les opposants à d’autres « grands projets inutiles et imposés »

D’autres collectifs sont venus évoquer leurs combats : contre les extractions de sables marins dans la baie de Lannion, face au projet de méga centre commercial « EuropaCity » dans le nord de la région parisienne, dont la « déclaration d’utilité publique » devrait être décidée prochainement, ou pour empêcher un parc d’attraction dédié aux légendes arthuriennes à Guipry-Messac, près de Rennes. La victoire de Notre-Dame-des-landes a même une portée internationale : la mexicaine Trinidad Ramirez, porte-parole du mouvement qui a obtenu l’annulation de la construction d’un aéroport à proximité de Mexico, est venue participer à la fête depuis l’autre côté de l’Atlantique.« Nous avons voulu placer cette mobilisation sous le signe de la solidarité », dit Geneviève Coiffard-Grosdoy, opposante « historique ». « Au départ, la lutte était très isolée, retrace-t-elle. Au fil du temps, elle s’est développée au point de devenir beaucoup plus qu’elle même. Un réseau riche et dense de combats s’est constitué. La notion de grand projet inutile a émergé. Chacun s’est renforcé en venant ici, lors des divers rassemblements. Toute cela participe de l’ampleur de la fête aujourd’hui. »

La marche venue du nord s’avance longe le bois de Rohanne, théâtre de rudes affrontements cinq ans plus tôt, lors des tentatives d’évacuation de la Zad par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Puis les milliers de manifestants investissent progressivement le vaste champ qui jouxte la ferme de Bellevue. Chacun peut enfin se restaurer auprès des « tracto-bars » et leurs boissons chaudes, de divers stands et d’une pizzeria improvisée, où des bénévoles s’affairent à préparer 400 pizzas garnies de produits locaux. De la paille est étalée sur la prairie pour gagner du terrain sur l’omniprésente gadoue. Des toilettes sèches ont été posées. Un triton crêté géant, porté par plusieurs dizaines de personnes, se contorsionne devant les manifestants admiratifs, des cerf volants bravent le vent, un épouvantail représentant le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb disparaît en fumées. Un hélicoptère de la gendarmerie survole le champ.

« Les expulsions n’ont plus aucune raison d’être »

« Nous sommes au premier jour des saisons futures », lancent, perchés sur des bottes de paille les porte-paroles des divers composantes du mouvement : agriculteurs, associations d’habitants et d’élus, naturalistes et « zadistes » venus s’installer sur la zone. Après l’euphorie qui a suivi l’annonce du retrait du projet, des tensions ont gagné le collectif d’opposants. Certains reprochent à la majorité d’avoir trop facilement agréé à la demande du gouvernement de dégager la départementale qui traverse la Zad, et s’inquiètent de l’avenir des installations informelles, non légales. Car des rumeurs sur une éventuelle expulsion après le 31 mars, fin de la trêve hivernale, circulent.

« Les expulsions n’ont plus aucune raison d’être », assurent les porte-paroles, qui mobiliseront à nouveau en cas de menace, et demandent un « gel de la redistribution institutionnelle des terres » pour éviter que des exploitations s’agrandissent au détriment des nouveaux installés, ainsi qu’une « reconnaissance d’un droit à l’expérimentation » pour protéger toutes les initiatives agricoles, participatives et coopératives qui se sont enracinées sur la Zad depuis cinq ans. « Pour nous, tout commence. C’est le début d’une seconde phase qui va être au moins aussi difficile », insistent-ils. Définir l’usage des terres et des communs de la zone humide constitue un nouvel enjeu.

Car les statuts des terres sont variés. Aux côtés de celles cultivées par les paysans « historiques », qui devaient être expropriés, des terrains sont occupés par le mouvement, de façon illégale mais avec l’accord de la chambre d’agriculture. D’autres appartiennent à l’Etat ou Vinci et sont exploitées provisoirement par des agriculteurs et des collectifs locaux, anciens ou nouveaux. Tout le monde, paysans et occupants, tiennent à ce que chacun puisse continuer à cohabiter sur la Zad. « Nous préférons avoir des voisins nombreux plutôt que de voir des terres partir à l’agrandissement, explique l’agriculteur Marcel Thébault. Il faut qu’il y ait ici un droit à l’expérimentation. Il s’agit d’ouvrir les possibles. » Comme le confie un observateur, il s’agit désormais de « savoir gagner » et de ne pas s’embourber dans des tensions fratricides. Un défi d’autant plus important à relever que la lutte victorieuse de Notre-Dame-des-landes, et ce qu’elle incarne, dépasse largement les frontières désormais obsolètes de la Zad.

Nolwenn Weiler et Ivan du Roy

Photos : © Ivan du Roy / Basta!

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