Instits non remplacés

À Épinay-sur-Seine, les parents squattent l’école

Instits non remplacés

par Eros Sana

Depuis le 11 janvier, des parents d’élèves occupent l’école maternelle du groupe scolaire Jean-Jaurès Sud d’Épinay-sur-Seine, en Seine-Saint-Denis. Ce qu’ils dénoncent : pendant plus de 48 jours cumulés, depuis septembre, des instituteurs absents n’ont pas été remplacés. Reportage sur cette mobilisation citoyenne.

Photo : © Écoles en danger

À l’école Jean-Jaurès d’Épinay-sur-Seine, les absences d’instituteurs non remplacées ont dépassé 48 jours depuis la rentrée de septembre 2010. Pour Murielle, mère de cinq enfants, tous passés par l’école Jean-Jaurès et où son fils de 5 ans est scolarisé en grande section, la situation est inacceptable. « Pour certains enfants de retour de vacances, cette absence d’instituteur équivaut à près d’un mois sans cours », s’indigne-t-elle.

Le groupe scolaire Jean-Jaurès Sud comprend deux maternelles et deux primaires. Plus de mille enfants y sont scolarisés. « Un jour, du fait de cinq absences non remplacées, la directrice s’est retrouvée à garder 58 enfants ! », explique Mathieu, parent d’élève. Les parents expriment leur ras-le-bol auprès de l’académie de Créteil, dont dépendent toutes les écoles de Seine-Saint-Denis, et du ministère de l’Éducation nationale. Pour faire pression, ils occupent pendant la journée le bureau de la directrice, l’empêchant de faire le travail administratif. Une quarantaine de parents, sur les 200 concernés, se relaient pour assurer ainsi une présence au sein de l’école.

Des absences non remplacées systématiques

Vincent, père d’une petite-fille de 5 ans et vice-président de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE) de l’école Jean-Jaurès, tient à préciser leurs motivations : « Nous ne voulons pas mettre les enseignants en accusation. Nous comprenons les absences, notamment dues aux maladies. C’est humain. D’autant plus que certains enseignants de Jean-Jaurès refusent de se rendre en formation, faute de remplaçant, pour ne pas perturber le bon fonctionnement des cours. »

Tous rappellent leur soutien à l’équipe pédagogique et leur attachement au service public de l’éducation. « La majorité des parents place énormément d’importance dans l’Éducation nationale, précise Mathieu. Dans le quartier, cette école est l’élément le plus puissant, le plus fédérateur. Autour d’elle se croisent, échangent, discutent entre 500 et 600 personnes. »

Ce n’est pas le corps enseignant, mais bien l’État que les parents d’élèves mettent en cause. Ces absences non remplacées sont désormais systématisées. « On est confrontés à ce phénomène tous les ans. Chaque année on nous dit que les absences sont imprévues. Donc s’il est prévu qu’il y aura de l’imprévu, pourquoi ne pas mieux agir ?  », demande Claudine. Vincent s’est déjà mobilisé sur ces questions il y a quatre ans. À l’époque, les parents d’élèves protestaient contre 35 jours d’absence non remplacés… dans une seule classe.

Discrimination territoriale

Les jours d’absence non remplacés frappent durement le département de Seine-Saint-Denis. Les chiffres collectés par la FCPE 93 font état de 1.738 jours d’absences non remplacées entre le 1er septembre et le 30 novembre 2009, dans le premier degré (écoles maternelles et primaires). Le phénomène est tellement massif que la FCPE apporte son soutien aux parents d’élèves qui veulent agir en leur offrant un kit de recours devant le tribunal administratif. « Dans le département, en 2010, il y a eu près de 200 recours administratifs contre le ministère de l’Éducation, pour les non-remplacements », précise Michel Hervieu, président de la FCPE 93.

Toute la France est touchée par les absences non remplacées. Mais l’ampleur de ce phénomène semble se concentrer plus particulièrement en Seine-Saint-Denis. « Ce n’est pas partout pareil, on n’est pas logé à la même enseigne », fait calmement remarquer Priscilla, présidente de la section FCPE de l’école. « À Colombes, dans le département des Hauts-de-Seine, on nous a dit qu’un jour trois instits absentes ont été toutes remplacées avant neuf heures, explique Mathieu. Lorsqu’on le lui a dit, la directrice de l’école de nos enfants nous a affirmé qu’elle n’avait jamais vu de remplacement immédiat de trois enseignantes à Épinay de toute sa carrière. » Face à cette situation, le collectif de parents d’élèves envisage de saisir la Halde pour discrimination territoriale.

Quand l’État démissionne de ses missions

Marie-Pierre, qui occupe l’école avec Mathieu, son compagnon, s’emporte : « Il y a quelque chose qui est rompu dans le contrat moral entre l’État et nous. Comment dès lors accepter le discours actuel de politiques qui exigent la suppression des allocations familiales pour cause d’absentéisme scolaire ? C’est choquant. »
Le décret concernant la suspension des allocations familiales aux familles pour cause d’absentéisme scolaire vient d’ailleurs d’être publié par le gouvernement [1]. « C’est avant tout l’État qui est démissionnaire ici », ajoute Vincent. Et chacun de pointer la cause profonde de cette situation : les décisions de suppressions massives de postes au sein de l’Éducation nationale. Ce que confirment la FCPE 93 et les syndicats enseignants. Au niveau national, pas moins de 16.000 postes vont être supprimés en 2011. Dont 1.338 en l’Île-de-France. L’académie de Créteil va perdre 120 postes dans le premier degré. Pour contester cette politique de suppression de postes, parents d’élèves et enseignants ont défilé le 22 janvier.

Les parents d’élèves d’Épinay-sur-Seine rappellent que cette politique de suppression de postes a des conséquences néfastes sur la vie des enfants. « Ils commencent à être perturbés », estime Murielle. « Pour un enfant, ajoute Marie-Pierre, la régularité et l’assiduité sont très importants. C’est une question de repères. C’est un vrai enjeu pédagogique. Tout le travail des enseignants est mis à mal lorsque l’Éducation nationale n’assure pas cette continuité du service public. »

Des projets pédagogiques au ralenti

« Il y a des enfants qui commencent à pleurer plus que d’habitude en allant à l’école, car ils craignent de se retrouver sans instit et donc ballotés de classe en classe, s’emporte Mathieu. L’enseignant est une grande référence dans la vie de notre fils ». La directrice de l’école, Madame Hardy, voit sa crédibilité mise à mal vis-à-vis des parents. Elle a initié de nombreux projets pédagogiques. Aujourd’hui du fait des absences non remplacées, cette dynamique est amoindrie puisqu’elle doit avant tout gérer ces difficultés.

Résolus, les parents d’élèves maintiennent leurs revendications : « Nous exigeons que l’État nous rende les horaires perdus », rappelle Vincent. Comment ? « En assignant un enseignant supplémentaire dans les classes afin de permettre un meilleur rattrapage ». « Ce qui compte, c’est que nos enfants aient le même temps de scolarité que le reste de la population », ajoute Mathieu. Les parents d’élèves souhaitent également la mise en place d’un pool constant de vingt-huit remplaçants, puisqu’il y a vingt-huit écoles sur la ville d’Épinay. Aujourd’hui seuls dix remplaçants sont mobilisables pour toute la ville, qui compte pourtant 276 classes de primaire.

Un plan départemental de rattrapage

Tous font référence à 1998. Suite à une mobilisation locale similaire, toute la Seine-Saint-Denis avait connue un grand mouvement social réunissant parents d’élèves et enseignants. Le gouvernement avait alors répondu par un important plan de rattrapage en « allouant » près de 3.000 enseignants supplémentaires. Les parents d’élèves du groupe scolaire Jean-Jaurès Sud, et l’ensemble des syndicats d’enseignants, demandent un nouveau plan similaire.

« On arrive bien à réintroduire les ours et les loups dans les Pyrénées. On peut bien arrêter de dégraisser le mammouth et arriver à réintroduire des enseignants dans le 9-3 ! », ironise Vincent.

Eros Sana

Notes

[1En cas d’absence d’au moins quatre demi-journées sur un mois, sur demande de l’inspecteur d’Académie, le directeur de la Caisse d’allocations familiales est tenu de suspendre le versement de la part des allocations familiales dues au titre de l’enfant absentéiste