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25 heures devant CNews : entre misère journalistique et continuelle propagande d’extrême droite

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par CQFD

Nos confrères du mensuel CQFD se sont confrontés le temps d’une journée aux programmes de la chaîne d’information la plus réactionnaire de France. Un long chemin de croix qu’ils vous racontent.

Ce lundi soir, il règne une étrange ambiance dans le local de CQFD. Un écran est posé sur la table de la cuisine. Depuis le vieux canapé de cuir et quelques chaises pliantes, nous sommes six à le regarder, non sans appréhension. Car le spectacle va commencer. Au programme : 25 heures devant CNews, chaîne d’info privée ultra-réactionnaire bénéficiant d’une fréquence publique, aux courbes d’audience grandissantes. L’idée : disséquer le quotidien des programmes de cette succursale de Canal +, au-delà des courtes vidéos qui relayent les plus odieuses saillies verbales de ses éditorialistes sur les réseaux sociaux.

Anciennement nommée I-Télé, CNews s’est faite porte-voix, entre autres joyeusetés, du racisme le plus décomplexé. Éric Zemmour y officie ainsi quatre fois par semaine dans l’émission Face à l’info présentée par Christine Kelly. C’est dans ce cadre qu’il a éructé cette considération sur les mineurs étrangers isolés, le 29 septembre dernier : « Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs. C’est tout ce qu’ils sont ». Un dérapage ? Non, une tradition chez cet admirateur du général Bugeaud [1], qui le 31 août dernier balançait au sujet d’agressions estivales : « On sait que les victimes s’appellent Mélanie et les assassins Youssef. »

Embauché en 2019 par l’homme d’affaires Vincent Bolloré, propriétaire de Canal +, le polémiste d’extrême droite est le fer de lance de la stratégie « à droite toute » de la chaîne. Mais il est loin d’être le seul à clapoter dans des eaux politiques troubles, que ce soit parmi les invités ou les intervenants réguliers de la chaîne. Exemple entre cent, la patronne du très réac mensuel Causeur et chroniqueuse régulière de la chaîne, Élizabeth Lévy, allumée sauce pinard-saucisson s’illustrant régulièrement par son fiel envers les immigrés, les féministes et les tenants d’une société progressiste.

Après le meurtre de l’enseignant Samuel Paty le 16 octobre, la vague raciste a encore enflé sur la chaîne, implosant littéralement. De la députée européenne Nadine Morano déplorant la présence de femmes voilées dans sa circonscription à l’éditorialiste Guillaume Bigot appelant à la déportation des islamistes aux îles Kerguelen en passant par Élizabeth Lévy lâchant « Nous sommes ligotés par notre droit-de-l’hommisme », la logorrhée collective [2] n’avait qu’un objectif : taper sur les musulmans et ceux qui défendent leurs droits.

Loin de causer du tort à la chaîne, cette stratégie éditoriale semble au contraire porter ses fruits : les taux d’audience ne cessent de grimper. Cet été, CNews a dépassé LCI pour devenir la deuxième chaîne d’information française derrière BFM TV, caracolant régulièrement au-dessus de la barre des 500 000 téléspectateurs. Surtout, elle semble avoir une influence de plus en plus marquée sur le jeu politico-médiatique français, nivelant les débats par le bas, vers cette zone obsédée par un dit « ensauvagement » de la société – quand Darmanin décrit son rejet des rayons de nourriture « communautaire » dans les supermarchés, on se jurerait au beau milieu d’un débat sur CNews.

Voilà pourquoi on s’est retrouvés le lundi 26 octobre à 19 h dans l’antre de CQFD pour un marathon télévisuel éprouvant. L’objectif : observer la bête en direct afin de comprendre ce qui se joue dans cet espace médiatique et les dispositifs qu’il mobilise. Conséquence de quoi : on s’est relayés pour ne rien rater, du début du Zemmour du lundi soir à la fin du Zemmour du mardi soir, pour un total de vingt-cinq (longues) heures, deux jours avant l’annonce du reconfinement, trois jours avant l’attentat de Nice. On vous en livre ici les moments marquants.

Lundi, 19 h – Musique oppressante, générique cheap, plateau moche et fonctionnel, on y est : Face à l’info commence, avec la falote présentatrice Christine Kelly aux commandes. Comme dans l’immense majorité des émissions de la chaîne, les débatteurs sont essentiellement de vieux mecs blancs, tandis que la présentatrice est cantonnée à un improbable rôle de complice mi-potiche mi-instit’. Outre Zemmour, il y a là trois spécimens : Régis Le Sommier, rédacteur adjoint de Paris Match qu’on entendra peu puisqu’il semble un peu moins frappadingue que les autres ; Harold Hyman, journaliste franco-américain farfelu à opinions et bretelles dérangeantes ; et Marc Menant, invraisemblable type à tête de vampire jauni issu du journalisme sportif. On comprend vite que ceux-ci ne serviront qu’à une chose : passer les plats à la star de la chaîne. Le sommaire évacué, le voilà ainsi invité à délivrer son premier « édito », consacré à la politique française dans le monde arabe, le président turc Erdogan ayant récemment traité Macron de malade mental. L’exercice dure une grosse vingtaine de minutes et se révèle particulièrement opaque. « La France est ciblée parce qu’elle est faible », regrette Zemmour, avant d’expliquer que la Chine, elle, a la chance de pouvoir massacrer les Ouïghours sans que personne ne moufte. Puis il s’embarque dans une valse de digressions loufoques, mêlant un Charles de Gaulle inspiré par le royaliste Charles Maurras aux écrits « extraordinaires » du collaborationniste Jacques-Benoist Méchin. Soudain apparaît Saint Louis. Puis le Quai d’Orsay en prend pour son grade : « On est passés des barbouzes du SAC et de Foccart à des juristes féministes ! » L’ensemble est complètement incompréhensible, et au local comme sur le plateau, la question première semble être : de quoi parle-t-il ?

19 h 21 – Ils chahutent, ils s’amusent, ils minaudent – « Calmez-vous, les garçons », rigole Kelly. Cravate violette, veste grise, Zemmour appelle à imiter la Russie de Poutine et à « jouer des divisions du monde arabe ». Puis il réenfourche son cheval de bataille, extirpant de son discours confus la phrase qui pourra ensuite être reprise en boucle par médias et réseaux sociaux : « Il faut que l’immigration musulmane cesse d’être un poids sur nos épaules ». Suivent quelques vagues considérations sur les « traditions chrétiennes » bafouées, puis les minauderies reprennent. Ce marathon va être long.

19 h 48 – Le loufoque Marc Menant, rebaptisé Vampirello par nos soins tant son sourire est flippant, a droit à son numéro. Lyrique, il consacre une chronique à Gilles de Rais, camarade de baston de Jeanne d’Arc et serial killer médiéval. On ne comprend pas grand-chose, à part que papy est très excité et que la foule pleurait le jour de l’exécution du criminel. C’est un peu gênant.

20 h 10 – Christine Kelly l’avait promis en début d’émission : « On va prendre de la hauteur. » Verdict à l’heure du générique de fin : c’est pas gagné. À la pauvreté incroyable des interventions, notamment sur l’élection américaine, s’est accolée la misère d’un dispositif ramené au degré zéro de l’entertainment : de vieux gars radotant de façon monocorde sur un plateau. Seule consolation : l’émission n’est ni précédée ni suivie ni interrompue par des publicités, les annonceurs ne se bousculant pas pour y être associés [3]. Cheh.

20 h 32 – « Mais qui sont ces gens ? », se demande-t-on. Et pourquoi les faire parler eux ? À quel titre ? L’Heure des Pros 2 a commencé depuis vingt minutes et l’émission tourne déjà au bordel en bande désorganisée. Ici aussi, ça débute avec quatre vieux mecs blancs et une femme. Et là encore, leurs considérations n’apportent rien. Choquantes ou pas, elles restent toujours au ras des pâquerettes. Ancien journaliste sportif, l’animateur star Pascal Praud, cheveux blancs et petites lunettes bleues, n’est expert de rien, mais ça ne l’empêche pas de déblatérer sur n’importe quel sujet, à tel point qu’il anime deux émissions sur CNews, une le matin l’autre le soir. Il y a aussi l’incroyablement bileux Ivan Rioufol, du Figaro, sorte de sous-Louis-Ferdinand Céline momifié, obsédé par l’immigration et le « choc des civilisations ». Et une certaine Sophie Obadia, dont on apprend qu’elle est avocate, point barre. Mais des experts ? Aucun, hormis dans ces images reprises à RTL sur lesquelles on entend le président du conseil scientifique Jean-Paul Delfraissy évoquer la situation sanitaire. Le reste est meublé par des considérations de café du commerce sur le coronavirus et de propos acerbes sur le monde musulman.

Dans son émission du lendemain matin, l’ancien journaliste sportif Pascal Praud s’emportera contre les politiques en temps covidés : « Quelles sont leurs compétences ? Ils donnent l’impression que chacun de nous pourrait les remplacer. » L’œil, la paille, la poutre, une vieille histoire…

21 h 47 – On profite de l’émission d’Yves Calvi, L’info du vrai, « empruntée » à la grille de Canal + et donc peu représentative de l’esprit CNews, pour discuter des ficelles de ce qu’on a vu jusqu’ici. Et le constat est accablant : il n’y a aucune forme de journalisme, aucune interview de terrain, simplement de lourdingues débats d’opinion qui s’éternisent. Et qui ne se distinguent que par un point : invités et chroniqueurs sont à la fois dénués de toute compétence spécifique et terriblement réacs. Bonus : ils rient beaucoup, grassement, dans une atmosphère de connivence dégoulinante, matraquant encore et encore leur insignifiance analytique.

L’association de critique des médias Acrimed a parfaitement résumé les effets pervers du dispositif : « C’est sur ce type de journalisme-comptoir caractéristique des talk-shows que prospèrent tous les “fast-thinkers”, et plus encore les chroniqueurs d’extrême droite. Commenter des faits divers, invectiver, idéologiser des ressentis, politiser la peur, butiner les sondages : leurs positions et leurs propos sur l’islam, la sécurité, l’immigration ou l’autorité trouvent dans les médiocres dispositifs un moule à leur mesure. [...] Affranchis des faits comme de toute règle scientifique, les commentateurs sont portés par le commentaire ambiant et par les récits médiatiques dominants, en vogue depuis des décennies : “On vient vers vous, on vous demande : ‘La France est-elle en déclin ?’ Vous dites oui ou non ? Et vous Gérard, oui ou non ?” (Pascal Praud, 16 sept.) Du pain béni pour le “oui”des réactionnaires. » [4]

22 h 09 – Castaner a le Covid, nous apprend un bandeau au bas de l’écran. Conséquence de quoi : on trinque. Pendant ce temps, Calvi et ses invités parlent intersectionnalités, islamo-gauchisme, ravages des cultural studies… Là aussi, ça frôle les abysses conservateurs sauf que les moyens sont là, patte Canal + aidant : il y a des reportages aux États-Unis, des images à commenter, des pensées un peu plus diverses et développées. Déprimant, mais un peu plus élaboré.

22 h 35 – Joie, pour Soir Info, le présentateur Julien Pasquet, ex-journaliste sportif (encore un !) rentré dans l’histoire du journalisme en août dernier grâce à son splendide « Mais on s’en fiche des chiffres ! » lors d’un débat sur l’« ensauvagement » de la France, a invité Florian Philipot, ex du FN, roulant désormais pour son propre parti, les Patriotes. Et c’est très représentatif de ce qu’on observera lors de ces 25 heures : les invités sont très souvent d’extrême droite, qu’il s’agisse du RN ou de Debout la France. Sinon, un bon contingent LR et LREM, ainsi que quelques PS et LFI disséminés ici et là. Niveaux « journalistes », c’est encore pire, avec surreprésentation de réacs azimutés, comme Eugénie Bastié grande progressiste au Figaro. Les autres invités affichent souvent des profils un peu étranges, à l’image de Kevin Bossuet, prof dans le 93 et scribouillard à Valeurs actuelles, qui ce soir se lance vite dans d’inquiétantes envolées : « Quand on a l’amour de la France chevillé au corps », s’enflamme-t-il causant République, avant qu’une urgentiste explique par Skype qu’elle voudrait que « Mbappé et Neymar s’investissent contre le Covid ». Il y a du niveau. Quand Kevin explique qu’il a vu des gens postillonner en terrasse des cafés, on répond en postillonnant sur l’écran – tel est notre désespoir.

23 h 30 – Philippot porte la même cravate violette que Zemmour plus tôt. Et il tient le même discours : « Il faut jouer sur les divisions du monde musulman. » Oh Lord...

23 h 52 – « Mais ils vont la passer combien de fois la pub lyrique sur les saumons norvégiens ? », s’étonne l’un d’entre nous. Réponse : beaucoup. Un point positif, vu que c’est à peu près le seul moment où on ne voudrait pas se crever les yeux au fer rouge tant ce qu’on voit est affligeant.

Mardi, 1 h 23 – Rediffusion de Vive les livres – François-Marie Banier, photographe et ex-gigolo de luxe de l’héritière Bettencourt, parle de ses bouquins. Fait notable : il dit sa fascination pour la Gay Pride, puis des choses belles et humaines sur les migrants afghans. Est-on bien sur CNews ?

1 h 54 – Dans Reportage, il y a un sujet sur le nouvel album de Cabrel. Un peu d’air dans cet océan anxiogène ? Même pas : « Dans son nouvel album, nous dit le journaliste, Francis Cabrel parle de beaucoup de choses qui l’ont touché, à commencer par la violence de la société, les jeunes filles voilées et les tueurs armés comme à la guerre [...]. » Interview de l’artiste : « Le monde est inquiétant. À chaque coin de rue, [vous pouvez tomber sur] quelqu’un de détraqué. » Je déprimais, je déprime et je déprimerai.

2 h 28 – Quatrième diffusion de L’Édition de la nuit : un journal télévisé sans interview et sans reportage digne de ce nom – seulement un commentaire issu de dépêches d’agences lu par un journaliste sur des images d’archives. Ça devient rude. Il n’y a plus qu’un seul d’entre nous, phare dans la nuit. Meskine, il s’enverra encore six rediffusions avant l’aube.

5 h 55 – Début de la matinale. Et l’occasion de se rendre compte que les mêmes têtes reviennent d’émission en émission. Ainsi des deux invités fils rouges : Daniel Scimeca, médecin généraliste, et Patrick Karam, vice-président du Conseil régional d’Île-de-France (son appartenance LR n’est même pas précisée...). Ils étaient déjà là hier, ces bougres.

06 h 09 – Sur le plateau, ça fait quelques minutes qu’on débat des mesures à prendre contre le corona. Patrick Karam fait une suggestion intelligente : offrir des masques aux salariés pauvres qui, par souci d’économie, portent les leurs un peu trop longtemps. C’est alors que le présentateur demande :
« Daniel Scimeca, pourquoi est-ce qu’on a l’impression que la Chine s’en sort mieux que la France et le reste de l’Europe ?
Écoutez. La Chine, d’abord, a un fonctionnement très autoritaire. Moi j’aime pas dire que la Chine n’est pas démocratique, c’est un type de démocratie qui n’est pas dans notre logiciel à nous mais en tout cas c’est sûr que les libertés individuelles, c’est une notion totalement différente d’ici et je pense que cela [et des] stratégies de reconfinement local [expliquent cette] réussite. » Fatigue.

7 h 12 – Ancien conseiller de Macron, Gaspard Gantzer, accusé par un invité d’être représentatif de l’esprit Ena de LREM, se défend de toute méconnaissance médicale : « J’ai des médecins dans ma famille ! »

7 h 30 – Le bandeau annonçant l’entretien de 8 h 15 avec Jordan Bardella clignote désormais toutes les deux minutes.

8 h 15 – Roulement de tambour : Bardella, vice-président du RN, est interviewé par Laurence Ferrari. Celle-là même qui confiait, il y a quelques années, au journal Elle : « À travers mes émissions, j’essaie de donner des clés aux électeurs pour qu’ils votent pour un projet, et non pas contre. » Ce matin, elle s’acquitte avec brio de cette mission en servant sur un plateau une soupe maison de questions labellisées RN à un Bardella sérieux comme un futur ministre de l’Intérieur. « Ils n’ont rien préparé, ni anticipé », assène-t-il, causant des macronistes et du Covid. « Nous sommes tous des cibles », ajoute-t-il, parlant terrorisme, « cinquième colonne » et « intelligence avec l’ennemi ». Sur le plateau, personne ne lui porte la contradiction : pour dérouler ses arguments néofascistes, ce n’est pas une ruelle qu’on laisse à Bardella, ce sont les Champs-Élysées. Boycott des produits français par des pays musulmans, Turquie, risque terroriste, fermeture des mosquées radicales… Bardella est plus qu’à son aise : triomphant. Et avant de partir, il place la petite phrase qui finira en bandeau : « La France doit devenir invivable pour ceux qui la déteste. »

9 h 00 – Retour de Pascal Praud et de ses autoproclamés « snipers ». Il y a le pote à Zemmour Éric Naulleau, Laurent Joffrin l’ex de Libé et Charlotte d’Ornellas de Valeurs actuelles. Praud blague : « Y a que des gens de gauche sur ce plateau. » Ah ah. L’heure est au Covid et le show café du commerce continue, à base de « les gens, ils... » (compléter d’un propos réac).

10 h 52 – Depuis une petite demi-heure, un autre poète est aux manettes : Jean-Marc Morandini. Chemise blanche, smoking blanc, sourire crispant, le roi de la télé-poubelle continue dans la voie de ses camarades. Pour les « reportages », lui aussi a recours aux images de ses confrères de TF1 ou M6. C’est le cas quasiment tout le temps sur CNews, avec omniprésence de la mention « images d’illustration ». Pour le reste, ça cause en plateau, toujours sans grand intérêt. Une rhumatologue éveille notre attention : selon elle, il faudrait mettre le couvre-feu en semaine à 18 h, parce que sinon les gens auront la tentation de profiter d’une heure de détente post-boulot avant de rentrer chez eux. Le lendemain soir, Macron annoncera le reconfinement.

11 h 52 – Morandini est surexcité : il réunit sur un même plateau l’ex-patron du Raid et celui du GIGN. La gloire. Comme de juste, l’institution policière se voit gratifiée de vigoureux coups de brosse à reluire.

13 h 48 – Valse des journaux qui s’enchaînent. À Midi News, il y avait Franck Allisio, vice-président du groupe RN à la région Paca. Et puis de longues discussions nauséeuses sur les mosquées après la fermeture de celle de Pantin. Au final, Allisio n’est pas pire que les autres. Et c’est bien l’enseignement de ces débats sur le terrorisme ou le confinement : il n’est quasiment plus possible de différencier la parole d’un élu RN de celle d’une encartée à LREM ou d’un conseiller municipal PS : tous tiennent un discours semblable. À la seule différence que celles et ceux du RN plastronnent : « On vous l’avait bien dit. »

14 h 32 – C’est La belle équipe, présentée par une certaine Clélie Mathias. Vampirello est de retour. Ainsi que trois autres vieux mecs blancs à têtes de morts. Se confirment encore les choix plateaux de CNews : une meuf pour faire genre et quatre gugusses qui débattent. Le taux de conneries rancies à la seconde est affolant, avec Vampirello qui se lâche sur les « pleurnicheries » des musulmans dénonçant le racisme, lâchant notamment : « Mais qu’elle enlève son foulard ! » Parfois un autre invité se réveille, fait mine de s’offusquer, puis ça repart dans l’invective et le racisme. Ce n’est plus une chaîne, c’est un égout.

16 h 32 – On se rend compte que l’exercice tourne en rond, tant les dispositifs sont les mêmes pour chaque émission. Certaines sont certes moins pires que d’autres, à l’image de L’Heure des choix à 16 h, avec parfois des débats plus contradictoires, quelques invités valables voire intéressants – mention spéciale à Me Vincent Brengarth, avocat de la mosquée de Pantin tentant de rappeler les bases de l’État de droit – mais sinon tout est interchangeable. On reconnaît d’ailleurs des habitués, qui passent d’une émission à une autre, comme l’ancien boss de l’OM Jean-Claude Dassier, qui aligne beauferie sur beauferie, ou notre favori Vampirello, invraisemblable baratineur de l’enfer réac.

Mal ficelés, composés pour ne rien coûter, basés sur le matraquage et les propos de comptoir, les débats tendent tous vers le pire avec une constance terrifiante. On pense à l’ami Nico de Libertalia qui a récemment envoyé bouler Jean-Pierre Elkabbach qui lui demandait s’il y avait possibilité de débattre sur CNews avec l’auteur d’un livre publié par sa maison d’édition. « Nous on a une éthique », aurait-il balancé au vieux tromblon qui lui demandait pourquoi il refusait le débat. Y aller, c’est forcément s’abaisser.

17 h 27 – Notre coup de cœur musico-publicitaire : le slogan chanté « Vendezvotrevoiture.fr », que notre graphiste entonne sans trembler. Le saumon norvégien reste cependant le top en la matière, suscitant des cris de joie à chaque apparition. Oui, la folie nous guette.

18 h 32 – Ça fait une heure et demie que Laurence Ferrari, qui était déjà là à 8 h 15, anime son émission Punchline. Et depuis 23 heures et 28 minutes, on n’a toujours pas entendu un seul mot sur la Pologne, où une grève générale est prévue le lendemain contre une réforme interdisant l’IVG presque totalement. Rien non plus sur le tout récent référendum chilien ayant pourtant permis d’en finir avec la Constitution héritée de l’ère Pinochet.

19 h 21 – L’ordi sur lequel on regarde l’émission en streaming commence à nous lâcher. Lui aussi n’en peut plus. Du coup on scrute l’émission de Zemmour au ralenti. Coup de théâtre : il consacre un édito au Chili ! Mais la vérité tombe vite : c’est pour vilipender les « capacités exceptionnelles de manipulation de la gauche ». Ensuite il tape sur les féministes – « Elles ont 150 ans de retard ces pauvres filles. » C’est un chouïa moins confus qu’hier mais toujours complètement orienté et décousu. Zemmour se lâche, rigole, fait le paon. Et nous : on frise la démence.

20 h et des poussières – Praud lance L’Heure des pros 2. « Le moment est sombre », commence-t-il. Tu l’as dit bouffi. On éteint. On se regarde. Et on se le jure : plus jamais ça.

Émilien Bernard (avec le soutien précieux de Clarito, Fredo, Iffiko, Raspoutino et Lady Pyélo)

Illustration : © Étienne Savoye

CQFD n°192 - Novembre 2020 - Dossier Propagande & manipulation de masse

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Merci à CQFD de nous avoir autorisés à reproduire cet article d’utilité publique.