Le monde après Copenhague

Et si on parlait enfin des vraies solutions face au réchauffement

Le monde après Copenhague

par Sophie Chapelle

Pendant que les chefs d’Etat discourent indéfiniment et compromettent l’avenir de la planète, des mouvements et collectifs tentent d’agir concrètement. Les propositions, initiatives et expérimentations en faveur d’une société plus écologique et plus juste socialement ne manquent pas. Passage en revue de quelques-unes de ses « vraies » solutions au changement climatique, présentées à Copenhague par des citoyens ou des associations.

© crédits : Collectif à-vif(s) [1]

« Les vraies solutions ne sont pas dans l’agenda des négociations officielles », assène Naomi Klein, journaliste et altermondialiste canadienne, sur la scène du sommet alternatif à Copenhague. C’est en arpentant les rues à l’extérieur du Bella Center que l’on croise des militants venus du monde entier témoigner d’alternatives locales et mondiales.

Manger moins de viande

Kathy Bai se tient chaque jour à l’entrée du Bella Center. Son credo : une loi « pour le végétarisme ». Elle offre un sandwich végétal à toutes celles et ceux prenant le temps de s’arrêter : « L’industrie du bétail est responsable d’au moins 50 % du réchauffement climatique. 80 % des enfants souffrant de la faim vivent dans des pays qui exportent des aliments pour nourrir les animaux d’élevage des pays développés », assène-t-elle à ses interlocuteurs. Le végétarisme est pour elle « la première manière de stopper la faim dans le monde et le réchauffement climatique » [2].

Kathy peine à se faire entendre dans son pays - les Etats-Unis - comme au Danemark, qui exporte plus de 85% de sa production de porc. Largement nourris au soja génétiquement modifié selon la Via Campesina, ces élevages de porcs illustreraient « un modèle de gaspillage, de profit et de destruction environnementale et sociale [qui] a fait son temps ». Alors que des alternatives à l’alimentation à base de soja transgénique existent (comment se nourrir sans soja OGM ?).

Agriculture paysanne, droit à la terre et semences locales

En réponse à ce modèle, des paysans ne cessent de manifester pour la souveraineté alimentaire. Autrement dit, le droit des paysans de nourrir le monde et de se nourrir eux-mêmes. « Une conversion massive de la monoculture industrielle à l’agriculture paysanne durable et le développement des marchés locaux permettraient une réduction massive de tous les gaz à effet de serre », assure Josie Riffaud de la Via Campesina, qui regroupe des mouvements paysans du monde entier. Pour Henry Saragih, coordinateur général de ce syndicat paysan, « l’agriculture soutenable c’est aussi l’utilisation des semences locales ». Ces dernières connaissent une appropriation sans borne par les firmes semencières. Selon le rapport 2008 d’ETC Group, dix firmes contrôlent les deux tiers du marché mondial de la semence. « Nous voulons pouvoir conserver, ressemer, échanger et vendre nos semences et nous réclamons aussi le droit à la terre, précise Henry. Sous couvert de l’ONU, les gouvernements ont distribué 9 millions d’hectares dans le cadre de REDD mais sans jamais de compensation pour les personnes expropriées ».

Confier la préservation des forêts aux peuples autochtones

« REDD » est l’acronyme qui revient tout le temps dans la novlangue des négociateurs officiels comme dans les couloirs du Klimaforum. Ce sont les initiales de « reducing emissions from deforestation and forest degradation in developing countries », ou réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement. Une entreprise investissant dans la gestion durable de forêt serait créditée de droits à polluer qu’elle pourrait utiliser ou revendre. La mise en place de ce mécanisme est le seul aspect de la convention climat sur lequel les Etats sont tombés d’accord. Mais pas la société civile : de nombreux militants arborent le T-shirt « no rights = no REDD » (pas de droits = pas de REDD). « Pourquoi ce t-shirt ? Parce que tant que les peuples autochtones ne verront pas leurs droits reconnus dans le mécanisme REDD, nous n’en voudrons pas, précise une militante de la Global Forest Coalition. La solution au changement climatique est dans le respect de la mise en œuvre de leurs droits ».

Les peuples autochtones ne sont pas partie prenantes des négociations alors même qu’ils sont, souvent, les principaux concernés en tant qu’habitants de zones forestières à protéger. Les conventions internationales reconnaissant les droits des peuples autochtones sont pourtant nombreuses : Convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT), Convention sur la diversité biologique, Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ces textes peinent à être appliqués à l’échelle locale comme à l’échelle des Nations-unies. Pourtant, quand les peuples indigènes et les communautés locales acquièrent des droits, ils défendent avec succès leur territoire contre l’exploitation commerciale, montre une étude de l’ONG brésilienne Instituto Socioambiantal. Dans l’Amazonie brésilienne par exemple, seulement 1 % des territoires indigènes sont touchés par la déforestation contre 2 % en moyenne dans les aires protégées, et 19 % en dehors des zones protégées.

Un « new deal » moins polluant pour l’acier

« Est-ce que ce monde est sérieux ? », gronde Ange Benjamin Brida venu de Côte d’Ivoire et invité dans une conférence parallèle aux négociations officielles. Membre des Jeunes volontaires pour l’environnement, il est en colère contre « ce monde [qui] a pour l’instant esquivé les questions fondamentales sur le changement des modes de vie. Il nous faut adopter des plans de développement sobres en carbone ». Des mots qui entrent en résonance avec ceux de Joël Decaillon, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES). Cette dernière a organisé du 14 au 16 décembre un pavillon du monde du travail à proximité du Bella Center. « Nous devons accepter l’idée que nous sommes à la fin d’un système, assure t-il. La question qui bloque, aujourd’hui, c’est la transition de la société vers le développement durable. Une transition juste avec des politiques bas-carbone nécessite du temps. Or les temps du capital financier sont courts et il n’en a rien à faire de l’anticipation. » Pour la fédération européenne des métallurgistes qui avait répondu présente à l’invitation de la CES, « un saut technologique, en particulier dans le secteur de l’acier, est nécessaire pour atteindre l’objectif européen de 80% réduction des émissions d’ici 2050 ». L’industrie sidérurgique est en effet l’un des secteurs les plus polluants en gaz à effet de serre (voir notre palmarès des entreprises françaises les plus polluantes). Les métallos proposent une nouvelle donne pour l’acier.

Des politiques industrielles « à faible intensité carbone »

Du côté du syndicat européen des transports, on regrette « le manque d’initiatives des entreprises. Nous poussons pour des transports verts pour les passagers comme pour le fret ». « Il faut organiser les salariés dans les secteurs émergents, comme les secteurs de la production d’énergie, afin que les syndicats puissent maintenir leur influence et leur pouvoir de négociation », insiste la fédération des travailleurs européens des mines, de la chimie et de l’énergie. En réponse à la Commission 2020 de l’Union européenne qui propose d’accélérer la conversion vers une économie verte, les syndicats se préparent à une grande mobilisation le 24 mars 2010 sur les politiques industrielles à faible intensité carbone.

Des coopératives de recyclage...

Le secteur de l’économie informel bouge aussi. « Les gens s’organisent au niveau mondial contre le changement climatique et la pauvreté en montant des coopératives de recyclage », témoigne Neil Tangry, membre d’un mouvement mondial pour la récupération. « La récupération, la collecte et le recyclage fournissent de l’emploi à des millions de personnes dans le monde. Même dans les pays développés, recycler fournit dix fois plus de jobs par tonne de déchets que les incinérateurs et l’enfouissement des déchets. Mais au lieu de subventionner le secteur du recyclage, on le privatise et on finance les incinérateurs », regrette t-il.

...Et des villes moins dépendantes du pétrole

« Certaines villes ont pris les devants, on les appelle les villes en transition », indiquent des représentants du mouvement des villes en transition. Initié en Grande-Bretagne, ce réseau vise à rendre les villes et leurs habitants moins dépendants des énergies fossiles à l’approche du pic pétrolier, qui marquera le déclin de la production pétrolière. « Les villes en transition sont une manière concrète pour les individus d’agir sur le climat et le défi du pic du pétrole », explique Ben Brangwyn dans une conférence au Klimaforum. Après la petite ville anglaise de Totnes qui a été la première à entamer une politique de transition, on compte aujourd’hui plus de 130 villes en transition dans le monde, principalement au Royaume-Uni et en Irlande, mais aussi en Amérique latine et aux États-Unis.

« Ce sont les habitants qui définissent les solutions qu’ils souhaitent mettre en place. "Le plan de descente énergétique" passe par la multiplication des liens entre acteurs locaux, s’appuyant sur une relocalisation de toutes les activités qui peuvent l’être », témoigne Ben. La mise en place de monnaie locale permet par exemple de faire ses achats chez les commerçants partenaires du projet. Un bon début pour « changer son rapport à la vie », bien loin des préoccupations des chefs d’Etat et de gouvernement qui négocient pourtant notre avenir. Heureusement, les citoyens ont des initiatives et de l’imagination à revendre.

Sophie Chapelle

Notes

[1Du 6 au 19 décembre 2009, les photographes du collectif à-vif(s) sont à Copenhague pour la Conférence des Nations unies sur le climat. En publiant quotidiennement des reportages photographiques et sonores, ils portent un regard subjectif sur une ville, théâtre d’un évènement planétaire surmédiatisé. Chaque jour, en collaboration avec les sites mouvements.info,
Mediapart.fr et m-e-dium.net des collectifs et des organisations participant à l’événement, l’équipe d’à-vif(s) vous convie à suivre en ligne le sommet du climat sous un angle original et décalé.

[2Sur l’industrie de la viande, lire aussi notre interview de Fabrice Nicolino.