Répression

Le Danemark renforce ses pouvoirs de police contre les manifestants

Répression

par Ronack Monabay

Au Danemark, de nouvelles mesures législatives controversées donnent à la police de vastes pouvoirs en matière de détention provisoire et étendent les peines de prison pour les actes de désobéissance civile. Les citoyens européens attendus aux diverses mobilisations autour du sommet de Copenhague ne semblent pas être les bienvenus.

Jeudi 26 novembre, le parlement danois, dominé par les libéraux et les conservateurs avec le soutien du parti d’extrême droite dit du « Peuple Danois », a adopté une nouvelle loi renforçant les pouvoirs de la police dans le cadre des manifestations. Cette loi, proposée le 18 octobre par le ministère de la Justice, a pour but officiel d’instaurer des sanctions suffisamment dissuasives afin d’éviter tout débordement pendant les deux semaines de la conférence onusienne sur le changement climatique. Le point d’orgue de la mobilisation sera la manifestation internationale du 12 décembre.

Minority Report en danois

Le texte procure à la police des pouvoirs élargis en matière d’arrestation préventive et accentue les sanctions à l’encontre des actions de désobéissance civile. La police danoise aura la possibilité d’arrêter les manifestants pendant une durée de douze heures (contre six précédemment) si elle soupçonne ceux-ci de vouloir enfreindre la loi. « Si, par exemple, des manifestants étrangers louent un autocar pour se rendre à une manifestation légale au centre de Copenhague, la police aura la possibilité d’arrêter l’autocar et tous les passagers, même si ceux-ci ont des intentions pacifiques uniquement, parce qu’elle estimera que l’endroit où se rend l’autocar va être le lieu d’affrontements », nous explique l’avocat danois Bjørn Elmquist. La garde à vue pour les « étrangers » (nous ne sommes plus Européens dans ce cas) est portée à 72h, contre 24h pour les Danois.

Au-delà de la garde à vue, si la police considère que les manifestants ont entravé le bon déroulement de son travail, elle pourra les embastiller pendant… 40 jours, sur simple décision d’un procureur ! Enfin, l’amende sanctionnant les actions de désobéissance civile (regroupement après la dispersion d’une manifestation par exemple) augmente drastiquement. Elle s’élève désormais à 403 euros et peut atteindre 603 euros si la police estime qu’il y a eu rébellion lors de l’interpellation.

L’anti-terrorisme appliqué aux écologistes

Le ministre de la Justice Brian Mikkelsen, membre du parti conservateur, a déclaré que le gouvernement avait la responsabilité de sévir contre ceux qui tentaient de saboter le travail de la police. « Nous avons récemment constaté, via les médias, que les activistes planifient des actions illégales pour nuire au travail de la police lors de la conférence. (…) Nous voulons donc avoir à notre disposition un cadre juridique solide et cohérent en cas de troubles civils graves », a-t-il déclaré au quotidien danois Politiken. De son côté, Per Larsen, surintendant de la police de Copenhague, précise que la nouvelle loi ne serait appliquée qu’en cas d’une « situation incontrôlable ».

Nombreux sont ceux qui pensent que le climat politique général danois est propice à faire adopter une loi liberticide à la hâte afin d’entériner une criminalisation des mouvements sociaux. « Le gouvernement profite du sommet climatique pour faire une loi répressive plus générale puisqu’elle restera en application après la conférence », estime l’avocat Bjørn Elmquist. « On a fait exactement la même chose avec les attaques terroristes en 2001 et le soutien du Danemark à la politique américaine. Les partis politiques de droite attendaient depuis très longtemps la possibilité de rendre plus stricte tout notre régime juridique. Ils ont trouvé un alibi. Les sanctions sont durcies pour décourager les citoyens, et notamment les jeunes, de se mobiliser. Les tribunaux ont reçu des instructions du ministère afin de rester disponibles pendant les deux semaines du sommet pour poursuivre les manifestants. C’est d’autant plus facile qu’une partie de l’opposition, autour des sociaux-démocrates, a l’impression qu’il faut argumenter de la même façon que la majorité actuelle pour remporter les élections. »

Une opposition réelle… mais discrète

Une partie de l’opposition parlementaire constituée de l’Alliance Rouge et Verte (extrême gauche) et du parti centriste (progressiste et libéral) a contesté le texte jusqu’au dernier moment en le qualifiant d’anti-démocratique et en posant plus d’une centaine de questions et d’amendements. L’opposition a dénoncé les termes très vagues du texte de loi et a jugé très préoccupant le fait que « les personnes qui ne prennent pas directement part à la protestation mais se trouvent sur les lieux peuvent être arrêtées et condamnées à un maximum de 40 jours ». L’administration pénitentiaire et l’institut des droits de l’Homme ont également exprimé leur opposition.

Fait plus rare, l’association des magistrats danois est montée au créneau en organisant une conférence publique en réponse au ministère de la Justice. « Les magistrats au Danemark travaillent à la Cour et veillent en général à rester les plus neutres possible afin de ne pas se retrouver dans une situation délicate s’ils doivent appliquer une loi qu’ils ont contestée », précise Bjørn Elmquist. « Ils ont critiqué sévèrement les changements en mettant notamment en avant le besoin d’apporter une base juridique plus précise pour justifier l’extension des pouvoirs de la police, ce qui signifie la nécessité d’avoir un contrôle juridique lors de ces arrestations, ce qui n’est pas le cas ici. Enfin, un autre problème soulevé est que la police n’aura pas l’obligation de notifier aux personnes arrêtées ni le motif ou le soupçon à la base de leur arrestation, ni leurs droits – comme la possibilité de voir un avocat afin de contester par la suite cette arrestation – ce qui constitue une atteinte grave aux droits élémentaires ».

« Legal team » et guide juridique

Des activistes environnementaux ont protesté contre la loi, notamment via une lettre publiée par le quotidien britannique The Guardian ainsi que par une pétition. Beaucoup d’organisations se sont contentées d’envoyer des communiqués de presse sans signer l’appel à manifester, préférant sans doute se focaliser sur le sommet climatique à venir. Le collectif « Message from the Grassroots », créé pour dénoncer la dérive islamophobe de la société danoise lors de l’affaire des caricatures de Mahomet, a tenté de fédérer l’opposition à ce projet de loi en organisant un happening et un « sound system » afin de troubler les différentes séances parlementaires. Malgré l’ambiance festive, ces manifestations n’ont pas reçu le soutien des autres organisations et n’ont rassemblé guère plus de 200 personnes, des jeunes pour la plupart.

Alors que cette loi répressive aurait pu être, pour le mouvement social, un formidable moyen de se rassembler par delà ses différences, le sentiment général est que les différentes organisations environnementales, politiques et syndicales sont restées timorées et n’ont pas voulu contester haut et fort cette loi. Est-ce par peur d’apporter de l’eau au moulin du gouvernement qui stigmatise depuis des mois les mobilisations citoyennes à venir ?

Heureusement, le Forum climat de Copenhague (Klimaforum, en anglais) organisera les 8 et 17 décembre deux séminaires sur la coopération des mouvements populaires face à la répression [1]. Ce sera l’occasion de réfléchir sur les façons de lutter efficacement contre la prochaine loi prévue, à savoir la possibilité, suite à son arrestation dans les conditions précédemment décrites, d’expulser vers son « pays d’origine » un manifestant étranger ayant vécu toute sa vie au Danemark !

Ronack Monabay, dans le cadre des programmes Echanges et partenariats

Les personnes se rendant à Copenhague peuvent télécharger ce guide juridique en Français :

Notes

[1Avec, entre autres, le Climate Collective Denmark, Friends of the Earth Sweden, MST/Via Campesina Brazil et Indymedia UK.