Fiscalité écologique

La taxe carbone sera-t-elle juste et efficace ?

Fiscalité écologique

par Sophie Chapelle

La taxe carbone devait entrer en vigueur le 1er janvier 2010. Retardée à cause de son caractère inéquitable, elle est censée inciter chacun à diminuer sa consommation d’énergies fossiles, essence, gaz, fioul ou charbon. Plusieurs associations et syndicats estiment qu’elle ne sera pas efficace écologiquement ni socialement juste. Et proposent une autre approche.

« Ce qu’il faut c’est une fiscalité écologique intelligente », déclarait Ségolène Royal en septembre suite à la proposition socialiste d’une contribution climat énergie. Une fiscalité écologique intelligente ? La proposition est séduisante, reste à définir ce qui la sous-tend. « En théorie, rappelle le Syndicat national unifié des impôts (SNUI), l’objectif de la fiscalité écologique consiste, grâce à l’instauration de taxes ciblées sur l’énergie, sur les transports ou sur la pollution, à changer les comportements. » Ce type de fiscalité se veut donc essentiellement incitatif. L’idée est d’intégrer dans le coût les pollutions induites par la production, la commercialisation et la consommation d’un bien : pollutions, déchets, émission de gaz polluants lors du transport...

Un effet nul pour l’environnement

La taxe carbone, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2010 sera-t-elle une taxe « intelligente » ? Concrètement, en fixant un montant initial de 17 euros la tonne de CO2, cette taxe se traduira par une augmentation de 4 centimes d’euros par litre d’essence. Difficile de préjuger de son efficacité alors même que tous les experts préconisent un prix de départ de la tonne de CO2 d’au moins 32 euros. A l’UFC-Que Choisir, on estime que cette hausse « n’incitera pas les Français à changer de comportement ». L’effet de cette taxe risque donc d’être nul sur l’environnement, d’autant qu’en l’absence d’alternative comme un réseau efficace de transports en commun, le contribuable reste captif de son véhicule. Il n’aura pas d’autre possibilité que de continuer à prendre sa voiture même si le prix à la pompe augmente. Ce système risque en plus de pénaliser les ménages à faibles revenus : ceux qui, chassés par la spéculation immobilière, ont dû s’éloigner des centre-villes ou des agglomérations bien desservies et sont donc dépendants d’une ou deux voitures.

Pour les associations environnementales, une véritable fiscalité écologique doit taxer l’ensemble des énergies et pas seulement les énergies fossiles, fortement émettrices de CO2. « Il faut faire le deuil des matières premières et des sources d’énergies peu chères, explique Laurent Hutinet des Amis de la Terre. La taxe prépare la hausse des prix au lieu de maintenir des solutions non viables quand la hausse surviendra, elle incite à favoriser les restructurations. » La taxation des énergies garantit d’une certaine manière que l’effort est collectif et anticipe de manière choisie la diminution de la consommation qui s’imposera à terme. Avec les ressources dégagées via cette taxation, un investissement public pourrait être envisagé dans l’isolation des logements ou dans les transports publics notamment.

Pas de financements pour les politiques « vertes »

Le gouvernement ne voit pas les choses de cette manière et propose la neutralité fiscale : la taxe carbone se voit ainsi compensée par une réduction d’impôts et des chèques verts pour ceux qui n’en paient pas. Pas un centime n’ira dans les caisses de l’Etat pour financer de nouveaux modes de déplacement par exemple. « Il est nécessaire d’inscrire la fiscalité écologique dans une démarche globale d’une fiscalité conçue non seulement comme incitative, mais également comme outil de redistribution et de reconversion des modes de production et de consommation », indique Geneviève Azam, du conseil scientifique de l’association altermondialiste Attac.

Certains pays ont ainsi fait le choix de dégager des recettes spécifiques afin de mener des politiques publiques d’amélioration du logement et du transport, créant une « commission verte » chargée de percevoir et d’utiliser le produit des écotaxes. « L’affectation au budget de l’Etat est contradictoire avec le destin d’une ecotaxe qui est de voir son assiette, donc son rendement baisser », nuance Vincent Drezet, du SNUI. Si la taxe se révèle vraiment efficace, les comportements changeront et les recettes baisseront. Asseoir le financement de l’action publique sur les taxes écologiques se révèle donc insuffisant à moyen terme.

Pour le SNUI, « il serait parfaitement possible de mettre en œuvre une politique « verte » financée par une fiscalité juste, sans même qu’une écotaxe soit créée. » Comment ? En faisant de l’impôt sur le revenu le pivot du système fiscal. Dénigré par la droite comme par la gauche, l’impôt sert au contraire à financer l’action publique, à corriger les inégalités et à inciter à modifier certains comportements. « Les ressources issues d’une fiscalité réformée, plus juste car plus redistributive peuvent parfaitement être mobilisées pour une politique « verte » », précise Vincent Drezet. Cela signifie que cette fiscalité soit plus contraignante pour les riches, qui sont aussi, en général, les plus gros pollueurs par leur mode de vie. Cela est très loin d’être le cas. Les grandes entreprises les plus polluantes, qui peuvent s’échanger des « droits à polluer » sur les marchés carbone, seront d’ailleurs exonérées de cette taxe.

Sophie Chapelle