Minority Report

Les usagers du métro parisien bientôt espionnés par la publicité

Minority Report

par Marc Endeweld

La RATP et sa régie publicitaire Metrobus prévoient le déploiement dans les couloirs du métro parisien de 1200 écrans publicitaires interactifs, qui seront capables d’espionner les réactions et comportements des passants… Cinq associations assignent le « service public » au tribunal.

Jour après jour, la réalité dépasse toujours un peu plus la fiction. Concernant l’accès au « temps de cerveau humain disponible » si cher à Patrick Le Lay, l’ancien PDG de TF1, les publicitaires et les industriels de la surveillance, disposent désormais de trouvailles technologiques proches de celles exposées dans les films d’anticipation comme Blade Runner ou Minority Report…
Car l’urgence est là : l’attention portée aux programmes de télévision « de masse » ne fait que diminuer d’années en années, notamment chez les jeunes générations. D’après les chiffres de Médiamétrie, la chaîne TF1 a enregistré sur la semaine du 16 au 22 mars 2009, une part d’audience de 25,6% contre 26,8% une semaine avant. Rappelons également que la part d’audience sur la semaine du 2 au 8 mars 2009 était de 27,5%.

Des écrans partout…

Dans notre environnement, les écrans se multiplient : en France, on compte désormais 31 millions de télés, 55 millions de mobiles, 30 millions d’ordinateurs. Sans parler des consoles, webcams, GPS, appareils photo numériques... Dix écrans rayonnent en moyenne dans chaque foyer, selon la Sofres. Au Japon, on peut déjà lire son journal ou un roman sur un écran tactile.

Mais devant la baisse d’audience de la télévision traditionnelle, les annonceurs cherchent néanmoins à continuer d’abreuver d’images de pub ce réservoir de jeunes et moins jeunes (potentiels) consommateurs.
C’est là qu’interviennent les nouvelles technologies, et l’invasion dans l’espace public d’écrans à vocation publicitaire. Ainsi, la RATP et sa régie publicitaire Metrobus (filiale de Publicis et de JCDecaux) a décidé l’installation de 1 200 dispositifs publicitaires animés avec des écrans LCD haute définition, hauts de 1,60 mètre (écrans à cristaux liquides). Quatre écrans sont déjà actifs à la station Étoile, et 400 autres sont prévus d’ici à fin juin 2009. Par ailleurs, 800 écrans doivent être installés dans les gares SNCF d’ici à la fin de l’année 2009.

…truffés de capteurs !

Écrans équipés de capteurs qui permettront d’analyser le comportement des passants et de recueillir des informations sur eux… Dans un premier temps, ils pourront mesurer le nombre de personnes qui passent et analyser leurs réactions afin de détecter quel élément de l’image a retenu leur attention. Selon l’AFP, ces capteurs pourront également calculer le temps d’arrêt de chaque usager devant le mobilier. Et, à terme, ces capteurs pourraient aussi donner des informations sur l’âge et le sexe des passants réceptifs à chaque campagne !
Enfin, à la fin du premier semestre 2009, les panneaux pourront communiquer en Bluetooth (technologie de communication sans fil) avec les téléphones mobiles compatibles des usagers de la RATP et leur envoyer des publicités ou des coupons de réduction, même si Maurice Levy, PDG de Publicis, a déclaré dans 20 minutes que, en ce qui concerne l’acceptation des publicités sur les téléphones portables, « la démarche resterait volontaire de la part du consommateur ».

Pas d’autorisation de la préfecture

Et bien sûr, ce dispositif n’a pas fait l’objet d’une demande d’autorisation en préfecture puisque, selon Métrobus, il ne s’agit pas d’un système apparenté à de la vidéosurveillance… Cinq associations (Résistance à l’agression publicitaire, Souriez vous êtes filmés, Big brother awards, Robin des toits et Le Publiphobe) viennent d’assigner la RATP et sa régie publicitaire Métrobus devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Paris, pour leur projet d’installation massive d’écrans publicitaires « espions » dans les couloirs du métro parisien.

Quand JC Decaux se lance dans le numérique…

Mais cette expérience avec la RATP risque de se généraliser. Depuis deux ans, JC Decaux, le numéro un mondial du mobilier urbain s’est lancé dans le numérique, en partenariat avec l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique). Conséquence : panneaux d’affichages, colonnes Maurice, abris bus… seront bientôt remplacés à Paris par une nouvelle génération de mobiliers « communicants ».

« Le futur de la Ville est de devenir à terme un vaste espace communicant constitué de nouvelles formes de boîtes de dialogue, s’enthousiasme ainsi Albert Asseraf, directeur Stratégies, Etudes et Marketing de JC Decaux. La multitude de services en ville (orientation, localisation de points remarquables, transports…) trouvera ainsi un relais au sein du réseau physique JCDecaux ». Comme pour le Velib, on présente le projet comme une opportunité de rendre de nouveaux services à ces chers citadins de plus en plus pressés et perdus dans la grand ville : « L’information diffuse a pour objectif d’assister implicitement les individus dans leur vie quotidienne », nous explique-t-on sur la plaquette de partenariat entre JCDecaux et l’INRIA.

… et rêve d’une ville 2.0

Mais derrière ce souci « d’assistance », l’objectif de l’entreprise est clair : devenir incontournable dans la diffusion de la publicité « mobile » en faisant valoir auprès de ses clients la densité de son réseau de mobiliers urbains dans les plus grandes mégalopoles. Bref, bientôt ces mobiliers seront autant de mouchards publicitaires pour le paisible citoyen.

Car l’idée est bien de profiter des nouvelles technologies pour étendre les éléments du monde virtuel au monde physique. Passer du Web 2.0 à la ville 2.0. Autrement dit, rendre les promeneurs équipés de portables totalement transparents, en leur envoyant des messages publicitaires « ciblés » en fonction des informations récupérées via leur portable. Comme lorsque les internautes surfent sur Google, et laissent des traces sur leurs goûts, leurs habitudes… Ouvrez les yeux, c’est la réalité.

Marc Endeweld