Vague de licenciements

Au moins 20.000 suppressions d’emplois ne sont pas liées à la crise

Vague de licenciements

par Ivan du Roy

La crise a bon dos. Parmi la multitude d’entreprises, grandes ou moyennes, qui ont annoncé des suppressions de postes dans les mois à venir, certaines le font par pur opportunisme financier, comme le révèle notre tableau. Au regard de leurs résultats et bénéfices, leurs plans de licenciements n’ont rien à voir avec de quelconques difficultés économiques. Pendant que la crise sociale frappe à la porte de dizaines de milliers de salariés poussés vers la sortie, les gros actionnaires continuent de percevoir des centaines de millions d’euros de dividendes.

Parmi les vagues de licenciements ou de « départs volontaires » les plus massives, nous avons ciblé dix grandes entreprises et multinationales. Additionnés, les emplois qu’elles s’apprêtent à détruire représentent plus de 40% des 52.700 suppressions de postes annoncées ou redoutées [1] au 1er décembre 2008 (soit 22.357 victimes de « restructurations »). Loin de connaître les réelles difficultés économiques que rencontrent des centaines de PME, ces dix entreprises affichent un « résultat net » en 2007 qui oscillent entre 700 millions et 8 milliards d’euros. Le résultat net, c’est le patrimoine financier que l’entreprise a accumulé sur une année d’activité, une fois les salaires (y compris ceux des dirigeants) versés, les coûts de production déboursés, les éventuels investissements effectués, les bénéfices engrangés et les impôts acquittés. Ce résultat net sert ensuite soit à rémunérer les actionnaires, soit à renforcer les fonds propres de l’entreprise.

En 2008, pour les entreprises qui ont publié leurs bénéfices (pour le premier semestre ou les neufs premiers mois), ce résultat net reste très honorable malgré la récession. Il diminue légèrement, stagne, ou même augmente dans le cas du groupe informatique Hewlett-Packard - qui a annoncé 580 licenciements en France et 25.000 dans le monde – et du géant pharmaceutique Pfizer qui réduit de moitié ses effectifs dans l’Hexagone. Une seule société enregistre un effondrement de son résultat net : la Caisse d’Epargne, dont 4.500 salariés vont payer les erreurs d’un trader responsable de la perte de 751 millions d’euros en octobre et les errements financiers de la filiale Natixis [2].

Groupe PSA*RenaultCaisse d’EpargneArcelor MittalSanofi Aventis
Secteur Automobile Automobile Banque Siderurgie Pharmacie
Suppressions d’emplois 6645 4900 4500 1995 1277
En % de l’effectif (France) 6% 8% 9% 7% 4,50%
Resultats nets 2007 (euros) 0,9 milliard 2,7 milliards 1,4 milliards 8 milliards 5,7 milliards
Resultats nets 2008 (euros) 1,6 milliards (1) 21 millions (1) 5,4 milliards (2)
Dividendes verses en 2007 309 millions (3) 860 millions 1,3 milliards (3) 2 milliards (3)
Dividendes verses en 2008 300 millions 1,5 milliards
Rentabilite financiere (2007) 5,60% 12,30% 19,20% 12,70%
PDG Christian Streiff Carlos Ghosn Charles Milhaud Lakshmi Mittal Chris Viehbacher
Remunerations du PDG (par an} 1,9 millions 3,4 millions 1,6 millions 2,7 millions 1,2 - 2,4 millions

Notes du tableau :

* dont Faurecia et Peugeot Motocycles, (1) 1er semestre 2008, (2) Neuf premiers mois 2008, (3) Chiffres 2006, sachant que le montant des dividendes a progressé en moyenne de 20% de 2006 à 2007.


PfizerLa Redoute (PPR)AdeccoHewlett-PackardAmora (Unilever)
Secteur Pharmacie Vente et luxe Travail temporaire Informatique Agro- alimentaire
Suppressions d’emplois 892 672 600 580 296
En % de l’effectif (France) 50% 11% 6%
Resultats nets 2007 (euros) 5,8 milliards 1 milliard 743 millions 5,7milliards 4,1 milliards
Resultats nets 2008 (euros) 7,8 milliards (2) 517 millions (2) 8,3 milliards
Dividendes verses en 2007 770 millions 180 millions
Dividendes verses en 2008 433 millions (1)
Rentabilite financiere (2007) 9,70% 24,70% 19,00% 36,20%
PDG Jeffrey Kindler Francois-Henri Pinault Dieter Scheiff Mark Hurd Patrick Cescau
Remunerations du PDG (par an} 6,6 millions 2,73 millions 17,5 millions 3,77 millions

Notre tableau précise, quand l’information est accessible, les dividendes qui ont été versées aux actionnaires en 2008 et lors des années précédentes. Pour exemple, les 6.645 suppressions d’emplois décidées par le groupe automobile PSA - y compris dans ses filiales Faurecia (équipementier automobile) et Peugeot motocycles, qui délocalise une partie de sa production en Chine - sont à mettre en relation avec les 300 millions d’euros qui seront versés aux actionnaires en 2008. Ces 300 millions auraient pu servir à préserver 8300 emplois au salaire médian (1500 euros mensuels) pendant un an.

Au regard des dividendes versés aux actionnaires, ni l’industrie automobile, ni la vente par correspondance, encore moins la sidérurgie, ne semblent en crise. Malgré la fermeture provisoire de ses usines et une chute de la production, Renault devrait cependant assurer à ses actionnaires (dont l’Etat) le niveau de leurs dividendes perçus en 2007 (860 millions d’euros). Arcelor-Mittal se permet même de les augmenter malgré la suppression de 9.000 emplois à travers le monde, « à cause des effets de la conjoncture », explique son directeur général Daniel Soury-Lavergne. Pas de problème de conjoncture pour la famille du milliardaire indien Lakshmi Mittal, qui possède 43% du groupe sidérurgique. Elle recevra en 2008 la coquette somme de 637,4 millions d’euros au titre de leur participation. De quoi rémunérer 17.500 personnes au salaire de 1500 euros brut pendant un an.

41 milliards de dividendes en 2008 : vive la crise !

La rentabilité financière de ces entreprises pour les investisseurs se porte bien, même très bien. Elle va de 5,6% pour Peugeot-Citroën à 36,2% [3] pour le groupe agro-alimentaire états-unien Unilever, qui ferme l’usine historique d’Amora à Dijon. La plupart des dividendes versées en 2007 seront reconduites en 2008, ce qui maintiendra le niveau de rentabilité. Les actionnaires des entreprises du CAC 40 avaient touché 39 milliards d’euros de dividendes en 2007 et 31 milliards en 2006. Pour 2008, celles-ci augmenteront même de 5% en moyenne : 41 milliards sortiront des trésoreries des grandes entreprises pour récompenser les actionnaires de leur fidélité. De quoi regonfler la bulle financière. Le sacrifice des salariés poussés vers la sortie ne sera pas vain.

Les rémunérations des dirigeants ne semblent pas souffrir non plus de la terrible crise. Tous perçoivent de généreux émoluments supérieurs à un million d’euros annuel. Le record est détenu par l’Américain Mark Hurd et ses 17,5 millions d’euros. Sûrement à titre de compensation pour devoir assumer la terrible décision de supprimer près de 10% de l’effectif mondial de Hewlett-Packard. Ce haut niveau de salaires permettra à ces efficaces managers de se refaire rapidement après avoir sans doute perdu des plumes dans des placements hasardeux. Ce qui ne sera pas le cas des milliers de salariés des boîtes qu’ils dirigent qui toucheront bientôt leurs indemnités chômage ou de pré-retraite.

Ivan du Roy

Illustration de une : Attac (comité Paris 19e)

Notes

[1D’après le recensement établi par L’Expansion, janvier 2009

[2« L’écureuil » n’est pas la propriété d’actionnaires mais de sociétaires qui sont les clients de la Caisse d’Epargne

[3Selon le centre de ressources sur l’information financière Cofisem, dont les données sont régulièrement publiées par la presse économique