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Non, le déficit du régime des retraites par répartition n’est pas alarmant

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par Rachel Knaebel

Pour faire passer son projet de réforme, le gouvernement multiplie les discours alarmistes sur le déficit du régime actuel. Sauf que celui-ci n’est pas si important et qu’il pourrait être facilement comblé. Explications.

Le gouvernement est manifestement prêt à tordre les faits et les chiffres pour vendre son projet de réforme des retraites. Fin novembre, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a rendu publique sa dernière analyse sur le déficit du régime actuel de retraites. Le COR est un groupe d’experts, de parlementaires, de représentants syndicaux et patronaux, chargé d’étudier les perspectives à moyen et long terme du système de retraite français [1].

L’organisme avait déjà rendu un rapport en juin. La grève du 5 décembre s’annonçant massive, le gouvernement en a commandé un nouveau [2]. Pour l’économiste Henri Sterdyniak, membre des Économistes atterrés, l’objectif du gouvernement est clair : « Il s’agit de montrer que le système est déficitaire et donc qu’il faut des mesures de correction avant 2025, date envisagée de mise en place de la retraite par points », écrit-il.

Le pays où les retraités sont les moins pauvres d’Europe

C’est le cœur de la réforme : remplacer le système actuel par répartition, qui fonctionne par annuités (en fonction des trimestres travaillés) et par la prise en compte des meilleurs revenus pour calculer le montant de la pension, par un système à points. En garantissant un revenu après la « vie active », ce système par répartition a permis à la France d’afficher le taux de pauvreté le plus faible d’Europe parmi les plus de 65 ans : 8,3 % des retraités y vivent sous le seuil de pauvreté contre 15,9 % en moyenne pour l’Union européenne, et plus de 18 % en Allemagne ou au Royaume-Uni selon Eurostat.

Au contraire, dans un système à points, les travailleurs ne peuvent pas savoir au moment où ils cotisent à combien ils auront droit au moment de prendre leur retraite. Cette réforme risque fort, si elle est mise en œuvre, de faire baisser le niveau général des retraites, et d’appauvrir une grande partie des retraités.

La stratégie du gouvernement : faire croire que le déficit est dramatique

Que dit le nouveau rapport du COR ? Que le déficit du régime actuel devrait se situer entre 8 et 17 milliards d’euros en 2025. Et ce pour l’ensemble des régimes de retraites, dans l’hypothèse que les cotisations restent fixes.

Après la publication de ces prévisions, le Premier ministre Edouard Philippe devait rencontrer les partenaires sociaux. « Je vais leur demander très simplement, très directement : voilà, il y a ça, qu’est-ce que vous proposez de faire ? Est-ce que vous considérez que l’équilibre ce n’est pas grave, on laissera plus tard à nos enfants, ils se débrouilleront, ou est-ce que vous considérez que, il y a un vrai sujet, et dans ce cas-là comment est-ce qu’on le règle ? », annonçait-il sur les ondes de France Inter le 21 novembre. Voilà donc la stratégie de com’ du gouvernement : faire croire que le trou dans le régime des retraites est dramatique.

« Ce rapport, commandé par le gouvernement, a mis en lumière sa volonté de réaliser des économies sur les pensions des actuels retraités et des personnes qui partiront à la retraite d’ici à 2025, avant même l’entrée en vigueur de son projet de régime de retraite par points », estime de son côté le collectif citoyen Nos retraites.

La réalité est bien différente. « Le système actuel a un petit déficit, de l’ordre de 10 milliards d’euros, sur 300 milliards. Il est donc somme toute équilibré », expliquait à Basta! l’économiste Michaël Zemmour en octobre. « Il n’est pas du tout question d’un système qui serait à découvert et dont il faudrait éponger les dettes. Le problème, c’est que depuis des années, pour l’équilibrer, on fait baisser les pensions », ajoutait-il.

Des réserves prévues justement pour combler le déficit

Ce déficit n’est donc pas aussi alarmant que le gouvernement voudrait le faire croire. En plus, il pourrait être comblé. En effet, en 1999, le gouvernement socialiste de Lionel Jospin avait créé le fonds de réserve des retraites destiné justement à financer le déficit du régime des retraites à partir de 2020. Nous y sommes. Et l’argent est là. Fin 2017, le fonds de réserve disposait d’un actif de 36,4 milliards d’euros. Le double du pire scénario déficitaire envisagé. Le chiffre est justement indiqué dans le dernier rapport du COR.

Même sans faire appel à ce fonds, le déficit mis en avant depuis des semaines est « construit de toutes pièces », selon Henri Sterdyniak. Ce « pseudo déficit provient essentiellement de la baisse des ressources affectées au système, en raison de la forte baisse de la part de la masse salariale du secteur public, de la non compensation de certaines exonérations de cotisations sociales, de la baisse des transferts de l’Unedic et de la Caisse nationale des allocations familiales », défend l’économiste dans une note.

Il s’agit d’un déficit construit en grande partie par les politiques de suppression de l’emploi public et d’allègement de cotisations sociales qui profitent surtout aux employeurs. « La quasi-totalité du déficit provient donc de l’austérité salariale et de la baisse des effectifs publics. C’est la double peine : les salaires stagnent, les effectifs publics décroissent ; c’est un argument pour baisser les retraites », résume l’économiste.

Avec la réforme, les plus riches ne participeront quasiment plus à la solidarité entre générations

Il existe pourtant des propositions pour maintenir à l’équilibre le régime des retraites par répartition, sans faire baisser les pensions ou reculer l’âge de départ. Comme jouer sur le niveau des cotisations : une possibilité serait par exemple de ne pas exonérer de cotisations au régime général les plus hauts salaires.

C’est tout le contraire que propose Jean-Paul Delevoye, en charge du dossier au sein du gouvernement. Leur projet de réforme veut permettre aux salariés très aisés, ceux qui gagnent plus de 10 000 euros bruts par mois, de sortir du régime général et de ne plus participer à la solidarité entre générations. Aujourd’hui, seuls les salariés qui sont au-dessus de 27 000 euros par mois ont cette possibilité.

Dorénavant, si le projet passe, les salariés qui gagnent plus de 10 000 euros par mois – entre un demi-million et un million de personnes – ne cotiseront plus au régime général pour la part de leur salaire au-dessus de ce seuil. Plus précisément, ils n’y participeront qu’au taux de 2,8 % à partir de ce qu’ils touchent au-delà de 10 000 euros, au titre de la solidarité. Pour les travailleurs qui gagnent moins, le taux de cotisation sera de 28 %. Comme les salariés très aisés ne bénéficieront plus du régime général, cette mesure va automatiquement les pousser vers les retraites par capitalisation, vers des placements sur les marchés boursiers.

Les plus riches ne participeront donc quasiment plus au financement du régime des retraites à la hauteur de leurs très gros revenus, alors qu’ils sont ceux qui vivent plus longtemps. En France, les 5 % les plus aisés disposent d’une espérance de vie (84 ans) supérieure de 13 ans à celle des 5 % les plus pauvres (71 ans) pour les hommes, et de huit ans pour les femmes [3]. Une réforme juste et égalitaire, vraiment ?

Rachel Knaebel

Photo : Eros Sana

Suivez les mobilisations du 5 décembre et après sur le Portail des médias libres de Basta! : portail.basta.media

Voir la réforme expliquée en BD par Emma

Notes

[1Voir la composition du COR ici.

[2Voir le rapport et sa synthèse ici.

[3Les hommes les plus pauvres ont une espérance de vie de 71 ans seulement, contre 84 ans pour les plus riches. Pour les femmes, les plus pauvres vivent en moyenne jusqu’à 80 ans, contre plus de 88 ans pour les plus aisées. Voir « L’espérance de vie par niveau de vie : chez les hommes, 13 ans d’écart entre les plus aisés et les plus modestes », Insee, févier 2018