Dérèglement climatique

Et pourquoi pas une taxe carbone européenne ?

Dérèglement climatique

par Maxime Combes

Les marchés carbone instaurés par l’Union européenne étaient censés inciter les grandes entreprises à réduire leurs émissions de CO2. Cela ne fonctionne pas. Faut-il donc réguler davantage ces marchés ou mettre en œuvre une fiscalité carbone à l’échelle européenne ?

Début janvier 2010, Michel Rocard affirmait qu’il fallait « supprimer le marché des quotas de CO2 au profit d’une taxe carbone européenne ». Début avril, la Commission européenne publiait les premières données 2009 portant sur les émissions de carbone de 90 % des 12.570 sites industriels européens soumis à des plafonds et à la distribution de quotas d’émission échangeables sur le marché européen du carbone. À leur lecture, le minimum serait de discuter sérieusement la proposition de l’ancien Premier ministre.

Bien qu’incomplètes, ces données indiquent clairement la tendance. En pleine récession économique, les émissions des principales installations industrielles européennes ont diminué de plus de 11 %, passant de 1,9 milliard de tonnes en 2008 à 1,7 milliard en 2009. C’est, de loin, la plus forte réduction depuis la mise en place du marché du carbone européen en 2005. Au prix de la tonne carbone (12,50 euros environ), cette forte réduction n’a pas été suscitée par l’espéré caractère incitatif du marché, mais par la diminution de la production industrielle en Europe. Au point que de nombreuses industries européennes, qui ont obtenu gratuitement une quantité de quotas très généreuse, disposent aujourd’hui de permis d’émission en très forts excès. Le top 10 de ces installations, dont trois appartiennent à ArcelorMittal, sont toutes des usines sidérurgiques qui détiennent un surplus de 63 millions de quotas, soit l’équivalent de 900 millions d’euros sur le marché actuel. Les cimentiers sont également bien logés : Lafarge aurait engrangé 142 millions d’euros de la vente de ses surplus de quotas en 2009. Ces résultats sont bien éloignés des déclarations larmoyantes des industriels français s’inquiétant, avec la taxe carbone de Nicolas Sarkozy, d’être soumis à une double imposition !

Comme vient de le reconnaître, le toujours responsable des négociations climat de l’ONU, Yvo de Boer, la trop large distribution gratuite des quotas depuis 2005 « a permis aux entreprises de s’habituer au système d’échange d’émissions sans être immédiatement sous une contrainte énorme ». C’est le moins que l’on puisse dire. L’augmentation progressive du prix de la tonne carbone devait inciter les entreprises à transformer leurs processus de production de façon à les rendre moins carbonés. En ajoutant, à une allocation de quotas très généreuse, les certificats d’émission obtenus des mécanismes de compensation internationaux organisés par le protocole de Kyoto, les entreprises multinationales n’ont eu aucun mal à trouver des droits d’émission bon marché, et donc peu incitatifs. Le prix de la tonne carbone est même tombé à quelques centimes d’euros fin 2006. La Deutsche Bank a reconnu en octobre 2009 que les marchés du carbone n’incitaient pas à des « investissements propres ».

Une régulation draconienne de la finance carbone est envisageable

Cumulant une incapacité réelle d’orienter efficacement les comportements des entreprises et des dysfonctionnements majeurs – de la fraude à la TVA au piratage informatique des registres de quotas – le marché du carbone européen est à la croisée des chemins. Ne rien changer mène à une impasse. Impasse dont les industriels européens savent s’accommoder par une faible réduction domestique de leurs émissions et la valorisation de profits supplémentaires tirés de la finance carbone. Une double peine, en quelque sorte. Deux pistes alternatives existent. D’un côté, une régulation draconienne de la finance carbone est envisageable : des objectifs de réduction de 40 % d’ici à 2020 au lieu de 20 % ; la mise aux enchères de la totalité des quotas distribués à l’inverse du récent choix de la Commission européenne de conserver 75 % de quotas gratuits après 2013 ; l’introduction d’un prix plancher pour la tonne carbone ; la non-convertibilité des certificats obtenus par les mécanismes de flexibilité afin d’assurer une réduction domestique des émissions ; l’interdiction des marchés dérivés. Exigeant et très improbable, si l’on en juge par les mini-mesures visant à encadrer la finance traditionnelle suite à la crise.

Sur l’autre versant se trouve la proposition de Michel Rocard. La suppression du marché de quotas européen rassurerait les craintes de voir la finance (mal) réguler le climat, hors de toute exigence environnementale et de toute justice. Pour ne pas être qu’un slogan inefficace, cette suppression pourrait justifier la création d’une taxe carbone européenne portant sur l’ensemble des échanges de biens et services en Europe. À l’inverse de la taxe carbone aux frontières, elle ne serait pas un instrument de compétition économique traditionnelle visant à stigmatiser les productions – et les pays – que nos politiques publiques ont contribué à délocaliser. Le produit de cette taxe pourrait financer la transition écologique de nos sociétés par des politiques novatrices et véritablement communautaires, notamment concernant la rénovation de l’habitat ancien et la politique de transports.

La mise en œuvre d’un tel impôt à l’échelle européenne n’est guère plus probable, à court terme, que les propositions de régulation draconienne évoquées ci-dessus. Il est certes permis d’espérer que les gouvernements européens, incapables d’assurer un réel leadership à Copenhague, prennent aujourd’hui des mesures à la hauteur des enjeux. Cependant, et sans attendre, ONG, associations, syndicats pourraient s’en inspirer et construire une proposition concrète pour qu’elle soit débattue publiquement. À l’heure où l’on s’interroge légitimement sur la politique économique européenne, l’occasion serait donnée de montrer que d’autres politiques publiques sont possibles pour construire l’Europe sociale, écologique et démocratique dont nous avons besoin.

Maxime Combes, économiste, membre de l’Aitec.