Santé

Encore une loi sécuritaire pour la psychiatrie

Santé

par Martin Terrier

Le gouvernement va présenter très prochainement une large réforme de la psychiatrie publique. Une circulaire accroit notamment le pouvoir du préfet sur des décisions d’ordre médical, au détriment du personnel de santé. Un pas de plus dans une logique sécuritaire, au mépris du soin.

Une réforme de la psychiatrie publique sera présentée dans les prochaines semaines en Conseil des ministres [1]. Elle devrait entériner la plupart des mesures énoncées par le Président de la République lors de son intervention à l’hôpital d’Antony, le 2 décembre 2008. Un discours prononcé après un fait divers tragique : un patient schizophrène, hospitalisé d’office dans l’établissement de Saint-Egrève, près de Grenoble, s’enfuit et agresse mortellement un passant. Les mesures proposées sont essentiellement coercitives : ouverture de quatre Unités pour malades difficiles (UMD) supplémentaires, renforcement des conditions de sécurité dans les établissements existants, création de centaines de lits sécurisés et durcissement des conditions d’application des sorties d’essai. Figure également un temps initial d’hospitalisation limité à 72 heures - telle une garde à vue d’évaluation sanitaire - ou encore la procédure pour le moins improbable de « soins ambulatoires sans consentement ».

Quand le préfet décide des sorties de l’hôpital

Cette réforme à venir est d’ores et déjà introduite par des décisions et textes annexes. Elle est une refonte de la loi relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation [2]. Les budgets publics envisagés en décembre 2008 aux fins de la construction de nouvelles UMD ont été crédités dès début 2009. Quant aux législations préalables, la circulaire du Code de la santé publique parue le 11 janvier dernier donne d’emblée le ton.

De quoi s’agit-il ? Le Code la santé publique (article L3211-11) définit les conditions des sorties d’essai dont peuvent bénéficier les patients hospitalisés sous contrainte (hospitalisation d’office ou hospitalisation à la demande d’un tiers). Cette sortie d’essai constitue un outil médico-social majeur pour les équipes soignantes : c’est le moyen le plus pertinent pour évaluer progressivement l’amélioration de la santé du patient et ses potentialités de retour graduel à la vie sociale. Mais les conditions d’application de ces sorties d’essai viennent donc d’être largement restreintes dans une circulaire signée conjointement par Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur, et Roselyne Bachelot, ministre de la Santé. Une décision qui subordonne comme jamais la santé publique à une dynamique sécuritaire.

Le psychiatre qui fait la demande d’une sortie d’essai est appelé à argumenter sa requête avec force détails. Et la décision restera du seul ressort du Préfet qui dispose au minimum de 72 heures pour rendre avis. Il est invité dans ledit texte à « apprécier les éventuelles conséquences en termes d’ordre et de sécurité publics » et à « évaluer au regard d’éléments précis et objectifs les conséquences éventuelles de la mesure ». Autant dire une forte responsabilisation, sinon une pression politico-législative, qui risque fort de dissuader nombre de préfets d’accorder la sortie sollicitée. Ce qui entraînera un cortège d’effets désastreux : engorgement de services déjà saturés et réduction de l’offre de soins, rupture de contrat thérapeutique, résignation des équipes et des patients devant des projets avortés...

Pas de recours possible pour le personne médical

On comprend mieux encore le caractère régressif et liberticide de la même circulaire à la lecture de cette précision : « Au regard de la jurisprudence administrative actuelle la sortie d’essai constitue une mesure relevant du traitement hospitalisé. Son acceptation ou son refus ne constitue pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Un recours dirigé contre elle est donc irrecevable ». En clair, l’équipe médicale ne pourra contester un éventuel refus du préfet d’autoriser une sortie d’essai, encore moins le patient (qui garde cependant le droit de faire appel à son hospitalisation). Pour le psychiatre Pierre-Yves Dennielou, il y a donc bien un « excès de pouvoir potentiel » contre des citoyens qui seront demain « retenus par ces décisions sans recours » [3]. L’administration préfectorale devient donc partiellement juge du type de traitement dont peut bénéficier un patient. Une pente excessivement dangereuse.

Une même et vive inquiétude est ressentie par la grande majorité des professionnels. Le Collectif psychiatrie via le Groupe des 39, initiateur l’an dernier de l’appel contre la « nuit sécuritaire », tente de fédérer ces réactions. « Par la rédaction de cette circulaire, l’Etat stigmatise les équipes de soin, jugées laxistes ou incompétentes, s’autorise à restreindre les droits des patients et poursuit le chemin de leur ségrégation », dénonce un communiqué de « L’appel des 39 ». 30.000 signatures ont été rassemblées jusqu’ici, mais sans qu’elles puissent infléchir une politique sécuritaire comme jamais la psychiatrie publique n’en a connue. Quelle régression en effet que de devoir rappeler, comme ne le cesse de le faire aujourd’hui Guy Baillon, psychiatre et figure tutélaire du secteur psychiatrique, que « ni les lois, ni les murs ne soignent la folie, ce sont les hommes » [4] : ce qui était devenu une évidence pour tous depuis des décennies ne l’est plus.

Martin Terrier

Notes

[1dans un volet spécifique hors la loi cadre « Hôpital, patients, santé et territoires »

[2Loi 90-527 du 27 juin 1990

[3Mediapart, le 2 février 2010

[4Mediapart, 19 février 2010