Croissance verte ?

Le palmarès des entreprises françaises les plus polluantes

Croissance verte ?

par Agnès Rousseaux, Ivan du Roy

Dix grandes entreprises françaises, ou implantées en France, sont responsables de près d’un quart des émissions françaises de CO2. Soumises à un système de quotas et de droits d’émissions de gaz à effet de serre, elles seront cependant exonérées de taxe carbone… Basta publie en exclusivité cette liste des plus gros pollueurs.

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Ménages et citoyens sont invités à peser quotidiennement les conséquences de leurs gestes sur l’environnement. Recycler ses déchets, éteindre les lumières superflues et les appareils en veille, privilégier les transports en commun (quand ils existent), ne pas gaspiller l’eau du robinet, scruter les étiquettes des produits de consommation, payer l’écotaxe sur les appareils électriques et désormais la taxe carbone… Les campagnes de sensibilisation ne manquent donc pas et la pression fiscale s’accentue. Le secteur dit « résidentiel et tertiaire », qui inclut l’habitat (et donc nos usages en matière d’électricité, de chauffage, d’eau chaude, de cuisson…), représente 21% des émissions de CO2 en France, derrière les transports (34%) et l’industrie manufacturière (24%). A l’approche du sommet de Copenhague, ces messages à l’égard des consommateurs se multiplient. Ce discours, parfois culpabilisateur, surévalue souvent les marges de manœuvre des ménages. Surtout, il n’évoque quasiment jamais les pratiques énergétiques et industrielles des entreprises.

Acier, pétrole et cimentiers

La France émet chaque année 397 millions de tonnes de CO2 [1]. A elles seules, dix entreprises sont responsables de 21% de cette pollution, selon les données du Plan national d’affectation des quotas d’émissions de CO2 (approuvé par la Commission européenne) que nous avons croisées avec celles de la société d’information « Carbon Market Data ». Trois grands secteurs industriels sont concernés : l’énergie (pétrole, gaz, électricité), le BTP (ciments et chaux) et la sidérurgie. Sur le podium des pollueurs, on retrouve trois géants : celui de l’acier, ArcelorMittal, celui de l’électricité, EDF, et du pétrole, Total. Les trois multinationales arrivent loin devant, cumulant 14% des émissions de CO2 hexagonales (voir notre tableau ci-dessous).

En quatre ans, les émissions de ces dix entreprises ont globalement peu diminué, passant de 89 millions à 83,5 millions de tonnes CO2. Ils seront même autorisés à émettre un million de tonnes supplémentaire d’ici 2012. Seules EDF, Total et la Société nationale d’électricité et de thermique (SNET) s’engagent à les baisser. Pour le pétrolier, ce ne serait qu’un début de rattrapage de la période 2005-2008 pendant laquelle ses émissions ont bondi de 26% pendant que le groupe réalisait de faramineux profits. Ces plafonds d’émission, prévus par le protocole de Kyoto, sont fixés pour chaque secteur et pour chaque entreprise par le gouvernement puis sont validés par Bruxelles. 137 entreprises françaises ou implantées sur le territoire sont concernées par ce « système d’échange des droits d’émissions de gaz à effet de serre » [2].

Des plafonds de pollutions plutôt élastiques

Pour les dix plus gros pollueurs, ces plafonds se sont révélés trop élevés entre 2005 et 2008 pour être vraiment incitatifs. Ceux de la période 2008-2012 semblent suivre la même voie. Lafarge ou GDF-Suez, par exemple, sont autorisés à augmenter leurs émissions alors qu’ils les avaient stabilisées ou diminuées durant les quatre années précédentes. D’où l’importance que des objectifs plus ambitieux soient négociés à Copenhague. Précisons également que ces entreprises ne seront pas assujetties à la taxe carbone, l’énergie ou les combustibles fossiles qu’elles utilisent en étant exonérées par la loi des finances 2010 [3]. En clair : centrales thermiques, raffineries pétrolières ou cimenteries, qui émettent le plus de CO2, ne sont pas concernées par la taxe sur le CO2...

Pourquoi de telles variations dans les émissions de CO2, qui baissent ou augmentent d’une période à l’autre ? « Depuis plusieurs années en effet, le niveau des émissions de gaz à effet de serre de notre pays se maintient en dessous de celui de 1990, et donc de l’engagement au titre du protocole de Kyoto et de l’accord de « partage de la charge » souscrit au niveau européen », explique le ministère de l’écologie et du développement durable dans son projet d’affectation des quotas d’émissions. Les plafonds fixés sont donc supérieurs à la pollution réelle. Entre 1990 et 2004, l’industrie française a, dans son ensemble, baissé de 21,6% ses émissions, du fait des délocalisations de nombreuses activités industrielles et des quelques efforts mis en œuvre pour limiter les pollutions. La production d’électricité hexagonale est, pour l’instant, l’une des moins polluante d’Europe : cinq fois moins que l’Italie ou le Royaume-Uni, huit fois moins que l’Allemagne. Et cela grâce à la relative importance des centrales hydroélectriques et au parc nucléaire, ce qui n’est pas sans poser bien d’autres problèmes, comme la gestion des déchets radioactifs ou le risque d’accident nucléaire. Les grandes entreprises peuvent donc se gargariser dans leurs publications de leurs politiques de « développement durable » sans forcément réaliser d’importants efforts.

EntrepriseSecteurEmissions de CO2* (millions de tonnes)Evolution 2005-2008Evolution 2008-2012Effectif (France)Benefices nets* (milliards d’euros)
ArcelorMittal Siderurgie 22,3 -11% 6% 28000 6,4
EDF Energie 19,5 -23% -5% 63500 3,4
TOTAL Energie 13,6 26% -11% 37000 13,9
Lafarge Ciment 5,5 0% 10% 10000 1,6
GDF Suez Energie 5,4 -11% 16% 104500 6,5
ExxonMobil Energie 4,4 4% 2% 3200 33,9
Italcementi Ciment 4 -5% 14% 3800 0,3
SNET (Endesa) Energie 3,8 nc -11% 850 7,2
Lhoist Ciment 2,6 -1% 6% nc nc
LyondellBasell Chimie 2,5 22% 15% 1600 -4,9

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Arcelor-Mittal, le plus gros émetteur industriel de CO2 sur le sol français, produit 10 % de l’acier mondial [4]. Chaque tonne d’acier sortie des fourneaux entraine l’émission de 1,5 à 2 tonnes de CO2. Une nouvelle méthode de fabrication (les fourneaux à arc électrique) pourrait permettre de diviser par trois ou quatre ces émissions. Si Arcelor « sait que le progès réel signifie des dépenses conséquentes pour les nouvelles technologies », le groupe franco-indien-luxembourgeois compte « sur les gouvernements et les régulateurs pour assurer que ce niveau d’investissement sera encouragé par les gouvernements, par le soutien au développement des technologies de capture et de stockage du carbone, les marchés du carbone, et un solide cadre politique couvrant les principaux pays producteurs d’acier ». Ou comment se dédouaner... En 2008, la capitalisation boursière d’Arcelor-Mittal s’élévait à 144 millards de dollars. Les bénéfices de l’entreprise avoisinent les 6,4 milliards d’euros en 2008, et 7,5 milliards en 2007. Ses dirigeants ont donc largement de quoi financer quelques programmes de recherche pour améliorer les techniques de production de l’acier et les rendre moins émettrices en CO2.

Des panneaux photovoltaïques pour allumer la télé

De son côté, Total se targue de mesures de réduction d’émissions de CO2. A y regarder de plus près, leur conception du « développement durable » ressemble à du vent sans éolienne. Le plan d’action de l’entreprise pour lutter contre le changement climatique comporte ainsi un volet « développement des agrocarburants ». Ceux-ci sont loin d’être énergétiquement efficaces et risquent de concurrencer la production alimentaire alors que la faim dans le monde progresse. Dans ses diaporamas, Total présente fièrement les panneaux photovoltaïques que le groupe installe en Afrique du Sud ou au Maroc pour permettre aux populations rurales d’avoir accès à… la télévision. Probablement pour qu’elles puissent y admirer les campagnes de pub du groupe.

Le champion des bénéfices du CAC 40 développe depuis une dizaine d’années un système sans brûlage des gaz libérés par l’exploitation du pétrole. Ces gaz, s’ils n’étaient pas brûlés, dégraderaient encore plus rapidement l’atmosphère. Leur brûlage constitue cependant près d’un quart des émissions de CO2 de l’entreprise. Elle s’est engagée en 2006 à les réduire de moitié d’ici 2012 en récupérant le gaz, exploité ou réinjecté dans le gisement. On en est loin puisque les émissions du groupe ont augmenté de 26% depuis 2005… Les actionnaires ont préféré se partager une partie des 13,9 milliards d’euros de bénéfices en 2008 plutôt que de les investir pour accélérer les transitions promises. L’autre groupe pétrolier de ce « Top 10 » est l’états-unien ExxonMobil qui compte deux raffineries (sous la marque Esso) en Normandie et à Fos-Sur-Mer, près de Marseille. Il détient des participations dans plusieurs autres sites pétroliers, comme la raffinerie de Dunkerque.

Les producteurs d’électricité et de gaz sont aussi de gros émetteurs de CO2 : EDF, et ses quinze centrales thermiques (charbon, fioul ou gaz), GDF-Suez et l’Espagnole Endesa. Celle-ci était propriétaire de la SNET, 3e producteur d’électricité en France avec quatre centrales thermiques au charbon. La SNET a été rachetée en octobre 2009 par le géant allemand E.ON.

Quelques louables efforts

Avec trois entreprises dans le top 10, les cimentiers figurent en bonne place de ce palmarès de la pollution. 98% des émissions de CO2 de Lafarge, « n°1 du ciment » et n°4 des émissions de CO2, sont liées à ses cimenteries (dix en France plus une usine à chaux). Les émissions proviennent de la réaction chimique du calcaire à la chaleur et des combustibles fossiles qui alimentent les fours. Lafarge met en avant son partenariat avec l’organisation écologiste WWF et ses projets dans les pays du Sud, qui lui permettent de racheter des « droits à polluer » équivalents à plus de 10 % de ces émissions.

Exemple de ces honorables efforts : au Maroc, la moitié de l’électricité utilisée par la cimenterie locale est alimentée par le parc éolien de Tétouan. En Malaisie, les cimenteries Rawang et Kanthan sont très partiellement fournies en énergie issue de la biomasse. Pour produire son ciment, Lafarge recycle des cendres volantes provenant des centrales thermiques. Ces trois projets représenteraient, selon le groupe, un « bénéfice pour la planète équivalent à 10,6 millions d’arbres plantés par an ». Précisons que l’entreprise a réalisé en 2008 un chiffre d’affaires de 19 milliards d’euros. De quoi planter quelques millions d’arbres en plus... Quant au cimentier italien Italcementi, il détient plusieurs entreprises hexagonales, comme Ciments calcia, Ciments français ou Unibéton, et neuf cimenteries.

Absences étonnantes : celles des autres champions du BTP, tels Bouygues, Eiffage ou Vinci. Cela s’expliquerait par le fait qu’ils ne possèdent pas (ou peu) de cimenteries en France et s’approvisionnent auprès de filiales, des groupes Lafarge et Italcementi ou de cimenteries délocalisées (Eiffage en détient plusieurs dans le monde). Le groupe belge Lhoist, implanté en France depuis près d’un siècle, est spécialisé dans la production de chaux. Issue du calcaire, sa production est obtenue par des températures supérieures à 900°C. Enfin, le groupe pétrochimique néerlandais LyondellBasel, bien qu’en difficulté en 2008 (-4,9 milliards d’euros de perte), possède un complexe industriel à Berre L’Etang et une usine de Polyéthylène à Fos-Sur-Mer. Aux portes du « Top 10 », on retrouve Vicat, une entreprise familiale qui exploite 5 cimenteries et 47 carrières en France, Veolia environnement, Saint-Gobain ou l’allemand E.ON qui devrait, en 2010, entrer dans ce top 10.

Ivan du Roy et Agnès Rousseaux

P.-S.

Site consacré à l’inspection des installations classées (ministère de l’écologie et du développement durable)

Notes

[1Chiffre de 2007

[2Institué par la directive européenne du 13 octobre 2003

[3Comme le prévoit l’article 5 : « La taxe carbone ne s’applique pas aux produits (…) destinés à être utilisés par des installations soumises au régime des quotas d’émission de gaz à effet de serre » prévu par la directive européenne.

[4Plus de 100 millions de tonnes par an.