Pérou

L’inquiétant passé du futur président Ollanta Humala

Pérou

par Stéphane Fernandez

Ollanta Humala, ancien lieutenant colonel de l’armée péruvienne, a remporté l’élection présidentielle du Pérou le 5 juin, face à Keiko Fujimori, la fille du dictateur Alberto Fujimori. Leader politique à la carrière militaire inquiétante et au passé trouble, Ollanta Humala a notamment été accusé de violation des droits de l’homme. Soutenu par la gauche, saura-t-il tenir ses promesses de redistribution des richesses du pays ?

Et si, en fait de disciple de Hugo Chavez, Ollanta Humala n’était qu’un adepte de Jean-Pierre Raffarin ? Il faut reconnaître que ses déclarations, lors de la précédente campagne présidentielle du Pérou en 2006, avaient donné un aperçu de son goût pour les petits phrases que l’ancien premier ministre n’aurait pas renié : « Je ne suis ni de droite ni de gauche, je suis d’en bas. » Ollanta Humala a remporté le 5 juin 2011 le deuxième tour de l’élection présidentielle. Le leader nationaliste a donc réussi à ravir le « Pérou d’en-bas », attirant plus de 52% des suffrages. Ollanta Humala est pourtant un personnage atypique dont le passé pose question.

L’ancien lieutenant-colonel de l’armée péruvienne fait l’objet de graves accusations de violations des droits de l’homme. Des faits qui remontent à 1992, quand la guerre féroce contre le Sentier lumineux permettait au gouvernement de Fujimori de laisser les forces armées user et abuser de la violence, de la torture, des disparitions et des exécutions extra-judiciaires. Au total, selon le rapport publié en 2003 par la commission Vérité et réconciliation (CVR), sur les vingt années de conflit interne qu’a connu le Pérou entre 1980 et 2000, plus de 70.000 victimes sont à déplorer.

Un tortionnaire ?

En 1992 donc, Ollanta Humala n’est qu’un capitaine de l’armée péruvienne. Le 1er janvier, selon son état de service édité par la direction du personnel de l’armée, il est affecté en tant que chef de patrouille au bataillon anti-subversif n°313 de Tingo Maria. Le rapport final de la CVR établit les responsabilités de ce bataillon tout au long du conflit et durant la période où Ollanta Humala y a sévi : « Le bataillon 313 constituait un centre de détention dans lequel on torturait les personnes détenues pour leur supposée appartenance à la mouvance terroriste et dans certains cas il y a eu des exécutions extrajudiciaires. »

Les témoignages des rescapés de bases militaires de ce bataillon et même ceux d’anciens militaires sont accablants et ne laissent aucun doute sur les pratiques d’alors : « Un ancien soldat qui a effectué son service militaire entre le 25 avril 1991 et le 15 avril 1993 a reconnu avoir fait partie d’une patrouille de commandos spéciaux dans le bataillon anti-subversif 313. Il y a été témoin de "nombreuses tueries" », condamne la CVR. En tant que capitaine, Ollanta Humala qui était chef d’une des bases de ce bataillon, celle de Madre Mia, pouvait-il ignorer les actes des troupes qu’il dirigeait ? Pouvait-il seulement ne pas y participer ?

Des accusations pour nuire à sa candidature ?

C’est le doute que partagent plusieurs familles de victimes de la violence militaire et les organisations des droits de l’homme du Pérou. Elles ont porté plainte contre Humala. Plusieurs d’entre elles l’ont accusé d’être le « capitan Carlos », en charge de la base Madre Mia en 1992, et responsable de l’arrestation et de la disparition d’un couple, Natividad Avila Rivera et Benigno Sullca Castro. Si Ollanta Humala n’a pas nié avoir été « un » capitan Carlos, il a basé sa défense sur la présence de plusieurs capitan Carlos dans le bataillon et sur le fait que son nom n’ait pas été cité par la CVR. Néanmoins, cette dernière a recueilli les témoignages des proches et des membres de la famille de ce couple. Ce cas, comme de nombreux autres, n’a pu être élucidé au moment de l’enquête de la CVR, apparemment faute de temps.

La Coordination des droits de l’homme qui regroupe plusieurs organisations non gouvernementales péruviennes avait édité en 2006 un rapport complet et très précis sur les charges qui pèsent sur Ollanta Humala. Reste à savoir si, comme l’affirme Ollanta, ces différents cas ont été montés en épingle pour nuire à sa candidature... Dans cette affaire où les témoins ont changé plusieurs fois de versions, où des accusations de subornations et de corruptions de témoins ne manquent pas, Ollanta Humala affirme qu’il a toujours collaboré avec la justice et qu’il est sorti lavé de tout soupçon à plusieurs reprises. Mais que le système judiciaire péruvien, hautement corrompu, ait blanchi Humala ne signifie pas pour autant que certaines des accusations proférées contre lui soient fausses... L’ancien président, Alan Garcia, dont on sait aujourd’hui que la première présidence (1985-1990) a été entaché de disparitions et de crimes extra-judiciares, a lui-même "bénéficié" des "largesses" de l’institution judiciaire...

La gauche péruvienne toujours portée disparue

Autre ambiguïté du personnage, son positionnement sur l’échiquier politique. Son discours, qui se veut proche de celui d’un Evo Morales ou d’un Hugo Chavez, s’accommode mal, une fois encore, de son passé militaire. L’anti-impérialisme et l’anti-américanisme affichés ne sont pas précisément les valeurs qui lui ont été inculquées lors de sa formation au sein de la tristement célèbre École des Amériques, « l’école des dictateurs », qui depuis 1946 forme, sous l’égide des officiers de l’Oncle Sam, l’intelligentsia militaire d’Amérique du Sud au combat anti-révolutionnaire. Ollanta Humala y a suivi une formation au cours de l’année 1983 selon l’organisation School of Americas Watch qui recense tous les militaires passés par l’institution et milite pour sa fermeture. Bien sûr, en vingt ans, il n’y a que les sots qui ne changent pas d’avis mais Ollanta Humala possède une carrière militaire plus qu’inquiétante.

Ses principaux soutiens ne présentent pas non plus les profils les plus respectables : Luis Humberto Pereira Briceño, ancien militaire, a été accusé d’avoir fait disparaitre des « preuves » de la trajectoire d’Humala sur la base militaire Madre Mia ; Salomón Lerner Ghitis, un des plus proches conseillers de Humala, a été lié à tous les pouvoirs qui se sont succédés, aussi bien d’Alan Garcia que de Fujimori, de Toledo que des généraux golpistes des années 70. De l’art de tourner sa veste toujours du bon côté...

Les électeurs péruviens avaient le choix le 5 juin lors du 2e tour de l’élection présidentielle entre Ollanta Humala, ancien chef militaire accusé de violations des droits de l’homme, ou son adversaire Keiko Fujimori, la fille du dictateur Alberto Fujimori au pouvoir de 1990 à 2000. Humala affirme vouloir mieux redistribuer les milliards de dollars de bénéfices de l’industrie minière, en renégociant les contrats d’exploitation des ressources naturelles. Une industrie qui représente à elle seule 60% des revenus d’exportation du Pérou. Après la fermeture des bureaux de vote, Humala a réitéré sa promesse de créer des emplois, construire des logements et offrir les services de première nécessité au plus grand nombre, devant plus de 10.000 personnes réunies à Lima.

La gauche péruvienne, elle, est toujours portée disparue. Elle ne s’est pas relevée d’avoir été prise entre le marteau du Sentier lumineux et l’enclume de la répression aveugle pendant vingt ans. Elle a fait le pari de soutenir et de faire élire Humala. Reste désormais à juger sur les actes...

Stéphane Fernandez