Scène de vie

Sur le parvis de la chasse à l’Homme

Scène de vie

par Julien Brygo

Un après-midi ensoleillé sur le parvis des droits de l’Homme du Trocadéro, à Paris. Pendant que les touristes prennent la pose, des vendeurs à la sauvette africains proposent des tours Eiffel fabriquées en Chine à des touristes chinois, non loin d’un rassemblement de Tamouls dénonçant les massacres perpétrés au Sri-Lanka dans une totale impunité. Des policiers français viennent perturber ce bel agencement et se lancent dans leur course-poursuite quotidienne avec les vendeurs de Tour Eiffel. L’un d’eux tombe et s’ouvre la main droite. Les policiers l’emmènent.

© Julien Brygo

Les touristes prennent la pose sur une inscription dans le marbre du père Joseph Wrésinski, fondateur du mouvement ATD Quart-monde : « Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré. » (17 octobre 1987). Ils sourient et filent voir la Tour Eiffel, plein cadre. Le soleil frappe. Des guitaristes chantonnent des airs funky, tandis que quatre policiers essoufflés cherchent leurs casquettes au sol. Cette fois, ils ont perdu la course-poursuite qu’ils ont engagée contre les vendeurs de tours Eiffel, une vingtaine de vendeurs quotidiens qui s’adonnent, sans papiers ni autorisations, au démarchage touristique. À midi, elles sont à un euro l’unité. Il est 17 heures, on casse les prix : cinq pour un euro.

Les policiers, eux, ne font pas grand cas des inscriptions en marbre. Ils cherchent leurs casquettes. De l’autre côté du parvis, les vendeurs jouent des épaules pour se frayer un chemin au milieu des Tamouls, qui dénoncent le « génocide » de leur peuple, et des touristes. Puis déguerpissent au plus vite. « C’est comme ça tous les jours. Les policiers viennent, nous chassent. On part 30 minutes, puis on revient », souffle un Rwandais portant à bout de bras ses petites tours Eiffel attachées les unes aux autres. Les policiers, eux, jurent qu’ils n’ont « pas d’instructions particulière » et qu’il ne font que de la « sécurisation ». L’un d’eux, ancien militaire au Chili et « journaliste militaire » en Centrafrique s’adonne aux joies de l’humanisme version Paris mythique : « Je suis allé là-bas, je les connais. Ils n’ont pas le droit d’être là, mais nous, on les embête pas. Vous ne verrez jamais un policier courir après un vendeur de tours Eiffel ici. » Devant la photo, le policier est un peu gêné. « Bah, c’était pas nous en tout cas »...

Trois jours plus tard, rien n’avait bougé : La trentaine de vendeurs sénégalais, rwandais ou guinéens continuent de vendre aux touristes chinois des tours Eiffel fabriquées en Chine, avec à leurs trousses, des policiers français. Les Tamouls de Paris, pancartes en main, hurlent toujours au massacre. Le 20 avril à la gare du Nord, ils crient trop fort contre le silence de la communauté internationale alors que leurs proches sont bombardés. Résultat : 210 interpellations de Tamouls à la gare du Nord, dont 143 étaient toujours en garde à vue le lendemain. L’année prochaine, ce seront peut-être des Tamouls fuyant la guerre qui vendront des tours Eiffel. Tout va bien au pays du marbre et des discours, où l’on entend des touristes qu’ils sont de plus en plus mal reçus à Paris. La faute à l’impolitesse, sûrement...

Julien Brygo