Projet agro-industriel

Le projet de centrale électrique bovine suscite la polémique

Projet agro-industriel

par Sophie Chapelle

L’action s’est déroulée dans la nuit du 11 au 12 septembre. Une vingtaine d’adhérents de la Confédération paysanne s’introduisent sur le chantier de la future ferme dite des « 1 000 vaches », près d’Abbeville dans la Somme. Ils dégonflent des pneus d’engins de chantier et peignent sur 250 mètres de long le slogan « Non aux mille vaches ». L’objectif : stopper le chantier, au moins temporairement. La future ferme industrielle est loin d’être un élevage comme un autre, comme vous l’expliquait Basta! il y a un an. Ce sera déjà la plus gigantesque étable de France : la taille moyenne des élevages est aujourd’hui de 44 vaches. Ensuite, l’objectif premier de la ferme ne sera pas de produire des aliments.

« Cette ferme, ou plutôt cette usine, ce sont 1 000 vaches enfermées dans un bâtiment, non pour produire du lait mais pour faire du lisier qui viendra nourrir un méthaniseur de 1,5MW », s’indigne la Confédération paysanne. Soit une production électrique équivalente à 25 éoliennes. Les vaches serviront d’abord à produire de l’électricité grâce au gaz méthane issu de leurs excréments. Et accessoirement du lait. Un lait qui, selon le syndicat agricole, serait vendu 20% moins cher (270 euros la tonne). Une concurrence jugée déloyale alors que « les éleveurs s’en sortent à peine à 350 euros ».

Vous connaissiez les barrages hydroélectriques, les centrales thermiques ou nucléaires, voici donc venu le temps des centrales électriques bovines ! Le projet contesté est porté par une Société civile d’exploitation agricole (SCEA), piloté par l’entrepreneur Michel Ramery, spécialisé dans le BTP et 349e fortune de France selon Challenges. Au terme de « ferme usine » qu’il récuse, Michel Ramery préfère celui « d’élevage laitier de grande taille ». Le but, écrit-il, est de « produire de l’énergie issue notamment de la valorisation des lisiers mais également d’aboutir à la production de digestats [Les résidus organiques de la méthanisation transformés en fertilisants ou en engrais, ndlr] normés qui remplaceront les engrais chimiques ». Un projet-pilote voué à être reproduit sur tout le territoire français.

Deux visions du monde agricole

Depuis l’été 2011, où il a été rendu public, le projet soulève une opposition croissante portée par l’association Novissen (Nos VIllages se soucient de leur environnement). « Il faudra 2 700 hectares pour épandre les 40 000 tonnes annuelles de boues résiduelles issues de ce méthaniseur. Vingt-quatre communes sont déjà concernées » expliquait Novissen en juin 2012 à Basta!. En février 2013, le Préfet de Région a finalement donné l’autorisation d’exploiter pour 500 vaches laitières. Mais les dimensions de la ferme et du méthaniseur n’ont pas été revues à la baisse. « L’objectif est toujours de monter une ferme de 1 000 vaches », confirme le directeur du projet, Michel Welter, à Mediapart (lien payant). Le permis de construire a été accordé le 7 mars dernier.

Suite à l’opération de blocage, environ 300 manifestants ont occupé le siège du groupe Ramery, près de Lille. Ils demandent au ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll de se positionner sur le projet. Car pour le syndicat, « la signature du préfet sur le permis d’exploiter, c’est la signature de l’Etat. L’Etat qui accepte donc que des milliers d’hectares de terres agricoles ne servent qu’à enrichir qu’un seul homme alors que tant de futurs paysans cherchent à s’installer. »

Michel Ramery assure au contraire que « le projet créera et maintiendra des emplois directs et indirects de la filière laitière dans une région où l’abandon des petites exploitations augmente chaque jour. » Les manifestants ont quitté le siège du groupe le 12 septembre, en fin d’après midi. « Ce qui s’est produit cette nuit est inadmissible, nous allons porter plainte » a indiqué Michel Welter à la France Agricole. Deux visions du monde agricole s’opposent, résolument inconciliables.

Photo : © Mathieu Eisinge