Conflit

Israël-Palestine : fonder les négociations sur le droit international

Conflit

par Isabelle Avran

Après trois ans d’attente, des négociations directes entre Israël et l’Autorité palestinienne ont repris à Washington le 30 juillet, après qu’Israël ait accepté de libérer des prisonniers palestiniens. L’artisan de cette reprise des pourparlers, le secrétaire d’Etat américain John Kerry, table sur un « compromis raisonnable » entre les deux parties. Isabelle Avran, de l’Association France Palestine Solidarité, rappelle dans quel contexte s’inscrivent ces négociations et l’importance de leur donner le respect du droit international comme perspective.

Après trois années de gel des négo­cia­tions israélo-​​palestiniennes - mais pas de la colo­ni­sation israé­lienne en Palestine -​​ de nou­veaux pour­parlers viennent de reprendre sous l’égide des États-​​Unis. Ministre de la Justice, Tzipi Livni le reconnaît : au sein de son gou­ver­nement, « il y a des ministres qui ne veulent pas arriver à un accord et entendre parler de l’idée de deux États, d’autres ministres qui sont indif­fé­rents mais espèrent qu’il n’en sortira rien et d’autres membres du gou­ver­nement qui veulent par­venir à la fin du conflit ». Rien d’étonnant. Le Premier ministre n’a-t-il pas réaf­firmé tant à la tribune des Nations unies qu’à celle du Congrès amé­ricain qu’il refu­serait tout Etat pales­tinien dans les fron­tières de 1967, tout déman­tè­lement de ce qu’il nomme les « blocs de colonies », en par­ti­culier dans et autour de Jéru­salem et dans la Vallée du Jourdain, tout partage de sou­ve­raineté à Jéru­salem et toute recon­nais­sance des droits des Pales­ti­niens expulsés devenus réfugiés ?

Qu’est-ce qui conduit dès lors ce gou­ver­nement à accepter une reprise des négo­cia­tions, passant par l’élargissement préa­lable de104 pri­son­niers poli­tiques pales­ti­niens ? D’une part, il l’avance lui-​​même, la crainte de l’isolement diplomatico-​​économique. Gideon Sa’ar, ministre de l’intérieur, considère ainsi comme « impé­ratif » de reprendre les pour­parlers : « Nous ris­quions de tout perdre, y compris nos ultimes alliés, et d’être mis au banc des nations. » Pour le quo­tidien israélien Yediot Aha­ronot, qui dénonçait en une la libé­ration de ces pri­son­niers, le gou­ver­nement de Tel-​​Aviv « veut uni­quement légi­timer son gou­ver­nement aux yeux des pays occi­dentaux, et sortir de l’isolement ».

Ensuite, l’absence de contraintes liées au droit inter­na­tional ou à un quel­conque calen­drier : les négo­cia­tions ont repris sans obli­gation ni sur le gel de la colo­ni­sation ni sur le respect des « fron­tières » de 1967, et avec l’hypothèse d’absence de toute ini­tiative pales­ti­nienne sus­cep­tible de contrarier Israël sur la scène inter­na­tionale. Le Premier ministre israélien s’en réjouit : « Nous avons pré­servé nos intérêts stra­té­giques vitaux. » Il a fait adopter par son gou­ver­nement, un projet de loi selon lequel « tout chan­gement de statut dans les ter­ri­toires où s’applique la loi israé­lienne devra être approuvé par réfé­rendum popu­laire ». Au-​​delà de la formule « les ter­ri­toires où s’applique la loi israé­lienne », qui veut dire en clair ter­ri­toires pales­ti­niens occupés, le Premier ministre sait aussi qu’en appa­rence démo­cra­tique, un tel réfé­rendum revien­drait alors à sou­mettre le droit du peuple pales­tinien à l’auto-détermination au bon vouloir du peuple d’un Etat qui l’occupe…

Enfin, le contexte. Celui d’une neu­tra­li­sation pro­vi­soire de la diplo­matie égyp­tienne, en quête de la pérennité du soutien écono­mique et stra­té­gique amé­ricain. L’arrestation par l’armée du pré­sident égyptien élu puis déchu Mohamed Morsi, accusé entre autres de com­plicité pré­sumée dans des attaques imputées au Hamas pales­tinien, ne peut que contribuer – pour une part –​​ aux divi­sions du mou­vement national pales­tinien favo­rables à la stra­tégie israé­lienne. Or dans des ter­ri­toires occupés, dont une partie est soumise à un blocus depuis plu­sieurs années, l’asphyxie écono­mique érode l’indépendance poli­tique des partis au pouvoir…

L’Union euro­péenne a fait preuve de volonté poli­tique, enfin, en décidant, face à l’accélération pro­vo­ca­trice de la colo­ni­sation israé­lienne, non pas encore de sanc­tions contre Tel-​​Aviv mais d’une simple réduction des échanges, en mettant ses accords com­mer­ciaux aux normes du droit et en avançant l’hypothèse d’un étiquetage des pro­duits des colonies. Une pers­pective qui contribué à la crainte d’isolement de Tel-​​Aviv. Il ne suffit pas, aujourd’hui, comme le fait Laurent Fabius, ministre français des Affaires étran­gères, de se « réjouir de la reprise des négo­cia­tions israélo-​​palestiniennes (…) à Washington » et de saluer « cette avancée poten­tiel­lement majeure », en se déclarant prêt, « le moment venu », à « par­ti­ciper à la mise en œuvre d’un accord de paix ».

Il faut au contraire aider ce moment à venir. Non pas en se contentant de se féli­citer d’une énième reprise de négo­cia­tions, fût-​​ce après trois ans d’absence de pour­parlers, mais sans que celles-​​ci soient offi­ciel­lement fondées sur le droit inter­na­tional. Vingt ans après l’accord inté­ri­maire d’Oslo, l’histoire a montré qu’un tête-​​à-​​tête entre occupant et occupé n’aboutit qu’à sou­mettre l’occupé aux exi­gences de l’occupant, ou à le faire dénoncer pour refus du seul com­promis que l’occupant est prêt à accepter. La négo­ciation n’a de sens que si elle porte sur les moda­lités d’application du droit inter­na­tional. Pour cela, l’Europe, loin de se contenter de féli­citer Washington, peut et doit continuer à inter­venir. L’étiquetage des pro­duits des colonies n’est que le premier pas.

Isabelle Avran est membre de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) .