Apprentis sorciers

Des poissons OGM toujours plus gros et plus voraces

Apprentis sorciers

par Agnès Rousseaux

Ses détracteurs l’appellent le « Frankenfish » : un saumon génétiquement modifié qui grossit deux fois plus vite que ses congénères naturels, baptisé « AquAdvantage » par ses concepteurs. Il pourrait très prochainement être commercialisé aux États-Unis. AquaBounty Technologies, l’entreprise qui a créé ce poisson, assure qu’il n’y aucun risque de dissémination dans la nature. Et si cela se produisait quand même et que plusieurs de ces saumons d’élevage prenaient le large ? L’hypothèse a été étudiée par l’Université Memorial de Terre-Neuve (Canada). Le résultat est effrayant. Les saumons génétiquement modifiés ont été croisés avec des truites sauvages : 40 % des rejetons hybrides issus de ce croisement héritent du gène ajouté artificiellement au génome de leur parent (un gène d’anguille qui accélère la croissance). Et ces hybrides grandissent encore plus vite que le saumon créé par Aquabounty !

Les saumons transgéniques AquAdvantage atteignent leur maturité en 18 mois, au lieu de trois ans pour les saumons « naturels ». Leur poids augmente de 1,9 % par jour (contre 1,5 et 1,7 % pour les saumons et truites « naturels »). Et celui de leurs rejetons hybrides de 2,1 % ! Autre conséquence : la présence de ces hybrides en milieu semi-naturel – les bassins utilisés pour l’expérience – a provoqué la diminution de moitié de la croissance des saumons sauvages. Logique : ils s’accaparent tous les aliments. Et si les rejetons de ces hybrides grossissaient eux-mêmes encore plus vite ? Un scénario catastrophe ?

Poissons mi-saumon mi-truite avec gène d’anguille

Peut-être les saumons hybrides s’en sortiraient-ils moins bien en milieu naturel. Peut-être les croisements entre espèces sont-ils plus rares dans la nature [1]. AquaBounty affirme ne produire que des saumons femelles, stérilisées. La stérilisation n’est cependant efficace qu’à 99,8 %, admet l’entreprise. Elle attend l’autorisation de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis pour pouvoir commercialiser ses saumons transgéniques.

Ces résultats ne donneront-ils pas envie aux créateurs d’animaux GM d’expérimenter d’autres croisements entre espèces ? Les producteurs de saumons GM ne seront-ils pas tentés, pour accroître leurs rendements, de procéder à quelques expériences non autorisées, puisque les rejetons hybrides semblent avoir un net « avantage compétitif » sur leurs parents ? Qui peut affirmer que ces saumons d’élevage, « confinés » dans des bassins, ne se retrouveront pas en masse dans les eaux où leur prolifération deviendra incontrôlable ? La transmission d’un gène d’anguille à des poissons mi-saumon mi-truite vient poser de nouvelles questions sur la transgénèse animale, alors que des cochons génétiquement modifiés avec un gène de souris attendent leur autorisation de mise sur le marché au Canada. Et que les poulets transgéniques, les chèvres avec un gène d’araignée, les lapins et autres poissons-zèbres fluorescents sortent déjà des laboratoires de biotechnologies. Pour le moment, personne n’a encore songé à fabriquer des requins OGM...

 Lire l’étude parue dans Proceedings of the Royal Society – Biological Sciences, le 29 mai 2013.
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Notes

[1« Le saumon de l’Atlantique (Salmo salar) s’accouple parfois dans la nature avec la truite brune (Salmo trutta), une espèce qui lui est apparentée. Toutefois, les taux d’hybridation dépassent rarement 1%. Par contre, quand ce sont des saumons d’élevage qui se retrouvent dans le milieu naturel, les taux peuvent atteindre jusqu’à 41%. » Source