Service public

La Banque postale est-elle vraiment une « banque citoyenne » ?

Service public

par Marianne Rigaux

Elle est la banque la moins chère du marché. Celle qui permet aux populations modestes d’accéder à des services bancaires essentiels. Une « banque citoyenne » assure la campagne publicitaire. Pour combien de temps ? De discrets changements en nouvelles offres, l’enseigne jaune et bleue évolue. Crédit revolving, refus de clients jugés non solvables, vente de produits d’assurance ou de téléphonie mobile... Une tendance lourde qui inquiète syndicats et clients. Où va la Banque Postale ?

Il y a trois ans, le PDG de La Poste l’avait juré, promis : jamais la Banque Postale ne verserait dans le crédit revolving. « Nous ne proposerons pas de crédit renouvelable afin de ne pas pousser à l’endettement », assurait Jean-Paul Bailly. C’était le 25 novembre 2009 devant l’Assemblée Nationale. Octobre 2012, la même Banque Postale lance en toute discrétion le « service anti-dépassement », un crédit renouvelable aux antipodes de son image de proximité et d’accessibilité. En trois années, la Banque Postale a changé de cap.

Dans le milieu bancaire, ce n’est apparemment un secret pour personne : la Banque Postale n’aurait plus envie d’être « la banque des pauvres ». « Tout le monde sait que la Banque Postale veut rejoindre le peloton des banques privées. Être une banque comme les autres est plus rentable », confirme un employé de la Banque de France, qui préfère garder l’anonymat. Sous-entendu : une banque qui maximise ses profits, place ses assurances et rentabilise ses clients. Si la Banque de France ne prend pas de position officielle, l’inquiétude est toutefois présente.

« La banque pour tous » ?

Le service de presse de la Banque Postale se veut rassurant et convaincant, et égraine les éléments de langage : « Nous sommes la banque pour tous, pas la banque des pauvres », insiste le « Monsieur service presse » [1]. « La banque de service public par excellence. » A ses yeux, faire des profits ne semble pas incompatible avec ce statut. « Traiter les clients qui ont un peu d’argent permet de traiter tous ceux qui en ont moins. »

Banque publique créée le 1er janvier 2006, filiale à 100 % de La Poste, la Banque Postale est investie d’une mission d’accessibilité bancaire : la loi l’oblige à ouvrir un livret A à toute personne qui en fait la demande. 20 millions de personnes détiennent aujourd’hui un livret A à la Banque Postale [2] !« Nous sommes la seule banque à prêter aux pauvres », martèle le service de presse. « Nous avons deux millions de clients fragiles pour dix millions de clients au total, qui ne sont heureusement, pas tous pauvres. » Des chiffres répétés à l’envi.

« Une stratégie de cupidité »

Côté communication, la Banque Postale vient justement d’abandonner le slogan « Une banque pas comme les autres », pour celui – placardé actuellement sur les abribus – « Banque et citoyenne ». « Pour mettre en avant nos valeurs », explique « Monsieur service presse ». Pour s’affranchir de la mission de service public, répondent les syndicats.

La Banque Postale a engagé « une stratégie de la cupidité qui dénature sa mission première », estime le syndicaliste Nicolas Galepides (Sud-PTT). Et d’énumérer les changements qui témoignent d’une réorientation des priorités internes. Courant 2012, le retrait dans un autre distributeur que ceux de la Banque Postale est devenu payant à partir du sixième. Une pratique habituelle, mais pas à la Banque Postale. En septembre, la possibilité de reporter ses achats au début du mois suivant – un service qui coûte 5,50 euros par mois – est légèrement modifiée : la date du débit différé passe du 5 du mois suivant au 28 du mois en cours.

Raclages de fonds de tiroir

Quelques jours de différence qui suffisent à provoquer des découverts les deux ou trois derniers jours du mois. « La Banque Postale l’avait d’ailleurs anticipé : une liste de 10 000 clients potentiellement mis à découvert par ce changement a été envoyée par le service informatique aux centres financiers, lors de la mise en place de cette mesure », explique Nicolas Galepides. Réponse du service de presse : « Seuls 300 000 clients utilisent une carte à débit différé, et ce ne sont pas des clients fragiles. Le changement de date a posé un problème seulement le premier mois de mise en place, puis les comptes se régulent. La minorité concernée a été accompagnée », assure-t-on. Concrètement : ils ont été dispensés de payer des aggios les deux premiers mois... Un moyen supplémentaire, quand même, pour la banque de glaner ensuite quelques euros à chaque découvert.

Dernier changement, parvenu noir sur blanc dans les agences : facturer systématiquement toutes les opérations qui passaient jusque-là sans frais. Un document interne intitulé « Percevoir une tarification, c’est juste utile et nécessaire », en date du 11 octobre 2012, incite les guichetiers et conseillers de la Banque postale à facturer toutes les opérations. Renouvellements anticipés de carte, frais de recherche, demande de duplicata ou autres services sont désormais payants. Le document fixe un objectif chiffré à atteindre par jour pour chacun des centres, diagrammes à l’appui [3]. « On est vraiment dans le raclage de fonds de tiroir », déplore le syndicaliste Nicolas Galepides.

Un directeur issu des banques d’affaires

De quand date le tournant ? Certains le situent au début des années 2000, quand la branche courrier du groupe La Poste perd de la vitesse. Il faut alors trouver une autre source de revenus pour compenser. L’activité de services financiers devient l’entité Banque postale, qui bénéficie instantanément de 17 000 points de contact, soit près de deux fois plus que le premier réseau bancaire français, celui de Crédit agricole. Quatre banques accusent aussitôt La Poste de distorsion de concurrence. Depuis, la Banque Postale a reçu le feu vert pour proposer tous les produits : crédit immobilier, crédit à la consommation, crédit renouvelable, assurances. L’établissement bancaire représente désormais 25% du chiffre d’affaires total du groupe La Poste, à hauteur de 5 milliards d’euros.

Guichetiers et conseillers s’accordent à dire que l’évolution de la Banque Postale s’est accentuée avec l’arrivée de Philippe Wahl à la tête du directoire de l’établissement en janvier 2011. Un journaliste qui le connaît bien le décrit comme « un drôle de zigoto », passé par la banque Paribas (comme directeur du pôle des services financiers), la Caisse d’épargne, le groupe Bolloré et la Royal Bank of Scotland. « Il grenouille dans une organisation patronale – l’institut Montaigne, dont il est membre du comité directeur – alors qu’il dirige un établissement public. C’est du grand conflit d’intérêts. »

« On refuse les clients de banlieue »

6 septembre 2012, conférence de rentrée de la Banque Postale. Le patron aux dents longues déclare aux journalistes : « Je le dis à mes clients, comme aux syndicats : la gratuité, c’est l’ennemi du service public ! Comme les autres, nous devons faire du chiffre d’affaires ! » Exit le leitmotiv de « la banque pas comme les autres »... Du côté de la clientèle, ça grogne. « Les clients ne comprennent pas les changements. Avant on faisait tout, n’importe quand pour n’importe qui. Maintenant on trie », raconte Yannick, guichetier dans le 14e arrondissement de Paris et syndiqué à Sud-PTT.

L’émission d’un chèque de banque ? Certains bureaux en limitent le nombre par mois. Les petites opérations bancaires au guichet ? On dirige les clients vers les automates pour « dépolluer » les files d’attente. Une ouverture de compte épargne ? Il faut placer d’autres produits comme les assurances ou la téléphonie mobile. D’un bureau à l’autre, les pratiques se révèlent disparates.
« Dans le 15e arrondissement de Paris, on refuse les clients de banlieue. Sans explication. On veut clairement des clients riches », rapporte Sylvie, guichetière depuis 1988. Rarement écrites, les consignes passent mal auprès des 10 000 conseillers et 55 000 guichetiers. « Des situations isolées », évacue le service de presse. « 17 000 points de contacts, ça multiplie les possibilités de dérives. »

Lutte contre l’exclusion bancaire ?

Sur ces dérives, la Banque Postale est tenue à l’œil par le secteur associatif. Le lancement du crédit renouvelable a fait grincer des dents chez les organismes engagés dans la lutte contre l’exclusion bancaire. « Nous serons très attentifs aux profils des clients à qui sera accordé ce crédit renouvelable », pointe Fabien Tocqué, responsable de l’inclusion bancaire à la Croix Rouge.

La Banque Postale a lancé en octobre dernier une initiative contre l’exclusion bancaire avec neuf partenaires, dont la Croix-Rouge et les Restos du cœur [4]. Au même moment, donc, que son offre de crédit renouvelable. « Bien sûr, nous n’accordons pas de crédit renouvelable à des clients fragiles et nous mettons en place un dispositif de suivi », assure « Monsieur service presse ». Cette réserve d’argent mobilisable à tout moment est assortie, en cas d’utilisation, d’un taux d’intérêt élevé. A la Banque Postale, ce taux grimpe à 14%, contre 20% dans d’autres enseignes.

Sur le terrain, les bénévoles qui encadrent les populations fragiles dans leurs démarches bancaires font part de la même inquiétude. Laure Labrosse, qui accompagne des clients roms en Seine Saint Denis, le constate tous les jours en guichet. « Ça reste la banque des pauvres, mais on sent que ce n’est plus leur priorité. Et si la Banque Postale abandonne ce rôle, il n’y aura plus de service public pour les clients fragiles. » A l’heure de la pseudo réforme bancaire prônée par le gouvernement, l’évolution de La Banque postale, 100% publique, laisse pantois.

Marianne Rigaux

Notes

[1Pour des raisons obscures, la personne en charge du service de presse de La Banque postale et qui s’exprime au nom de l’entité, ne souhaite pas que son nom apparaisse, même s’il signe les communiqués de la banque.

[2Mais seulement 10,4 millions de clients dits actifs, c’est-à-dire qui ont plusieurs comptes ou accès à d’autres services, et pas seulement un livret A ouvert il y a 25 ans

[3Ces opérations n’étant pas systématiquement facturées, la perte de recettes s’élève à 5 millions d’euros, selon le document. Qui explique que la Banque Postale est déjà la banque la moins chère du marché, et qu’il n’y a pas de raison de faire « encore moins cher ». Et un peu plus loin : « Augmenter notre chiffre d’affaires dans un environnement difficile n’est pas incompatible avec nos valeurs : c’est nécessaire pour notre développement et la défense de nos valeurs »

[4Avec le Secours catholique, le Secours populaire, l’Union nationale des centres communaux d’action sociale, le spécialiste du microcrédit, l’Adie, ainsi que l’association d’aide aux ménages surendettés, Crésus