Industrie automobile

Renault au point mort

Industrie automobile

par Ivan du Roy

La contestation sociale monte au sein des usines Renault face au choix de la direction du groupe de privilégier les actionnaires aux dépens des salariés, menacés par un plan de suppression d’emplois. La CGT conteste les licenciements devant les tribunaux.

Photo : Manifestation de salariés de Renault Sandouville au Havre (Phototèque du mouvement social)

Le 24 octobre, à l’aube, 300 salariés de Renault ont bloqué le site de Sandouville, aux portes du Havre. Deux semaines plus tôt, Nicolas Sarkozy, en visite sur la chaîne de montage, était accueilli par des manifestations et des pneus brûlés. L’usine est devenue bien malgré elle le symbole du choc social qui s’annonce. Ses salariés sont particulièrement frappés par le plan de suppression de 4.000 emplois envisagés par Carlos Ghosn, PDG de Renault. Un millier d’entre-eux, sur les 3.600 que comptent l’usine, vont être invités à partir. Ce « plan d’ajustement des effectifs » se double de l’annonce de la fermeture temporaire d’au moins la moitié des douze usines Renault situées en France, dont celle de Sandouville. Une mesure synonyme de chômage technique. Sur les chaînes de production, une semaine sur deux d’arrêt se traduit, selon la CGT, par une perte de 350 euros sur les fiches de paie des ouvriers et techniciens, dont les salaires avoisinent les 1400 euros net.

Pas touche aux dividendes

Pour la direction de Renault, l’objectif est de réduire de 10% «  les frais de structure ». Si les ventes mondiales ont légèrement progressé, les nouvelles immatriculations sur le marché européen stagnent. Le modèle Laguna produit à Sandouville ne se vend pas assez bien. Depuis le 1er janvier, la crise financière aidant, l’action Renault a perdu près de 80% de sa valeur. Malgré ces difficultés, Carlos Ghosn souhaite conserver la « marge opérationnelle » - c’est à dire les profits dégagés par l’entreprise - prévue par le plan « Renault contrat 2009 » lancé par le manager brésilien lors de son intronisation il y a trois ans. Pas question cependant de toucher aux dividendes reversées aux actionnaires. Celles-ci ont été multipliées par deux entre 2005 et 2008 et doivent encore progresser de 20%. Ce sont donc les salariés qui règleront la facture. A Renault, l’effort ne se partage pas.

« Les salariés sont écœurés », résume Fabien Gâche, délégué syndical de la CGT. La confédération conteste le « plan d’ajustement des effectifs » devant les tribunaux. La méthode choisie par la direction de procéder à des « départs volontaires » ne l’oblige pas à motiver les suppressions d’emplois ni à consulter les syndicats. Elle l’exonère aussi de payer certaines cotisations sociales. « Renault n’a pas respecté ses obligations légales ni élaboré avec les syndicats un plan de sauvegarde de l’emploi. Nous demandons son annulation pure et simple », explique le syndicaliste. L’audience, prévue au Tribunal de grande instance de Nanterre le 23 octobre, a été reportée au 7 novembre. Surtout, la CGT souhaite « un véritable débat de fond sur la stratégie de Renault en matière économique et sociale. »

1400 euros par mois pour les salariés... 200.000 pour le PDG

L’incompréhension règne. « Le site ne fermera pas. Le président Ghosn et Renault ont décidé d’y faire construire un véhicule utilitaire », a assuré Nicolas Sarkozy, au nom de l’Etat actionnaire (avec 15%, l’Etat français est le premier actionnaire du groupe) qui «  travaille main dans la main avec le management de Renault ». « On nous promet des activités futures. Carlos Ghosn lui même dit que Renault aura besoin de créer 2000 emplois sur Sandouville », réagit Fabien Gâche, pour qui l’Etat manque à ses devoirs en demeurant silencieux « sur la finalité de l’entreprise ». Le délégué syndical pointe également la responsabilité du PDG dans l’absence de stratégie d’innovation, en particulier pour affronter les nouveaux défis environnementaux : diminution des budgets en « recherche et développement », carences des plans d’action pour concevoir des moteurs moins polluants et moins émetteurs de CO2, abandon des recherches sur les moteurs électriques... En attendant, les revenus de Carlos Ghosn, eux, se portent bien. Ses rémunérations hors stock options avoisinent les 2.6 millions d’euros annuels.

Le modèle social qu’incarnait Renault dans les années 60 et 70 est bel et bien mort et enterré. La marque au losange rejoint la longue liste des constructeurs automobiles touchés de plein fouet par la conjonction de la crise financière, d’un pouvoir d’achat en berne, de la hausse du prix de l’essence et de l’émergence de comportements plus respectueux de l’environnement. General Motors, Ford, Chrysler, Volvo, Volkswagen, Seat et maintenant Peugeot ont aussi annoncé des suppressions d’emploi par milliers, des mises à pieds ou des fermetures temporaires d’usines. L’industrie automobile en Europe est-elle en train de connaître le destin de la sidérurgie trente ans plus tôt ?

Ivan du Roy