Royaume-Uni

Comment EDF construit ses centrales nucléaires grâce à une taxe « écolo »

Royaume-Uni

par Olivier Petitjean

Alors que le prix du gaz augmente en France, celui de l’électricité va bientôt exploser au Royaume-Uni, suite à une taxe prétendument « verte ». Cette taxe servira notamment à financer les réacteurs EPR qu’ambitionnent de construire EDF et Areva. EDF devrait aussi largement bénéficier de la nouvelle loi sur l’énergie, qui vise à dédommager les opérateurs en cas de manque de rentabilité...

Le gouvernement conservateur de David Cameron prépare une augmentation drastique de la taxe sur les factures électriques, censée financer les énergies faiblement émettrices de CO2. L’objectif est de collecter 9,4 milliards d’euros (7,6 milliards de livres) d’ici 2020. Des analystes financiers estiment qu’il en résultera une hausse de près d’un tiers des factures d’électricité [Lire ici (en Anglais)], qui sont déjà supérieures de 10 à 15% en moyenne aux factures françaises. Et ce, dans un contexte d’austérité budgétaire particulièrement brutale au Royaume-Uni.

À qui bénéficiera cette taxe « verte » ? Avant tout aux constructeurs de centrales nucléaires, qui pourront s’en accaparer la plus grande part. EDF est la première concernée, puisqu’elle prévoit de construire, avec Areva et Bouygues, quatre nouveaux réacteurs EPR au Royaume-Uni. Le programme de « renaissance nucléaire » initié en leur temps par les travaillistes de Tony Blair prévoyait pas moins de douze nouveaux réacteurs. Le projet d’EDF à Hinkley Point dans le Somerset (deux réacteurs) est le seul qui ait dépassé le stade conceptuel [1]. Son coût est actuellement estimé à 17,3 milliards d’euros. Le projet vient d’obtenir sa première licence administrative, mais sa réalisation est encore loin d’être assurée.

EDF fait-elle la loi à Londres ?

La nouvelle loi sur l’énergie, dévoilée jeudi 29 novembre – et déjà applaudie par EDF selon le Financial Times – instituera également un seuil de prix de l’électricité en deçà duquel le gouvernement britannique dédommagera les entreprises pour assurer la rentabilité de leurs investissements. Le niveau de ce seuil doit être fixé ultérieurement. Certaines sources évoquent jusqu’à 204,5 euros (165 livres) par MWh, soit plus de trois fois le prix actuel de l’électricité – vendue en gros – au Royaume-Uni. Le genre de rumeur qui permettra à EDF d’afficher sa modération tout en obtenant un prix garanti largement supérieure au prix actuel...

L’entreprise publique française est un acteur de poids sur le marché de l’énergie britannique : en plus d’être l’un des six principaux distributeurs du pays – qui vient d’ailleurs d’augmenter ses tarifs de 11% d’un coup, alors même que la filiale britannique réalisait 1,6 milliard de livres de profit –, elle contrôle le parc actuel, et vieillissant, de centrales nucléaires, ainsi que plusieurs centrales au charbon. Elle construit par ailleurs - toujours avec l’aide financière du gouvernement britannique - des parcs éoliens et des centrales au gaz, dont l’une vient d’être occupée pendant une semaine par des militants de la justice climatique.

Lobbying et restaurants chics

Depuis des mois, le groupe français fait monter la pression pour obtenir du gouvernement britannique le maximum de concessions. Ce dernier, confronté à l’héritage de la libéralisation totale du marché de l’énergie dans les années 1980, fait face à des décisions difficiles pour assurer l’avenir de l’approvisionnement énergétique du pays. Le gouvernement est tiraillé entre les partisans de l’énergie éolienne, ceux du nucléaire, et ceux du gaz, emmenés par le chancelier George Osborne, lequel vient d’annoncer une série de mesures pour favoriser l’exploitation des gaz de schiste.

Malgré les déboires accumulés par les chantiers de l’EPR en Finlande et en France, la perspective de nouveaux réacteurs financés à leur corps défendant par les contribuables et consommateurs britanniques reste bel et bien à l’ordre du jour. Le gouvernement a même lancé un plan d’action pour renforcer la chaîne d’approvisionnement du nucléaire [Source] en Grande-Bretagne. Un document révélé par le quotidien The Guardian donne une petite idée de la nature du travail de « persuasion » effectué par EDF et les intérêts nucléaires. Il révèle que les hauts fonctionnaires de l’Office pour le développement du nucléaire ont été régulièrement invités depuis trois ans dans des restaurants londoniens très selects par divers groupes et lobbies de l’industrie nucléaire, mais également par des entreprises directement intéressées, dont les françaises EDF, Areva et Alstom. Ce n’est pas en France qu’on verrait de telles pratiques...

Olivier Petitjean

Photo : CC me’nthedogs

Notes

[1GDF-Suez est également impliquée, via un consortium, dans un autre projet de centrale nucléaire, beaucoup moins avancé, et pour lequel l’entreprise réclame elle aussi davantage d’« incitations financières » (voir ici).