Réforme agraire

La longue marche des paysans indiens pour la justice

Réforme agraire

par Magali Audion

Depuis le 3 octobre, des dizaines de milliers de paysans sans terre et « Intouchables » de l’Inde ont commencé une marche pour la Justice – la Jan Satyagraha. Ils réclament une nouvelle réforme agraire garantissant l’accès à la terre et aux moyens de subsistance, et l’adoption d’une loi établissant le droit au logement. Organisée par le mouvement Ekta Parishad, cette marche longue de 350 kilomètres doit durer trente jours. Sur place, Magali Audion de Gandhi International, témoigne.

Gwalior, Madhya Pradesh, Inde.

Réveil ce matin à 5h45 par la télévision du voisin. Le temps d’un petit déjeuner sur le bord de la route (riz parfumé aux oignons et autres épices) et d’un verre de « tchaï » au lait. Nous voyons passer un premier cortège de Sikhs, aux couleurs violettes, slogans et drapeaux levés.

Arrivée au grand quartier général d’Ekta Parishad [1], ce mouvement populaire qui agit selon le principe gandhien d’action non-violente : Mela Ground, immense esplanade publique où sont installés entre 50 et 65 000 indiens venus de tout le pays. Ils sont de plus en plus nombreux, défilant en rangées ordonnées avec les drapeaux blanc et vert d’Ekta Parishad. Des hommes et des femmes se préparent de part et d’autre, se lavent, s’organisent, répètent les chants.

Nous avançons sous une immense tente (qui a nécessité 4 jours de montage !). Rajagopal, le leader d’Ekta Parishad, et sa femme Jill, qui est canadienne, nous accueillent chaleureusement. Nous nous installons en retrait : après les négociations difficiles de ces derniers mois entre Ekta Parishad et les autorités, les internationaux ne sont autorisés que comme observateurs. Nous assistons à l’arrivée sous ce grand préau de tous les groupes, les uns derrière les autres, et à des démonstrations de musique et de danse. Impressionnant de voir tous ces femmes et ces hommes, tous mandatés par leurs communautés locales pour venir des quatre coins d’un pays grand comme 17 fois la France. Une grande harmonie de couleurs, de visages et de slogans bien répétés.

La police (ou l’armée ?) est présente avec ses grands bâtons, mais relativement discrète. Enfin pour l’instant, car trois ministres sont attendus dans quelques heures, pour les réponses du gouvernement aux revendications du mouvement. Dans le discours de Rajagopal, prononcé en hindi, je relève en anglais : « Nous voulons la sécurité, l’identité et la dignité ».

D’autres discours que nous ne comprenons pas, entrecoupés de chants et de slogans. Karima Delli, jeune députée européenne d’Europe Écologie-Les verts, est assise à la tribune. Il fait une chaleur accablante mais les gens sont très attentifs.

Discours du ministre du Développement rural, tout de blanc vêtu. On me traduit qu’il accepte les revendications du mouvement. Il enchaîne sur une conférence de presse toujours devant l’assemblée générale. Mais aucun applaudissement ni acclamation, cela se passe dans un calme morne. Que pensent les gens ? Petit moment de flottement...

La conférence de presse est agitée : le ton monte et les gens commencent à se lever, mécontents. Difficile de voir ce qui se passe derrière la nuée des journalistes. Finalement, on nous explique que le ministre ne s’est engagé sur rien de concret : il dit qu’il va falloir du temps pour mettre les réformes en route, il ne peut rien signer aujourd’hui... Les dirigeants d’Ekta Parishad se concertent pendant un moment, micro ouvert pour que l’assemblée puisse suivre. Nous quittons le lieu pour déjeuner et apprenons plus tard que, de l’avis général de tous les représentants d’Ekta Parishad, les déclarations du gouvernement n’ont pas convaincu. La marche est maintenue et commencera demain matin.

Le soir, les « internationaux » ont rendez-vous autour de Jill et Rajagopal pour un résumé de la journée et les consignes pour la marche. Ils n’ont de la nourriture que pour dix jours de marche (cela revient à 1 euro/jour/personne [2]), nous expliquent-ils. Les consignes de sécurité sont importantes car les étrangers n’ont pas le droit en Inde de participer à des actions politiques. Nous ne devons être que des observateurs et respecter une charte stricte, pour ne pas risquer de nous faire expulser, et surtout de causer des problèmes à Ekta Parishad. La soirée se termine en débat sur la stratégie du mouvement.

Les paysans indiens ne se laisseront pas marcher sur les pieds et on ne les fera pas marcher... Ils marcheront d’eux-mêmes jusqu’à Delhi pour que leurs demandes soient sérieusement entendues et fassent l’objet d’un vrai engagement.

Texte et photos : Magali Audion

Suivre la marche des Sans-terre sur le blog Rexistance et sur facebook.

Notes

[1Ekta Parishad (« forum de l’unité » en hindi) est un mouvement populaire fondé en 1991 en Inde qui agit selon le principe gandhien d’action non-violente, avec pour but d’aider le peuple à mieux contrôler les ressources qui lui permettent de subsister : la terre, l’eau et la forêt.

[2Les personnes qui souhaitent aider financièrement cette marche peuvent faire un don à Ekta Parishad en ligne ici.