Agriculture

La nouvelle politique agricole européenne sera-t-elle plus verte et plus juste ?

Agriculture

par Nolwenn Weiler

A quoi ressemblera la nouvelle politique agricole commune ? Votée par les députés ce mercredi 13 mars au Parlement européen, la nouvelle PAC va-t-elle rompre avec le modèle agricole actuel ? Instaurée en 1962, cette politique fondatrice de l’Union européenne s’est illustrée par des inégalités dans la répartition des aides, des encouragements à une agriculture polluante et coûteuse, ainsi que des primes à la concentration des exploitations. Les députés européens sont-ils prêts à changer la donne ?

Ambiance électrique, ces derniers jours, au Parlement européen. Les députés doivent se prononcer ce mercredi 13 mars sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC), premier budget de l’Union européenne, avec 55 milliards d’euros dépensés chaque année. Sera-t-elle plus verte et plus juste qu’avant ? C’est ce que réclament les membres d’Arc 2020, qui regroupe 120 associations et syndicats. Car la PAC, instaurée en 1962 pour sécuriser l’approvisionnement alimentaire du vieux continent tout en assurant un niveau de vie équitable à ses agriculteurs, n’a pas tenu ses promesses.

Précarité et inégalités

« Si, à un moment donné, en France au moins, on a dépassé le revenu moyen des salariés, on est aujourd’hui largement en dessous », rappelle Régis Hochart, mandaté par la Confédération paysanne au Conseil économique, social et environnemental (CESE), et auteur d’un rapport sur la future PAC. Les agriculteurs sont aujourd’hui davantage précarisés que les autres professions : 21 % d’entre eux sont pauvres, et vivent avec environ 800 euros par mois.

La publication, à partir d’avril 2009, de la liste des bénéficiaires des aides PAC a par ailleurs mis en évidence que ceux qui touchaient les plus grosses sommes n’étaient pas des agriculteurs mais des coopératives ou entreprises du secteur agroalimentaire. La coopérative sucrière Tereos est ainsi la plus grosse bénéficiaire de subventions de la PAC en 2011, avec 178 millions d’euros, suivie par l’entreprise Saint Louis Sucre (144 millions d’euros), et le volailler Doux (56 millions d’euros), spécialiste de l’exportation de poulets congelés. Est-il pertinent que les aides de la PAC financent une entreprise actuellement en redressement judiciaire, avec une dette de 270 millions d’euros, et qui licencie des centaines de salariés ?

Gérer les excédents

La PAC de 1962 visait à « nourrir l’Europe ». Côté quantités, la politique agricole a plutôt bien réussi. Trop bien même. En assurant aux producteurs un prix d’achat garanti, la PAC a boosté en quelques années la productivité agricole, surtout pour le lait et les céréales. Dès le milieu des années 60, Sicco Mansholt, premier commissaire européen chargé de l’agriculture, a alerté les États-membres sur les risques de surproduction. En 1968, la Communauté économique européenne connait un surplus de lait et de viande bovine. Elle achète aux producteurs les excédents, et les stocke ou les transforme pour l’aide humanitaire.

Nous sommes dans les années 1970, c’est la grande époque des montagnes de beurre et des carcasses jetées à la mer... Les partenaires commerciaux de l’Union Européenne se plaignent déjà de voir les produits excédentaires s’écouler à des prix bradés, perturbant les marchés mondiaux. En 1983, l’Union européenne (UE) décide de limiter les excédents en imposant les quotas laitiers et le gel d’une partie des terres cultivées.

Des aides déconnectées de la production

Dans les années 1990, avec les négociations du Gatt (préfiguration de l’Organisation mondiale du commerce), s’en est fini des prix garantis. Pour mettre fin aux « distorsions de concurrence », l’UE est tenue de modifier le système de la PAC. « Toutes les réformes se font sous pression internationale. Il n’y a pas de vision sur le projet du modèle agricole européen », précise Régis Hochart. Ces modifications se font aussi sous l’œil vigilant des Organisations professionnelles agricoles (OPA) : syndicats majoritaires, fabricants de matériel, vendeurs de produits phytosanitaires ou puissants groupements de gros exploitants… Tous se sont beaucoup enrichis grâce à la PAC et entendent bien continuer.

Pour calculer le montant des aides, la France choisit la « référence historique ». Cumulée au principe du « découplage », qui déconnecte les aides versées aux agriculteurs du volume de la production, cette référence historique signe pour la France la mise en place (ou réintroduction) d’une véritable rente agricole. Éleveur dans les côtes d’Armor et pionnier de l’agriculture durable, André Pochon en explique le mécanisme : « Vous prenez les aides reçues en 2000, 2001 et 2002. Vous faites l’addition et vous divisez par trois. Cela vous donne le montant du droit à paiement unique (DPU)[des aides versées directement aux agriculteurs, ndlr] auquel vous avez droit. Ensuite, c’est ramené à l’hectare. Celui qui aura eu un bon pactole d’aides entre 2000 et 2002 pourra continuer à le toucher tranquillement. »

300 000 euros d’aides pour certaines exploitations

Les laitiers qui ont intensifié leur production, avec culture de maïs fourrager pour nourrir le bétail, se retrouvent très favorisés : les montants d’aide à l’hectare peuvent atteindre 800 euros. Ceux qui ont décidé de privilégier une production plus extensive, plus respectueuse de l’environnement, comme le maintien de surfaces en herbe par exemple, touchent 80 euros par hectare. Que faire pour remédier à ces inégalités ? « Il faut recoupler au maximum les paiements directs à la production, en y associant une régulation de la production et des mesures empêchant la sur-intensification », souligne ECVC, la coordination européenne de Via Campesina. « Il ne sera pas possible de maintenir un budget PAC important sans légitimité sociale. »

Autre problème : le montant de ces aides n’est pas indexé sur les cours mondiaux. Résultat ? En 2010 et 2011, les prix des céréales se sont envolés (+ 30 % par an), alors que les céréaliers continuaient de recevoir d’importantes aides de la PAC. « On prévoit des revenus à l’hectare sans doute compris entre 500 et 700 euros en 2012 », relate Philippe Collin. Soit entre 100 000 et 140 000 euros par an, pour une exploitation. Une petite vingtaine d’exploitations touchent, chacune, plus de 300 000 euros d’aides PAC par an ! Plusieurs organisations françaises réclament un plafonnement des aides par exploitation à 100 000 euros pour tous les Etats-membres.

Concentration des exploitations

Il est possible de percevoir un énorme pactole sans rien produire, puisque les aides sont, avec le découplage, totalement déconnectées de la production. Seule obligation : ne pas laisser en jachère ses surfaces agricoles plus de deux ans. Ce système de paiement directement lié au foncier a accéléré le rythme de concentration et d’agrandissement des fermes : plus la surface d’une exploitation est importante, plus l’agriculteur reçoit des aides ! Ces dix dernières années, en France, le nombre d’exploitations a diminué de 25 %, tandis leur surface augmentait de 13 hectares en moyenne.

Si la promesse de la PAC a été tenue pour la quantité de production, ce n’est pas le cas pour la qualité. 90 % des cours d’eau français sont pollués aux pesticides, en grande partie à cause de l’agriculture. Et d’importantes crises sanitaires ont eu lieu ces dernières années (crise de la vache folle, grippe aviaire), plutôt embarrassantes pour la crédibilité de la PAC. Les membres d’Arc 2020 militent pour que la PAC dispose d’un budget revalorisé avec une réelle vocation de développement rural. 

L’avant-projet ne bouleverse pas grand chose

Le projet retenu par la commission agriculture du Parlement européen (Comagri) à la fin du mois de janvier ne prévoyait pourtant pas de bouleversement majeur. Les subventions à l’exportation sont maintenues, le respect des directives sur la qualité de l’eau n’est pas obligatoire pour toucher des subventions, quant au « verdissement », il se fera sur une base volontaire. La Comagri propose par ailleurs que les montants des subventions et leurs bénéficiaires restent secrets. Et suggère qu’une partie de l’argent dédié au développement rural soit versé aux assurances privées, pour gérer les aléas climatiques ou économiques !

Le Parlement européen, qui co-décide pour la première fois des orientations de la PAC, prête en général une oreille plus attentive aux revendications de la société civile que le Conseil de l’Union européenne (autre co-décisionnaire), qui réunit les représentants des États-membres. Une société civile de plus en plus organisée au niveau européen sur ces questions d’alimentation. Mais les lobbies économiques et les syndicats professionnels majoritaires, opposés à un changement de système, le sont aussi. On saura d’ici peu si l’Europe des citoyens et des consommateurs peut influencer ses élus.

Nolwenn Weiler

@NolwennWeiler sur twitter

Crédit photo : Bio d’Aquitaine