Discriminations

Roms : pour Manuel Valls le changement, ce n’est pas maintenant

Discriminations

par Nolwenn Weiler

Utilisation de chiffres farfelus sur la délinquance, expulsions musclées et illégales de Roms, mise en garde des instances européennes à l’encontre de l’État français... On se demande si Brice Hortefeux et Claude Guéant ont vraiment quitté le ministère de l’Intérieur. Leur successeur Manuel Valls semble avoir repris leurs méthodes de travail avec beaucoup de zèle.

Photo : Thomas Bresson

+ 69 %: ce serait le taux d’augmentation de la délinquance roumaine en France entre 2009 et 2011, selon des chiffres de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Publiés jeudi 23 août par Le Parisien, ils tombaient à pic pour justifier les évacuations musclées de populations Roms menées par le ministère de l’Intérieur depuis le début de l’été. Manuel Valls s’est d’ailleurs empressé de commenter « l’information » : c’est « une réalité » qu’il « ne faut surtout pas nier », a-t-il assuré à l’Agence France Presse. « Cela veut bien dire, et ces chiffres sont là pour le démontrer, qu’il faut combattre la délinquance d’où qu’elle vienne », a-t-il ajouté.

Problème : personne ne sait d’où sortent ces chiffres, et la note de la DCPJ n’est consultable nulle part. Le Parisien affirme que ce pourcentage provient du très controversé fichier Stic (Système de traitement des infractions constatées)... dont le manque de fiabilité est légendaire. Plus grave : l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (Ondrp) infirme les fameux 69 %. D’après ses tableaux de bord, la part des étrangers au sein des mis en cause pour les crimes et délits non routiers en France métropolitaine n’aurait que très légèrement progressé de 2006 à 2011, passant de 13.1 % à 13.9 % !

Quand le PS dénonçait la « politique du bouc émissaire »

Mais place Beauvau, on ne craint pas les statistiques farfelues : Brice Hortefeux en son temps, puis son successeur Claude Guéant, excellaient en la matière. En septembre 2010, alors qu’une très médiatique campagne d’expulsion des Roms était en cours, Brice Hortefeux avait ainsi annoncé que « la délinquance de nationalité roumaine » à Paris avait augmenté de 138 % en 2009, et de 259 % en 18 mois ! Des chiffres dont personne n’a trouvé la source.

Un an plus tard, en juillet 2011, alors que Claude Guéant a succédé à Brice Hortefeux, et que de nouvelles expulsions ont lieu, une étude du ministère de l’Intérieur indique que la délinquance « générée par les ressortissants roumains » en région parisienne a augmenté de 72,4 % au premier semestre 2011 par rapport au premier semestre 2010 ! Claude Guéant, affirme en plus que « 10% des personnes passant devant les tribunaux parisiens » sont « de nationalité roumaine ». A l’époque, le Parti socialiste s’était élevé contre la « politique du bouc émissaire ». C’était il y a un an, une éternité...

Désormais au pouvoir, Manuel Valls ne craint plus de contredire son parti. Il lui arrive même de commettre carrément quelques entorses à la loi. Le 27 août au petit matin, 72 personnes ont ainsi été expulsées d’un campement installé depuis plus de quatre mois sur la commune d’Evry (où officiait notre cher ministre avant d’intégrer la place Bauveau), avant même que la décision du juge des référés ne soit prise ! Une pratique également très en vogue à Lyon, administrée par le maire... socialiste Gérard Collomb (lire ce témoignage).

Quant au relogement des personnes expulsées (censé, à la différence du quinquennat Sarkozy, être assuré par l’État), il a été confié à la Croix-Rouge. Le 10 août dernier, ces opérations ont valu à la France d’être placée sous surveillance par la Commission européenne. La dernière fois que la France avait ainsi été mise en garde contre sa politique discriminatoire, c’était en 2010, peu après le « discours de Grenoble ». Et un été particulièrement chargé en expulsions.

Nolwenn Weiler