Indignés

Grèce : « Ce que nous ne devons pas, nous ne le paierons pas »

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par Sophie Chapelle

Où en est la contestation sociale en Grèce ? Un an après l’occupation de la place Syntagma, devant le Parlement athénien, de nouvelles formes de résistance populaire ont émergé : services sociaux auto-organisés dans les quartiers, ventes de produits agricoles contournant la grande distribution, ou audit citoyen sur les dépenses publiques… La journaliste grecque Ira Sinigalia dresse pour Basta! le bilan d’un mouvement en devenir, malgré la répression policière et le retour de l’extrême droite.

Basta! : Un an après, quel bilan tirez-vous du mouvement d’occupation de la place Syntagma, devant le Parlement grec, à Athènes ?

Ira Sinigalia : C’était complètement spontané, une nouvelle manière de faire face à la crise. À l’image des Indignés espagnols, les citoyens se sont réappropriés l’espace public comme espace politique. Le mouvement à Athènes a démarré le 25 mai 2011, à l’appel du collectif des Indignés. Des milliers de personnes ont envahi la place Syntagma pour protester contre les mesures d’austérité. Des réunions rythmaient chaque journée, des groupes travaillaient sur les questions économiques ou politiques. Nous voulions faire revivre la démocratie athénienne.

Les 28 et 29 juin 2011 ont constitué un pic dans cette révolte pacifique. Nous voulions bloquer l’accès au Parlement, où les députés devaient se prononcer sur le nouveau mémorandum. La majorité des Grecs y étaient opposés. L’information a circulé très vite sur les réseaux sociaux. Nous avons vraiment pris la mesure de ce que peut être la « démocratie immédiate ». Pendant deux jours, partout sur la place, des gens discutaient, proposaient, dansaient, chantaient. Quand j’en parle, j’ai la chair de poule !

Ce moment de révolte pacifique a été fortement réprimé par la police…

La police a réagi très violemment. Il y a eu beaucoup de blessés parmi les manifestants. Le nuage de gaz lacrymogène nous empêchait de respirer. Toutes les issues de la place étaient bouclées. Heureusement, le personnel du métro a ouvert les rames, ce qui a permis de se mettre à l’abri. Nous nous attendions à cette violence, mais cela a été un choc pour la population. Un signal clair que le gouvernement voulait faire cesser le mouvement. Après les 28 et 29 juin, la place a continué de se remplir. Mais les vacances d’été n’ont pas permis au mouvement de repartir.
Après août, la police intervenait dès qu’il se passait quelque chose. Un jour, un professeur grec est venu faire une déclaration, et la police est arrivée en masse. Le mouvement de Syntagma s’est terminé comme ça. Nous ne pouvions pas en rester là.

Quelles sont vos nouvelles formes de résistance ?

Le mouvement de Syntagma s’est transféré dans les quartiers voisins. Les habitants se réunissent régulièrement face à la crise économique et financière : ils organisent des repas communs, mettent en place des services médicaux pour les personnes ne pouvant pas payer les soins. Des sortes de comités de quartier, où on peut avoir un soutien sanitaire mais aussi des conseils juridiques gratuits. La plupart des personnes actives dans ces mouvements sont chômeurs. Il y a en permanence des appels à de nouvelles mobilisations et actions. Ce volcan va se réveiller un jour, c’est certain, mais sous une nouvelle forme.

Avez-vous lancé un audit de la dette grecque ?

Des économistes de gauche ont lancé il y a deux ans une initiative populaire sur l’analyse des dépenses publiques, en partant du constat que la dette publique est trop importante et ne peut pas être remboursée. Il s’agit de savoir pourquoi et comment nous en sommes arrivés à cette situation, grâce à un « comité de vérification ». Nous nous mobilisons pour l’élimination d’une dette que le peuple grec n’a pas contractée : ce que nous ne devons pas, nous ne le paierons pas.

Nous sommes aussi préoccupés par la dette écologique. Un énorme plan de privatisations se prépare. La Grèce ambitionne de capter jusqu’à 20 milliards d’euros d’investissement dans les prochaines décennies, pour mettre en place une très grande production d’électricité photovoltaïque. Comme le projet Helios, une immense centrale solaire sur 20 000 hectares, pour exporter de l’électricité vers l’Allemagne. Des terres agricoles vont être cédées quasi gratuitement.

Le « mouvement des pommes de terre » et ses ventes directes aux populations ont-ils perduré ?

Des producteurs du nord de la Grèce sont venus à Syntagma pour vendre leurs pommes de terre à des prix très bas. Cette initiative s’est produite à plusieurs reprises et pas seulement avec les pommes de terre. C’était une façon de court-circuiter et de dénoncer les intermédiaires qui empochent de fortes marges. Cela a eu des impacts énormes. Les supermarchés ont commencé à avoir très peur. Mais la vente directe se poursuit. L’entrée dans l’Union européenne a complètement désorganisé notre agriculture. Nous sommes devenus, par exemple, importateurs d’ail de Chine. Tout cela nous interroge sur la manière dont nous pouvons restructurer notre agriculture, car c’est notre force en Europe.

Comment les mouvements étudiants participent-ils à la mobilisation ?

Le taux de chômage chez les jeunes dépasse les 30 %. Ils étudient mais savent qu’il n’y aura pas de travail. Les universités essaient de suivre la dynamique du mouvement mais elles n’impulsent pas. Un des dangers les plus importants aujourd’hui, c’est Aube dorée, ce mouvement d’extrême droite qui puise dans les idées de Syntagma mais leur donne un contenu xénophobe, réactionnaire et souverainiste. Notre mouvement a encore un avenir, il est en devenir. Lorsqu’un vieil homme s’est suicidé début avril sur la place Syntagma (voir sa lettre), un grand rassemblement a immédiatement suivi. Chaque fois qu’un vote en lien avec le mémorandum a lieu, nous savons que nous avons rendez-vous à Syntagma.

Propos recueillis par Sophie Chapelle