Effet de serre

Climat : où en sont les négociations pour limiter le réchauffement planétaire ?

Effet de serre

par Maxime Combes

Un nouveau record d’émissions de gaz à effet de serre a encore été battu en 2011. Plusieurs instituts de recherche annoncent un réchauffement de plus de 3,5 °C d’ici à la fin du siècle. Malgré cela, de nouvelles négociations climatiques viennent de se terminer, dans l’indifférence générale, à Bonn. Toujours pas d’accord en vue. Les États continuent de se renvoyer la balle, le marché du carbone est en pleine déconfiture, et les promesses des grandes négociations tombent dans l’oubli. Le chaos climatique, lui, n’attend pas.

À croire que les sécheresses en Australie et en Afrique, les inondations au Pakistan et en Thaïlande, les feux de forêt en Russie, la montée des eaux qui menace les îles du Pacifique, le changement des saisons des pluies dans les Andes ou en Asie du Sud-Est ne suffisent pas. Les dernières négociations internationales sur le climat, qui ont eu lieu à Bonn (Allemagne) du 14 au 25 mai 2012, se sont achevées « dans la discorde et la déception », estime The Guardian. Pourtant, de nouveaux records d’émissions de gaz à effet de serre ont été battus : + 3,2 % en 2011 ! Après avoir connu une augmentation de 6 % en 2010… Pour avoir une chance sur deux de ne pas dépasser les 2 °C d’augmentation de la température d’ici à la fin du siècle, les émissions ne devraient presque plus augmenter jusqu’en 2017, selon le scénario de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Ce qui fait dire à Fatih Birol, économiste en chef de l’AIE, que la possibilité de ne pas dépasser les 2 °C est sur le point de devenir inaccessible.

En se fondant sur les engagements actuels de réduction de chaque pays, trois instituts [1] prévoient que la température globale moyenne va augmenter de 3,5 °C d’ici à la fin du siècle. « Plusieurs gouvernements ne semblent pas appliquer les politiques censées leur permettre d’atteindre leurs objectifs de réduction de GES, estiment-ils. D’où une difficulté à contenir l’augmentation de la température terrestre entre 1,5 et 2 °C. Les émissions du Canada devraient augmenter de 7 % d’ici à 2020 par rapport à 2005. Ce dernier s’était pourtant engagé à les réduire de 17 % sur la même période. Le protocole de Kyoto – dont la Canada s’est depuis retiré – prévoyait qu’il les réduise de 6 % entre 2008 et 2012 par rapport à 1990.

Comment les États se renvoient la balle

À Bonn, avait lieu en mai la première rencontre après la conférence de Durban de décembre 2011. Les pays étaient censés établir un plan de travail pour les trois prochaines années. Une « phase conceptuelle » (sic), selon le négociateur américain. À Durban, après de longues nuits de négociations, les pays avaient finalement décidé de poursuivre la discussion en vue d’un accord en 2015, qui pourrait entrer en vigueur en 2020 (re-sic) ! Débutées après le sommet de Rio de 1992, les négociations internationales sur le climat semblent s’enliser de façon quasi irrémédiable, faisant naître « un immense fossé entre un monde qui fonce vers le chaos climatique et des États qui se livrent à la procrastination », comme le signalait Basta! en décembre dernier.

Lorsque les négociations sont bloquées, les États en profitent pour reprendre leur jeu favori : le « blame game ». Ce qu’on pourrait traduire en français par « se renvoyer la balle ». Ils passent leurs journées à se rejeter la responsabilité de l’inertie des négociations, oubliant de balayer devant leur porte. L’Union européenne s’en donne à cœur joie. Par l’intermédiaire de sa commissaire à l’Environnement, Connie Hedegaard, elle n’hésite pas une seconde à dégainer contre l’Inde et la Chine, accusées de « dépenser trop d’énergie en essayant de revenir en arrière plutôt que de sécuriser les progrès ». En ligne de mire, les positions prudentes de ces pays quant à l’ouverture de négociations qui les placeraient sur un pied d’égalité avec les pays ayant historiquement émis plus des trois quarts des gaz à effet de serre.

Les pays du Nord, principaux responsables des dérèglements climatiques actuels, sont accusés par la Chine, l’Inde et les pays « en développement », de vouloir « échapper aux engagements juridiquement contraignants » et d’abandonner le principe de « responsabilités communes mais différenciées ». Difficile de leur donner tort, à voir l’inaction des États-Unis et la décision du Canada de sortir du protocole de Kyoto [2]. Ou la volonté de la Russie, du Japon, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande de ne pas s’aventurer sur une deuxième période d’engagements de réductions d’émissions.

Les fausses solutions de l’Union européenne

L’Union européenne, affublée d’un très usurpé titre de « leader climatique », n’est pas exempte de tout reproche. D’abord parce qu’elle cible ses attaques sur la Chine et l’Inde plutôt que sur les États-Unis et le Canada. Ensuite parce qu’elle refuse de s’engager sur des réductions d’émissions de 40 % d’ici à 2020. Le seul engagement possible au vu des enjeux, et pour donner du contenu à une seconde période d’engagements dans le cadre du protocole de Kyoto. Si l’on y ajoute des promesses de financements auprès des pays du Sud qui restent non tenues – le Fonds vert pour le Climat n’est toujours pas opérationnel – et le fait que sa politique d’efficacité énergétique est actuellement torpillée, l’UE aurait beaucoup à faire avant de donner des leçons à tout le monde en matière de politique climatique !

L’Agence européenne de l’environnement (AEE) vient de révéler que les émissions de l’UE ont de nouveau augmenté, de 2,4 % en 2010. Si les sources d’énergies renouvelables ont cru de 12,7 % au sein de l’UE, la consommation totale de gaz a également augmenté de 7,4 %. Preuve que que les énergies renouvelables s’ajoutent au mix énergétique existant, plus qu’elles ne se substituent aux énergies fossiles. Au même moment, selon The Guardian, l’UE semble vouloir faire du gaz un « carburant à faible teneur en carbone », décision susceptible de dévier des fonds destinés aux énergies renouvelables vers le développement du gaz. À l’heure où l’AIE préconise d’introduire une réglementation favorable pour susciter un nouvel « âge d’or du gaz », sans doute faut-il s’inquiéter pour les investissements dans les énergies renouvelables et dans la lutte contre le changement climatique.

Inefficacité des marchés carbone

Quant au marché du carbone européen, le European Trading System (ETS), principal instrument en vigueur pour réduire les émissions en Europe, il est en pleine déconfiture. Après des vols de permis d’émissions et des fraudes à la TVA qui ont coûté plusieurs milliards d’euros aux finances publiques, le marché du carbone européen dysfonctionne totalement. La tonne carbone vaut à peine 6 euros. Certains analystes pronostiquent une chute prochaine à 3 euros. À ce prix-là, aucune entreprise n’est incitée à réduire ses émissions : cela revient moins cher d’acheter un permis supplémentaire parmi les quelques 350 millions existant, dont la majorité se trouve dans les mains des industriels de l’acier et du ciment [3]. Autant de permis excédentaires qui seront sources de profits importants lorsque le prix de la tonne carbone remontera.

L’ETS a ainsi créé un marché de 120 milliards de dollars à partir d’une marchandise qui n’existait pas auparavant. Peu efficace et créant un formidable effet d’aubaine, le marché du carbone reste pourtant « le pilier de la politique européenne pour le climat » selon l’UE. Il devrait être prochainement étendu au secteur de l’aviation. Et une part des permis alloués à partir de 2012 devraient être vendus aux enchères. Une légère amélioration si la Commission européenne n’avait pas adopté au même moment des règles autorisant les États à verser des aides aux grosses industries obligées d’acheter ces quotas de CO2. À quelques semaines de la conférence Rio+20, où l’UE compte promouvoir une « économie verte » – qui prévoit d’étendre ces mécanismes de marché –, mieux vaudrait sans doute tout revoir de fond en comble pour éviter le chaos climatique.

Maxime Combes

Photos : source (Une), source

Notes

[1Le Climate Analytics, Ecofys et l’Institut de Potsdam sur la recherche climatique.

[2Le protocole de Kyoto est à ce jour l’unique instrument juridique imposant des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à 37 pays développés.

[3Notamment Arcelor Mittal et Lafarge. Lire notre article Et pourquoi pas une taxe carbone européenne ?