Entretien avec Jean-Marie Pernot

« Les syndicats sont davantage présents dans le privé »

Entretien avec Jean-Marie Pernot

par Ivan du Roy

Désert syndical dans le privé, faible féminisation, divorce entre salariés et directions. Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Institut de recherche économique et sociale, nuance les faiblesses du syndicalisme français.

© Photothèque du mouvement social

Cet article a été initialement publié dans l’hebdomadaire Témoignage Chrétien

La faiblesse du nombre de syndiqués est le point noir du syndicalisme français, en particulier la désaffection des jeunes salariés. Les syndicats ont-ils enfin décidé de réagir ?

Les quarantenaires font cruellement défaut. La question des jeunes est récurrente. Avant ils se syndiquaient une fois entrés dans la vie active, aux environs de trente ans. Depuis les années 80, il n’y a plus cet apport. Il y a eu des initiatives. La CFDT s’est dotée d’une politique de syndicalisation assez précoce : incitation à la collecte des cotisations, suivi des adhérents, adhésions en ligne. Cela a produit quelques résultats, vite annulés en 2003 par des choix stratégiques contestés, qui se sont traduits par une perte de 60 000 adhérents. De son côté, la CGT a mis un temps fou à se doter de politiques claires de syndicalisation. La CGT déclare que, d’ici sept ou huit ans, un tiers de ses adhérents seront à la retraite. Il en est de même à la CFDT. Les syndicats sont loin d’avoir réglé le problème.

La représentation des femmes a-t-elle progressé ?

Entre une assemblée de la métallurgie et une assemblée de personnel hospitalier, il y a bien sûr une grande différence. Il est vrai que, au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarhie, la présence des femmes décline. Les syndicats ne sont cependant pas plus en retard que les politiques ou les grandes administrations. Des femmes y occupent des postes déterminants, comme dans l’équipe dirigeante de la CGT.

Qu’en est-il de l’implantation dans le privé ?

En 1982, le taux de syndiqués dans les entreprises de plus de 500 salariés étaient de 17%. Aujourd’hui, il n’est plus que de 10%. La croyance dans l’utilité des syndicats a faibli dans plusieurs endroits, mais pas partout. Chez les routiers, dans la restauration rapide ou les grandes surface, on se syndique un peu. Le taux de présence dans l’entreprise progresse. Les syndicats sont davantage présents dans le privé sans avoir plus d’adhésions. C’est aussi lié au redéploiement sectoriel de l’industrie vers les services, constitués de petites unités économiques où l’on ne se syndique plus en nombre comme dans les usines d’antan.

Faire dépendre les ressources financières des syndicats des cotisations et non plus des subventions publiques les obligeraient à être plus en phase avec les salariés. Qu’en pensez-vous ?

Ils seraient sûrement plus sensibilisés à l’importance des adhésions. En déduire que cela les rendrait plus en adéquation avec les attentes des salariés, cela signifie connaître ces attentes. Dans de nombreux endroits, les enquêtes montrent que les syndicats sont en phase avec les salariés. Cela n’y fait pas pour autant monter le taux de syndiqués. Les salariés estiment que les syndicats sont utiles et soutiennent même leurs actions, mais n’adhèrent pas. Certains sondages montrent que le pluralisme syndical est plébiscité tandis que d’autres enquêtes mettent en avant la division syndicale comme raison de ne pas y adhérer.

Les nouvelles règle de représentativité peuvent-elles mettre fin à la dispersion syndicale ?

C’est le pari. Les logiques d’alliance sont placées au coeur du système. Pour peser, il va falloir s’unir. C’est un changement systémique dont nous constatons les premières secousses avec le projet de fusion entre l’Unsa et la CGC. Avec la CFTC, elles jouent leur survie. Force ouvrière n’atteindra pas la taille critique de 10% dans plusieurs secteurs du privé. A terme, il y aura des reclassements autour des deux grosses organisations qui restent, sauf si émerge une troisième centrale qui regroupe toutes les autres. La CFDT sera également obligée de sortir de sa logique d’isolement.

Le contexte politique, entre l’avalanche des remises en cause de droits sociaux et l’apathie de l’opposition, est-il favorable à une resyndicalisation, et à ce que les syndicats jouent de plus en plus un rôle d’opposition sociale ?

Nous sommes dans un moment charnière. Le sarkozysme et la vacuité du PS les y poussent. Mais cela signifierait que les syndicats sortent un peu de la réaction au jour le jour et dégagent des perspectives sociétales et politiques - au bon sens du terme. La CFDT a tourné le dos à cela il y a vingt ans. Par son histoire, la CGT est plus sensible aux grandes idées de transformation sociale. Mais sa direction ne veut pas retomber dans le type de rapport que la confédération entretenait avec le Parti communiste. Elle souhaite maintenir une grande indépendance. La Confédération européenne des syndicats rencontre aussi le même problème au niveau européen : adopter une attitude un peu plus politique plutôt que de courir derrière en ânonnant « Europe sociale, Europe sociale ». Cette question vaut pour l’ensemble du syndicalisme européen.

Recueilli par Ivan du Roy