Santé publique

Mediator, amiante, pesticides… que proposent les candidats face aux scandales sanitaires ?

Santé publique

par Agnès Rousseaux

Bisphénol A, Mediator, pesticides Cruiser ou Gaucho... Une voire plusieurs décennies sont malheureusement nécessaires pour que les alertes sur des produits commercialisés mais dangereux soient prises au sérieux par les pouvoirs publics. Plusieurs candidats, en particulier Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon, veulent remédier à cette absurdité. François Hollande propose l’instauration d’un « dialogue environnemental ».

Aurait-on pu éviter les scandales sanitaires de l’amiante ou du Mediator, celui du bisphénol A dans les biberons ou des pesticides Gaucho et Cruiser qui déciment les abeilles ? Que proposent les candidats à l’élection présidentielle pour que de tels manquements ne se reproduisent plus ? Entre le lancement d’un produit ou d’une innovation technologique et la réaction des pouvoirs publics menant à leur interdiction, il s’écoule souvent plusieurs décennies. Des décennies pendant lesquelles se succèdent pourtant les alertes.

Vingt et un ans séparent le classement de l’amiante comme cancérigène et son interdiction ! Onze longues années s’écoulent entre la première alerte sur le Mediator et la fin de sa commercialisation ! Trente ans sont nécessaires à l’interdiction du bisphénol A et les premières inquiétudes ! Que font les agences sanitaires ? Pourquoi les ministères ne se saisissent-ils pas de ces questions dès les premières alertes ? Comment les lobbies industriels parviennent-ils à générer un doute suffisant pour ralentir tout le processus d’expertise publique ?

« Ces crises ne sont pas le fruit d’un malheureux concours de circonstances mais la conséquence d’un système », dénoncent quatre ONG, « lanceuses d’alerte » en santé environnementale [1]. Elles ont dressé une typologie commune des scandales sanitaires, du lancement d’une innovation technologique parée de toutes les vertus, sans étude d’impact ou très peu, jusqu’à la crise sanitaire. Entre ces deux étapes : l’attitude complaisante des agences de sécurité sanitaire – avec son lot de conflits d’intérêt –, les premières alertes non prises en compte, les sanctions ou intimidations envers les lanceurs d’alerte, la fabrique du doute par l’industrie alors que les preuves scientifiques deviennent évidentes, l’attentisme des pouvoirs publics.

Des décennies avant l’interdiction

Vient ensuite la séquence où les assureurs prennent leurs distances : depuis le début des années 1990, les contrats d’assurance excluent ainsi les risques liés à l’amiante, par exemple. En 2000, la Lloyd’s, l’une des principales compagnies d’assurance mondiales, suivi par Axa, décide de ne plus couvrir les conséquences sanitaires des ondes électromagnétiques liées à la téléphonie mobile. En 2010, la Lloyd’s rend public un rapport dans lequel elle établit un parallèle entre amiante et téléphonie mobile quant au traitement du dossier, argumente Étienne Cendrier, porte-parole des Robins des toits.

Dernière étape : la crise. Avec, là encore, beaucoup de tergiversations avant une action – plus ou moins radicale – des pouvoirs publics. Dans toutes ces situations, le consommateur ou le salarié exposé au risque « fait figure de variable d’ajustement face à des intérêts supérieurs pour développer au plus vite un produit ou une technologie », dénoncent les ONG. La répétition de ce même schéma est inquiétante. Et les délais entre mise sur le marché et interdiction révèlent une impressionnante inertie des pouvoirs publics et des agences sanitaires, sous la pression de lobbies industriels très organisés. Exemple avec le Mediator : commercialisé en 1976, premières alertes en 1998, avec en parallèle un lobbying intensif des laboratoires Servier, crise et interdiction du médicament en 2009.

Mélenchon et Joly sur la même longueur d’onde

Le cas du bisphénol A, utilisé pour la fabrication de biberons, boîtes de conserve et canettes, est aussi éclairant : la fabrication massive débute dans les années 1960 – alors qu’en 1936 la substance est testée comme médicament possible contre les avortements spontanés en tant qu’hormone de synthèse, rappellent les ONG. Les premières alertes datent de 1981, et malgré les nombreuses études montrant que la substance est cancérigène et est un perturbateur endocrinien, il faut attendre 2010 pour que le Parlement français vote l’interdiction dans les biberons puis dans les contenants alimentaires.

Pour en finir avec ces scandales, les ONG ont élaboré un projet de loi et 25 propositions pour réformer la sécurité sanitaire en France, soumises aux candidats à l’élection présidentielle, invités à réagir lors du colloque du 16 avril. Ceux-ci sont-ils prêts à reprendre ces propositions à leur compte ? C’est ce qu’affirment Catherine Jouanneau, représentante de Jean-Luc Mélenchon, et la sénatrice Aline Archimbaud, représentante d’Eva Joly. Pour elles, pas de doute, agir sur les causes des crises sanitaires est une impérative nécessité. Côté écolo, on propose un plan contre les maladies du mode de vie. Exemples ? Les cancers chez les agriculteurs exposés aux pesticides, ou l’épidémie de diabète, qui coûte 13 milliards d’euros par an à la Sécurité sociale. Autres propositions : l’inversion de la charge de la preuve pour les victimes du Mediator et la reconnaissance de l’électro-sensibilité comme pathologie.

Quand Chantal Jouanno, de l’UMP, critique Sarkozy

Le Front de gauche propose la création d’un Pôle public du médicament « pour se débarrasser de l’influence du lobby pharmaceutique » ou la reconversion des 20 000 visiteurs médicaux, aujourd’hui VRP des entreprises pharmaceutiques, dans des missions de prévention, sous la responsabilité des mutuelles. Autre mesure : la création en France du chef d’accusation « catastrophe environnementale et collective de longue durée », qui a permis à Turin que les victimes de l’amiante gagnent la bataille judiciaire contre l’entreprise Eternit. Mais, précise la déléguée du Front de gauche, la planification écologique prônée par Mélenchon ambitionne de régler les problèmes à la source : sortir des énergies carbonées pour lutter contre les maladies respiratoires, sortir les politiques environnementales des mécanismes européens… Seule grande divergence avec Europe écologie-Les Verts.

« Je ne voulais pas venir », déclare d’emblée Chantal Jouanno, représentante de l’UMP. « Sur beaucoup de sujets que j’ai portés (en tant que secrétaire d’État chargée de l’Écologie, ndlr), je n’ai pas été suivie », souligne-t-elle. Difficile dans ces conditions de porter la parole du candidat Sarkozy. « Je suis venue parce que j’ai obtenu la permission de dire ce que j’avais envie de dire. » Elle rappelle sa volonté d’interdire les téléphones portables dans l’Éducation nationale. Et l’importance que ces enjeux soient intégrées dans la formation générale : « Vous parlez de perturbateurs endocriniens ou d’impact à faible dose, mais même ces termes ne parlent pas aux décideurs. »

Hollande prône un « dialogue environnemental »

Pour le sénateur Yves Pozzo di Borgo, représentant François Bayrou, seule l’action d’ONG permet de pallier l’attentisme des pouvoirs publics. Il défend la « démocratie sanitaire », « l’idée que les usagers de la santé soient considérés de l’intérieur et non de l’extérieur du système de soins, et puissent saisir si besoin les autorités sanitaires ». Mais le grand projet de François Bayrou est surtout son référendum sur la moralisation de la vie publique, prévu en juin s’il est élu, qui devrait permettre de régler le problème des conflits d’intérêt, affirme son représentant.

Le représentant de François Hollande, Géraud Guibert, souligne l’importance de mettre le « dialogue environnemental » au même niveau que le dialogue social. Avec des échéances précises, des diagnostics partagés entre associations et industriels, et par des experts indépendants. Il insiste également sur la nécessité d’arriver à un dispositif cohérent et complet pour protéger les « lanceurs d’alerte ». Espérons, en cas d’alternance, que le travail de ces derniers ne sera pas vain.

Agnès Rousseaux