Débrouille

Se nourrir sans argent, en recyclant des montagnes de nourriture gaspillée

Débrouille

par Benjamin Lesage

Comment faire pour manger quand on a décidé de se passer d’argent ? Rien de bien compliqué, semble-t-il, pour Benjamin et ses acolytes. Les trois jeunes Européens, sur les routes du monde depuis plus d’un an, trouvent tous les jours de quoi s’alimenter, principalement en glanant parmi les tonnes de nourriture gaspillée chaque jour. Ils comptent aussi sur la générosité des habitants croisés en route.

Se nourrir sans utiliser d’argent peut paraître impossible. Au cours de notre voyage, dans les pays économiquement développés, nous nous sommes pourtant débrouillés en « recyclant » la nourriture dans les poubelles des supermarchés et des boulangeries, ou en demandant directement si nous pouvions « sauver » la nourriture destinée à la poubelle. Bien souvent, les directeurs des magasins acceptent. Parfois certains refusent, allant même jusqu’à jeter de l’eau de javel sur les poubelles pour être sûrs que personne n’ira fouiller dedans !

En général, nous mangeons très bien. Même s’il nous arrive de ne manger que du pain, ou des fruits. Nous sommes tellement habitués, avec l’argent, à avoir tout tout de suite que nous perdons la valeur des aliments. Nous oublions le plaisir de manger, d’apprécier un fruit, un plat bien cuisiné. Au Maroc, les gens nous ont souvent invités pour un thé ou un couscous. C’est là, au cours de notre voyage, que nous avons rencontrés les gens les plus chaleureux et les plus généreux, toujours prêts à partager. Il y a au Maroc beaucoup moins de gaspillage qu’en France, sauf dans les lieux touristiques, qui regorgent de restaurants étrangers, et dans lesquels nous pouvions recycler pas mal de nourriture.

En Amérique latine, les gens nous ont beaucoup offert à manger. Nous recyclions dans les lieux touristiques et bénéficions de la générosité des gens dans les petits villages. Même dans les lieux les plus pauvres, les gens jettent de la nourriture, comme dans les marchés, où l’on trouve toujours quelques fruits ou légumes abîmés. Au Mexique, par exemple, les fruits et les légumes sont abondants, et nous récupérons des kilos de nourriture que nous cuisinons et partageons.

Poubelles cadenassées

Notre récent voyage aux États-Unis fut un grand choc. Nous avons mangé comme des rois, de la nourriture bio et végétarienne, qui termine dans les poubelles des grands supermarchés. Des tonnes et des tonnes de nourriture qui se perdent chaque jour, parfois sous le nez des pauvres de ce pays. La plupart des gérants ferment les poubelles avec des cadenas.

Lorsque nous trouverons un terrain, nous voulons pouvoir semer nos propres graines et produire notre propre nourriture, pour ne plus dépendre des restes du système. Mais d’ici là, voyant toute cette nourriture gâchée, nous nous faisons presque un devoir de la recycler.
D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO), plus d’un milliard d’êtres humains souffrent de malnutrition et plus d’un milliard souffrent d’obésité. Nous produisons dans le monde suffisamment de nourriture pour 12 milliards d’êtres humains, estime la FAO. Mais plus d’un tiers de la nourriture produite termine à la poubelle. Un taux de gaspillage qui s’élève à 50 % dans certains pays comme les États-Unis !

Une injustice liée à l’idée de l’abondance, véhiculée par le système capitaliste : des supermarchés pleins de nourriture, de tout à chaque instant, des produits qui périment trop vite, qui viennent de trop loin. Très peu de restaurants, de boulangeries ou de supermarchés ne jettent pas de nourriture. Beaucoup nous critiquent en disant que nous profitons du système, que manger les restes, ce n’est pas l’auto-suffisance. Ils ont raison : nous ne prétendons pas vivre en dehors du système. Au contraire, nous voulons y rester pour participer au changement.

Benjamin Lesage

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Photo : Best Planet