Précarité énergétique

ERDF n’apprécie pas la solidarité

Précarité énergétique

par Ivan du Roy

3,8 millions de familles auraient bien besoin d’un Jef Duval près de chez eux. Jef Duval, c’est ce technicien d’ERDF, le réseau de distribution d’électricité, menacé de licenciement pour avoir refusé de couper le courant chez plusieurs clients de l’agence d’Arcueil (Val-de-Marne), où il travaille. « Comme bon nombre d’agents, il porte beaucoup d’attention à ces situations de précarité auxquelles il doit faire face tout au long de sa journée de travail (une vingtaine par jour) et ce, plusieurs fois par semaine, explique son syndicat, la CGT Mines-Énergie. Il est attentif sur chacune de ses interventions et quand la situation sur place est humainement compliquée, il réalise cet acte virtuellement, afin de laisser à ces personnes, à ces familles une dernière bouffée d’oxygène avant la coupure ferme. »

Un état d’esprit qui est « devenu insupportable et incompatible avec la politique du chiffre et la course aux résultats » prônées par l’entreprise, dénonce la CGT. Près de 20 000 personnes ont par ailleurs témoigné leur solidarité au jeune technicien de 23 ans, via une pétition en ligne.

3,8 millions de familles en situation de précarité énergétique

D’un côté, des centaines de techniciens risquent de subir le sort de Jef Duval. De l’autre, 3,8 millions de familles vivent en situation de précarité énergétique, selon les plus récentes données de l’Insee. Soit plus de 14 % des ménages qui consacrent au moins 10 % de leurs revenus pour se chauffer, s’éclairer ou alimenter leurs appareils électroménagers. Principalement des familles monoparentales et des chômeurs. 281 000 foyers sont en grande précarité énergétique, consacrant plus de 15 % de leurs revenus à l’énergie de leur logement, et habitant le plus souvent des « passoires énergétiques ». Une situation qui « touche essentiellement les ménages les plus modestes », rappellent l’office statistique.

2012 pourrait être bien pire. Car les données de l’Insee datent de 2006, avant la crise financière, avant la recrudescence du chômage, et avant les nouvelles augmentations des tarifs de l’énergie. En 2011, les tarifs de l’électricité ont augmenté de 6,5 % et ceux du gaz de ville de 8,5 %. EDF souhaite encore alourdir la facture de 5 % par an jusqu’en 2016, soit 30 % en cinq ans (et sans sortir du nucléaire…). Si EDF se réjouissait au printemps 2011 d’avoir « opéré moins de 100 000 coupures pour impayés sur un an », la crise et l’hiver rigoureux pourraient changer la donne. Les techniciens d’ERDF et de GRDF risquent donc d’être confrontés à des cas de conscience de plus en plus nombreux : obéir et couper le courant, quitte à ce que leur éthique en souffre, ou être à l’écoute des usagers et risquer d’être mal vus par leur hiérarchie. La question de la transition énergétique a, elle, disparu du radar de la présidentielle.