Energie renouvelable

Photovoltaïque : les raisons de la débâcle

Energie renouvelable

par Rachel Knaebel

À l’image du fabricant français Photowatt, l’industrie photovoltaïque allemande connaît une période difficile. Les dépôts de bilan se multiplient. En cause : la concurrence chinoise, une demande en recul, mais également une mauvaise gestion suite à l’euphorie boursière qu’a connue le solaire. Cette crise va coûter cher aux travailleurs, dans une branche où les bas salaires sont encore légion.

Le siège du producteur berlinois de panneaux photovoltaïques Solon reflète la gloire d’antan : un grand bâtiment de bois et de verre, un jardin intérieur, un toit en forme de vague du côté de la rue. Mais derrière les murs, l’ambiance est à l’inquiétude. L’entreprise créée en 1995, la première du solaire allemand à avoir fait son entrée en Bourse (en 1998), est aujourd’hui en dépôt de bilan. Son action, qui avait atteint une valeur de 94 euros en 2007, est tombée à 30 centimes.

Solon emploie plus de 400 personnes en Allemagne, environ 800 dans le monde. Après deux mois de chômage partiel à l’automne, la direction a annoncé la faillite mi-décembre. Depuis, la production continue à 50 % seulement. Les salaires sont intégralement payés par l’agence pour l’emploi. Jusqu’à fin février. Ensuite, tout dépendra des repreneurs potentiels. L’un d’entre eux, le groupe des Émirats Arabes Unis, Microsol, a assuré vouloir poursuivre la production et conserver la grande majorité des emplois. « Microsol a aussi annoncé qu’il prendrait en charge les garanties des panneaux Solon, indique Holm Deterling, président du comité d’entreprise et ouvrier à la chaîne de production. Ça rassure les acheteurs. »

La faute aux Chinois ?

Le fabricant berlinois est un exemple parmi d’autres de la situation de la crise de l’industrie photovoltaïque. Comme le français Photowatt, qui doit être repris par EDF après un redressement judiciaire, les producteurs allemands de modules solaires traversent une période difficile. La société hambourgeoise Conergy (1 500 salariés dans le monde) a annoncé des pertes bien plus importantes que prévu pour 2011. L’ancien numéro un mondial Q-Cells (2 400 employés dans le monde, 1 700 en Allemagne) a signalé fin janvier ne pas pouvoir rembourser ses dettes. Un accord conclu in extremis avec ses créanciers l’a sauvé, mais l’a fait passer à 95 % dans les mains de ses prêteurs. Fin 2011, c’était le spécialiste du solaire thermique Solar Millennium qui faisait faillite, après que deux grands projets sont tombés à l’eau aux États-Unis et en Espagne. Et le petit producteur Sunways vient d’être repris par le chinois LDK.

Car Pékin s’est hissé en quelques années à la tête du secteur. Soutenus par le pouvoir central, les fabricants chinois ont bouleversé le marché, accru la concurrence et fait chuter les prix des panneaux. « Nous avons constaté une baisse des prix de plus de 50 % ces deux dernières années », signale Constanze Döll, du réseau régional d’entreprises Berlin Solar Network. Et cette situation fait aussi vaciller les Américains, comme Evergreen, qui a déposé le bilan en août.

Le coup est dur pour un secteur jusqu’ici prometteur, qui compte 15 000 entreprises en Allemagne et y emploie 150 000 personnes. Mais le groupement de la branche Bundesverband Solarwirtschaft (BSW) se veut rassurant : il s’agit d’une simple transition, après une période de forte demande et d’offre faible en 2008. Les commandes ont ensuite reculé, à la suite de la baisse, en France, en Allemagne, en Italie et en Espagne, des tarifs d’achat de l’électricité photovoltaïque (aides indirectes aux installations solaires). Résultat : une surcapacité mondiale. Selon Constanze Döll, « on produit aujourd’hui 50 gigawatts par an dans le monde, alors que le besoin n’est en ce moment que de 23 gigawatts annuels ».

Ou aux erreurs des gestionnaires ?

« Bien sûr que la concurrence chinoise joue un rôle. Mais les vendeurs de panneaux savent bien que la qualité de nos produits est meilleure », nuance Holm Deterling. Il dénonce la mauvaise gestion de Solon. « La direction a installé des filiales et pris des participations partout, au États-Unis, en Italie, à Bosch… Parfois, ça n’avait pas de sens. » Solon a abandonné certains de ses sites entre-temps, comme ses filiales suisse et autrichienne. Mais elle en possède encore en Italie, aux États-Unis et en France. « L’entreprise a dépensé beaucoup d’argent pendant les années fastes. Elle a construit ce nouveau siège, surdimensionné (le bâtiment de 23 000 m2 a coûté environ 40 millions d’euros), mais n’a pas investi dans l’innovation. Nous fabriquons les mêmes modules depuis dix ans », critique le représentant du personnel.

Pendant ce temps, la dette s’est accumulée, jusqu’à 402 millions d’euros en juin 2011. Solon avait pourtant restructuré ses finances en mars 2010, à l’aide de 146 millions d’euros de subventions de l’État fédéral, de la ville de Berlin et de l’Etat-région du Mecklembourg-Poméranie, où le fabricant possède un site de production. Pour ces deux régions particulièrement touchées par le chômage (13 % à Berlin, 14 % en Mecklembourg), il s’agissait avant tout de conserver les emplois. « Jusqu’à la fin, on nous a dit qu’il serait possible de restructurer. L’entreprise aurait dû réduire sa dette avant d’arriver à des centaines de millions d’euros, estime Holm Deterling. Nous ne comprenons pas qu’il n’y ait pas de conséquence pour la direction, actuelle et ancienne. Personne ne veut prendre la responsabilité de la faillite. »

Payé 7,50 euros brut de l’heure

Le représentant pointe aussi le faible niveau des salaires, jamais augmentés pendant la période de développement de Solon. Un ouvrier à la chaîne et au trois-huit gagne 1 250 euros net par mois. « Beaucoup de fabricants photovoltaïques se sont installés dans l’est de l’Allemagne (la concentration de ces entreprises en ex-RDA a même donné naissance au nom de Solar Valley) parce qu’elles peuvent y recevoir des subventions importantes et que les salaires y sont en moyenne un tiers plus bas que dans l’ouest du pays », indique Peter Ernsdorf, responsable du syndicat IG Metall dans l’est du Brandebourg, près de la frontière polonaise. À l’usine Aleo Solar de Prenzlau, par exemple (640 salariés), un ouvrier au montage gagne 7,50 euros brut de l’heure. « C’est encore moins bien payé pour les intérimaires, qui sont jusqu’à 200 lors des pics de production. »

Le secteur n’a pas de convention collective, et les accords d’entreprise sont rares. « La culture industrielle est différente ici de celle de la métallurgie ou de l’électronique. Dans le photovoltaïque, il n’y a pas de volonté des employeurs de mettre en place des structures de codécision. On a parfois l’impression qu’il s’agit de faire vite de l’argent. » Peter Ernsdorf réclame plus d’investissement dans la recherche pour faire face à la concurrence : « Si on ne fait rien, on peut craindre un effondrement, et ce seront les travailleurs qui perdront. »

Un projet de loi pour plafonner les aides

Le soutien ne viendra pas du gouvernement allemand pour l’instant. Le ministre libéral de l’Économie, Philipp Rösler, a réclamé dernièrement un quota pour les aides aux installations : les tarifs avantageux d’achat de l’électricité photovoltaïque (garantis pour vingt ans à partir de la date d’entrée en fonction) ne seraient assurés que jusqu’à 33 gigawatts de puissance globale installée dans le pays. Or, l’Allemagne en est déjà à 24 gigawatts (lien projet de loi de Philipp Rösler : http://www.hans-josef-fell.de/content/index.php?option=com_docman&task=doc_download&gid=655&Itemid=77).

Il ne s’agit encore que d’un projet de loi. Mais les tarifs diminuent de toute façon régulièrement. Après une nouvelle baisse de 15 % en janvier 2012, la branche attend une nouvelle décote de même ampleur au 1er juillet. Une petite installation de moins de 30 kilowatts de puissance mise en marche depuis le 1er janvier vend aujourd’hui son kilowatt à un peu plus de 24 centimes, contre 57 centimes pour une installation de même taille démarrée en 2004 [1]. « On ne peut donc pas dire que le prix de l’électricité solaire est trop haut », insiste Constanze Döll.

Rachel Knaebel

Photo : CC steel & silicon