Justice sociale

Salariés de Michelin et villageois indiens unis contre les délocalisations

Justice sociale

par Sophie Chapelle

Alliance inédite contre la direction de Michelin : des syndicalistes de la CGT de l’usine de Clermont-Ferrand et des villageois indiens combattent ensemble un projet de zone industrielle dans la région de Madras, en Inde. Le groupe français envisage d’y construire fin 2012 une usine de pneus. Les communautés locales craignent de lourdes conséquences pour leur environnement.

« Le mouvement social ne peut plus se contenter de dénoncer abstraitement la délocalisation de l’économie, lancent les syndicalistes de CGT Michelin. Non seulement cette dernière ruine l’emploi chez nous, mais elle détruit souvent à la racine les conditions de vie des plus pauvres au Sud. » Dans un appel signé par plus de 35 000 personnes, les cégétistes dénoncent la construction d’une usine de pneus du fabricant français en Inde. Démarré il y a un an, le chantier est estimé à 600 millions d’euros d’investissement et emploierait 1 500 personnes. L’usine devrait commencer à produire ses premiers pneus à la fin 2012 en vue de fournir le marché indien des poids lourds et des bus.

Or, cette usine est érigée sur un territoire abritant une communauté d’Intouchables, la caste la plus défavorisée en Inde, constituée de 1 500 familles. Le syndicat CGT affirme que la construction de l’usine conduit à « la destruction de l’environnement permettant à cette communauté de vivre, détruisant sources d’eau potable, pâturages, forêts, mettant en péril l’existence même de ces familles ». Madhumita Dutta, militante indienne, est venue à Clermont-Ferrand jusqu’au siège de Michelin pour témoigner de la situation des 5 000 Intouchables de la région de Madras (Chennai).

« Michelin profite des cadeaux de l’État »

Partie prenante de la lutte engagée par les villageois de Thervoy Kandigai, Madhumita a présenté l’histoire de leur combat, qui a commencé bien avant que Michelin ne décide d’implanter cette usine sur cette zone. En 2007, la province du Tamil Nadu a acquis 1 127 hectares afin d’en faire une zone industrielle. Malgré leurs grèves de la faim, les villageois déjà installés sur ces terres assistent impuissants à la destruction d’une grande partie de leur forêt. Un an plus tard, en août 2008, ils apprennent le projet de construction de l’usine Michelin sur une partie de la zone industrielle.

« En décidant de s’installer ici, Michelin ne pouvait ignorer le combat engagé par les villageois », estime Madhumita Dutta, qui dénonce « des cadeaux de l’État » comme le classement de cette usine « en projet d’utilité publique ». Des cadeaux qui, précise-t-elle, « se généralisent en Inde pour faire venir des investisseurs et dont Michelin profite ».

Promesses de Michelin

Dans un communiqué, le groupe Michelin « souligne qu’il n’y a pas de conflit entre Michelin et les villages localisés aux alentours du site » loué à l’État de Tamil Nadu. 
Il se défend d’avoir détruit les forêts et les pâturages, et prétend à l’inverse avoir une démarche « responsable ». Le groupe aurait investi en 2011 plus d’un million d’euros pour, dit-il, « participer à l’amélioration des conditions de vie des villageois » – au travers notamment de formations, de soutien scolaire et de soins médicaux.

Pour « vivre en harmonie avec son environnement » (sic), le Groupe promet de « ne rejeter aucun déchet », « de préserver l’environnement et les ressources en eau de la région », « d’installer des unités de production de biogaz » et de « désensabler des lacs et canaux d’irrigation de rizières ». Michelin relativise le poids de la contestation, estimant que seules « quelques dizaines de personnes » seraient opposées au projet. Madhumita parle, elle, de 1 500 manifestants.

Répression

Face à l’usine Michelin – la seule en construction pour le moment sur la zone industrielle –, les villageois multiplient les manifestations et les grèves de la faim pour continuer à vivre de leurs terres et de leurs forêts, déjà partiellement détruites. « Ils sont désormais contraints de marcher plusieurs kilomètres pour faire paître leurs troupeaux, sur des terres stériles  », alerte Madhumita. Les rendements des cultures de riz, d’arachide et de piment sont fortement réduits. La confiscation et la destruction de la forêt risquent également de tarir les lacs approvisionnant les villages locaux en eau.

Soixante-quinze villageois sont aujourd’hui sous le coup de plaintes, en raison de leur résistance au projet, et huit sont emprisonnés. Les communautés ont décidé de porter l’affaire devant le tribunal environnemental de Delhi, qui suit le dossier. Elles ne souhaitent qu’une chose, jouir de leurs terres.

Solidarités internationales

Les communautés locales, auxquelles s’associent la CGT-Michelin et la Fondation Henri-Pézerat, ont remis à la direction du groupe Michelin, le 17 janvier, une pétition de plus de 35 000 signatures. Ils demandent l’arrêt de la construction de l’usine, la restitution de leurs terres, l’indemnisation des communautés affectées, la libération des huit personnes emprisonnées, l’amnistie pour celles en attente de jugement et l’arrêt de toute violence contre la population. Alors que d’autres usines pourraient s’installer prochainement, parmi lesquelles Bekaert India (production de câbles) et Harsha Glass (verre), le combat des Intouchables est loin d’être terminé.

Sophie Chapelle