Démocratie

Cameroun : réélection perpétuelle d’un président « impopulaire et illégitime »

Démocratie

par Jean-Bruno Tagne

Au pouvoir depuis 1982, Paul Biya vient d’être réélu président du Cameroun, à 78 ans. Durant ce règne sans partage, corruption et répression ont miné le pays.
Jean-Bruno Tagne, journaliste camerounais, déplore l’allégeance des observateurs et responsables politiques internationaux, et décrit l’état de misère de son pays, dans lequel les contre-pouvoirs démocratiques ont depuis longtemps démissionné.

Paul Biya, 78 ans, à la tête du Cameroun depuis 1982 va encore régner les sept prochaines années sur le pays. Les Camerounais se sont rendus aux urnes dimanche 9 octobre : le chef de l’État sortant avait assuré sa réélection, au cours d’un scrutin où la fraude et les irrégularités de toute sorte ont triomphé. Ouverture tardive de certains bureaux de vote, absence de cartes d’électeur, individus en possession de quatre ou cinq cartes, votes multiples, encre délébile… On aura tout vu ! Le taux d’abstention a aussi atteint un niveau record. Très peu de Camerounais se sont rendus aux urnes, convaincus que le jeu n’en valait pas la chandelle. Dans certains bureaux de vote, moins de la moitié des inscrits ont accompli leur devoir de citoyen.

Il ne faut cependant pas compter sur Élections Cameroon (Elécam), l’organe chargé de conduire le processus électoral, pour donner les vrais chiffres de l’abstention. Elle s’est en effet précipitée dès le lundi matin de proclamer que la présidentielle 2011 s’était déroulée dans le calme, la sérénité et la transparence. Plus grave : son président, Samuel Fonkam Azu’u, a déclaré que les Camerounais s’étaient rendus « massivement » aux urnes. Elécam avait aussi prétendu que 7,5 millions de Camerounais s’étaient inscrits sur les listes électorales.

« Paul Biya a été mal élu »

Face à ces mensonges, démentis par les faits, les observateurs dits indépendants et même internationaux ne présentent pas une alternative crédible : ils sont reçus au Cameroun, nourris, logés et blanchis aux frais de la princesse. Le jour du vote, certains d’entre eux ont sillonné rapidement la ville de Yaoundé, laissant la fraude prospérer dans l’arrière-pays. N’a-t-on pas vu ces observateurs se masser dans le bureau de vote où Paul Biya devait accomplir son devoir de citoyen ? Certains se sont même laissé aller à quelque ovation à son endroit. D’autres encore sont allés faire allégeance à Paul Biya au palais de l’Unité, à peine l’élection terminée. Pour clamer au bout de la mascarade, comme c’est souvent le cas, que le scrutin s’est « globalement bien déroulé ».

Une chose est sûre. Paul Biya a été mal élu. On se demande bien comment un homme aussi mal élu va gouverner, et légitimer son pouvoir. Dans moins de trente jours, il est prévu qu’il organise la célébration de son triomphe. Une cérémonie certainement grandiose à laquelle des collègues chefs d’État seront invités, comme le président de la France, cette amie de toujours qui a régulièrement cautionné les mascarades électorales organisées au Cameroun depuis 1992.

« Les contre-pouvoirs ont depuis longtemps démissionné »

Nicolas Sarkozy aura-t-il le courage d’adresser une lettre de félicitations à un dirigeant aussi impopulaire qu’illégitime ? Une telle éventualité serait un nouveau coup de couteau dans le dos du peuple camerounais, qui croupit dans la misère depuis trente ans, et s’apprête à subir sept nouvelles années difficiles. Au cours de la campagne électorale qui a précédé le scrutin du 9 octobre, le candidat Biya n’a rien proposé quant aux problèmes réels des Camerounais. Or ils sont nombreux.

L’alternance au Cameroun est difficile, voire impossible, avec une opposition très peu organisée et inconsistante. Les contre-pouvoirs qu’auraient pu être la société civile et la presse ont depuis longtemps démissionné. Seul prospère aujourd’hui le culte de la personnalité du chef de l’État, qui a brisé le verrou constitutionnel de la limitation des mandats présidentiels en avril 2008 pour s’éterniser au pouvoir. Cette année-là, plusieurs centaines de Camerounais furent tués par les forces répressives d’un pouvoir alors aux abois.

Dans ce pays où les enseignants sont démotivés et mal payés, la qualité de l’enseignement a pris un coup. Le niveau des élèves, selon de nombreux observateurs, est en nette régression. La presse locale a révélé cette année que des élèves avaient été reçus au baccalauréat avec une note de 8/20. Les élèves dans le public comme dans le privé sont parqués dans des classes de 120 à 130 élèves. Un effectif qui ne permet pas aux enseignants de faire des évaluations régulières.

« Au Cameroun, on meurt faute de soins appropriés »

Chaque année, des milliers de diplômés de l’enseignement supérieur viennent grossir les rangs d’une armée de chômeurs. Les plus chanceux se retrouvent « moto taximen » ou tenanciers de « call-box », une sorte de cabine téléphonique publique.

À l’école comme dans tous les secteurs de la société, la corruption prospère. Un handicap considérable à l’investissement, notamment étranger. Certains investisseurs étrangers tournent en rond dans les couloirs de ministères pendant des semaines, simplement parce qu’un fonctionnaire subordonne à un bakchich le document qui leur aurait permis de s’installer.

Les services de santé sont sinistrés. Impossible de recevoir le moindre soin dans un hôpital public sans avoir au préalable payé. Au Cameroun, on meurt faute de soins appropriés. Face à la pauvreté, l’automédication prospère, tout comme le recours aux marabouts et autres médecins traditionnels.

Les services sociaux élémentaires manquent cruellement. Dans la capitale, Yaoundé, des quartiers entiers sont sans eau. Dans un environnement insalubre, et où l’eau est rare, le choléra prospère, et il a tué plusieurs centaines de personnes entre 2009 et 2011 rien qu’à Yaoundé.

Au Cameroun de Paul Biya, seules les activités licencieuses prospèrent. Les bars pullulent à tous les coins de rue. Aucune réglementation dans ce secteur n’est respectée. La facilité avec laquelle on peut en devenir propriétaire démontre que cela est fait à dessein. Pendant que les pauvres Camerounais se saoulent, leur dirigeants pillent leurs richesses et s’éternisent au pouvoir. Et dire qu’on soupçonne Paul Biya de vouloir fourguer son fils – Frank Biya, âgé de 40 ans – en héritage aux Camerounais !

Jean-Bruno Tagne, journaliste camerounais

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