Politique

Benoît Hamon : « Le PS doit parler prioritairement aux classes populaires »

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par Agnès Rousseaux, Ivan du Roy, Nadia Djabali

Pour Basta!, Benoît Hamon, porte-parole du PS, détaille les actions prioritaires de la gauche si elle accède au pouvoir en 2012 : une redistribution de la richesse vers l’investissement et les salaires, la mise en place d’une « négociation permanente » avec le mouvement social, et un abandon de la dépendance aux marchés financiers. Pour peser au niveau européen, le PS construit également une sorte de programme commun avec le SPD allemand.

Basta! : Si la gauche accède au pouvoir après mai 2012, quelle est la première mesure à mettre en œuvre ?

Benoît Hamon : Il est absolument indispensable de revaloriser le travail, les conditions dans lesquelles nous bossons, et le salaire qui y est associé. Avec un chômage extrêmement important, une souffrance au travail, une précarité énorme, un sentiment de déclassement, les attentes sont très fortes. Nous devons être immédiatement offensifs et donner un signal de rupture avec la remise en cause de la valeur du travail. Nous devons surtout éviter le cercle vicieux de la modération salariale au nom du maintien des emplois. Ce n’est pas le boulot ou le salaire ! Voilà, selon moi, le sujet central sur lequel la gauche doit produire une rupture immédiate.

Concrètement, cela se traduit comment ?

Au-delà de l’action du gouvernement sur le Smic, cela se traduit par une grande conférence salariale : une négociation tripartite – État, syndicats, patronat – qui fasse l’inventaire de la répartition entre la rémunération du capital et celle du travail, branche par branche. Car les augmentations de salaire ne pourront pas être uniformes, sinon certaines branches à forte intensité de main-d’œuvre risquent d’être déstabilisées. Des mesures d’ordre fiscal y seront associées. L’assiette des cotisations patronales ne doit plus être en fonction de la masse salariale mais de la valeur ajoutée. Cela changera complètement la manière dont les entreprises vont payer leurs cotisations patronales. Les entreprises à forte intensité de main-d’œuvre verront le poids des cotisations diminuer. Celles qui dégagent beaucoup de valeur ajoutée, mais emploient peu de salariés, verront leurs cotisations augmenter. Une partie de ces cotisations, qui allaient à la Sécurité sociale, sera reportée vers le salaire direct. Le problème de l’économie française, ce n’est pas le coût du travail mais le coût du capital. C’est bien parce que la rémunération du capital n’a cessé d’augmenter depuis trente ans que notre économie a du mal à être compétitive, en raison du retour sur investissements qu’exigent les actionnaires. C’est ce racket à court terme sur l’économie réelle qui détruit l’emploi et empêche les investissements.

Comment faire baisser le coût du capital ?

Par des mesures pénalisant ceux qui orientent la production de richesses vers la rémunération du capital. Par exemple : aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, ou moduler l’impôt sur les sociétés en fonction des bénéfices réinvestis ou pas. Plus vous distribuez des dividendes, plus vous payerez d’impôts. Plus vous réinvestissez, moins vous en payez. Nous devons contraindre la richesse créée à aller soit vers l’investissement, soit vers les salaires, et moins vers la spéculation et les marchés financiers.

Dans votre livre Tourner la page [1], vous craignez une « gauche placebo » dont les programmes et propositions seraient « inoffensifs ». Vous déplorez que le bilan des cinq ans de gouvernement Jospin n’ait pas été tiré, ni celui du référendum européen. Mais qu’a donc fait le PS depuis dix ans ?

On ne perd pas une élection présidentielle en 2002 sans un divorce profond avec les classes populaires. Tout le monde est capable de le constater. Mais ceux qui, à gauche, vont présider à nos destinées en tireront-ils toutes les conséquences ? De cet épisode – le fait de ne pas être au second tour en 2002 –, est né un malentendu entre certains de mes camarades et le peuple. Celui-ci aurait été ingrat et ne nous aurait pas récompensés pour le bon boulot accompli. Ce malentendu s’est doublé d’un vrai divorce lors du référendum sur le traité constitutionnel européen (TCE). Si ce malentendu devait susciter un sentiment de revanche à l’égard du peuple, ce serait un problème. Si nous avons perdu plusieurs élections présidentielles et législatives, ce n’est pas par excès de générosité et d’idéal, c’est plutôt le contraire. Le néolibéralisme a produit un vrai recul de la souveraineté populaire et de la démocratie. Ce recul est mortel pour la gauche.

Vous pensez à la menace Marine Le Pen ?

Le risque, ce n’est pas Marine Le Pen au second tour, c’est Marine Le Pen en tête du premier. La concordance de la crise, de la corruption, des affaires délétères, d’une gauche qui se différencierait de la droite seulement sur les modalités de l’austérité et de la rigueur crée un boulevard pour Marine Le Pen à huit mois de la présidentielle.

La fondation Terra Nova, proche du PS, estime que celui-ci ne doit plus se préoccuper des classes populaires…

Sur plusieurs combats, comme celui pour l’égalité, nous devons rompre avec les think tanks, qui d’ailleurs ne se présentent pas aux élections. Les classes populaires ont le sentiment que leur bulletin de vote n’a plus d’impact sur leurs conditions de vie. Elles sont passées par des phases d’espérance puis de grande désillusion et d’impuissance. Notre capacité à les reconquérir dans les urnes passe par un discours clair lors des présidentielles. Mais je crois que nous n’y parviendrons qu’à partir du moment où la gauche aura gouverné, où elle sera en situation d’agir principalement pour les classes populaires. Une fracture comme celle qui existe ne se résorbe pas le temps d’une élection présidentielle.

La gauche peut-elle gagner une élection sans les classes populaires ?

Je ne dis pas ça. Nous devons construire notre campagne en direction des classes populaires. Mais la fracture démocratique est telle que les gens pensent que leur bulletin de vote ne sert à rien ! Soit ils l’utiliseront pour que le système se brise, soit ils se mettront à l’écart. La reconquête démocratique des classes populaires se fera après la campagne. Après la déclaration d’amour, les preuves d’amour.

Un futur gouvernement de gauche s’inspirera-t-il du mouvement social ?

Aucun gouvernement de gauche ne peut mener une politique digne de ce nom sans s’appuyer régulièrement sur le mouvement social et le suffrage universel. Mais il existe encore une méfiance presque instinctive de la gauche de gouvernement vis-à-vis du mouvement social, au prétexte que celui-ci serait dans la surenchère et l’irresponsabilité. Au sein du mouvement social, certains considèrent que la gauche de gouvernement a trahi. Nous devons dépasser ces postures et mettre en œuvre une sorte de Grenelle permanent. Sinon, la Commission européenne, l’oligarchie financière, les banques, les agences de notation procéderont à une normalisation néolibérale.

Cela signifie-t-il rompre avec la culture élitiste, voire oligarchique, de la haute administration française, qui imprègne aussi le PS ?

Nous avons la chance d’avoir une haute administration capable de bosser efficacement. Mais il nous faut revoir la manière dont nous formons nos élites : je n’ai pas envie de me retrouver demain devant des énarques qui m’expliquent qu’il faut baisser le coût du travail pour être compétitif. Être dans la négociation sociale permanente suppose une énergie considérable. Cela modifie l’ordre social, l’organisation du travail, la répartition des richesses. Cela suppose que l’administration et les entreprises s’adaptent, que les travailleurs s’organisent différemment, que les syndicats jouent le jeu. Avec des formes nouvelles d’exercice de la démocratie et du pouvoir qui soient très souples.

Vous faites partie de ceux qui incarnent la gauche au sein du PS. La posture d’un Jean-Luc Mélenchon ou d’une Eva Joly, qui pèsent de l’extérieur, n’est-elle pas plus utile ?

Si j’étais juste le représentant d’un courant et pas le porte-parole du PS, oui. Ce que nous disent Mélenchon et Joly est assez classique. Ce qui l’est moins, c’est que le porte-parole du PS le dise également. Sur l’essentiel, nous convergeons : sur la transition écologique et énergétique, sur un modèle de développement à repenser, sur la répartition des richesses, sur la question du libre-échange. Je pense que nous sommes plus forts dans cette configuration-là que s’il y avait un PS qui rassemblait exclusivement la gauche gestionnaire, avec en dehors tout ce qui serait la gauche certifiée conforme ou 100% pure. Le risque, c’est que les postures l’emportent sur l’intérêt général. Dans ce cas, la droite gagnera les élections. Mais j’aborde cette élection présidentielle sans appréhension, sans redouter un premier tour délétère. Car il existe un fort faisceau de convergences.

Avez-vous les moyens de construire un rapport de force face à la gauche gestionnaire ?

Cela fait vingt ans que je suis au PS et je ne me sens pas être une pièce rapportée. Oui, des choix politiques que nous avons faits dans le passé nous coûtent aujourd’hui. La conversion au libre-échange explique l’échec de la social-démocratie dans le monde. Pascal Lamy (membre du PS, ndlr) à la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), DSK à la tête du FMI… Je comprends comment ils situent leur rôle de sociaux-démocrates. Mais accepter la conversion au libre-échange et un recul de la souveraineté populaire nous amène à déclarer que notre modèle social est un luxe que nous ne pourrions plus nous payer. Le SPD allemand (Parti social-démocrate) a passé un compromis avec Angela Merkel sur le coût du travail. Et s’en mord aujourd’hui les doigts. Sigmar Gabriel, le président du SPD, en tire comme conclusion que la reconquête des classes populaires et moyennes passe par la valeur du travail, donc les salaires. Que les Allemands, qui servent de modèle à tout le monde, partagent cela est intéressant !

Vous proposez plusieurs mesures économiques et sociales, comme un salaire minimum européen ou la taxation des transactions financières. Cela nécessite des alliances européennes. Avec qui ?

Nous n’avons jamais autant travaillé avec le SPD pour préparer une échéance présidentielle. PS et SPD s’accordent sur la question du travail. Les Allemands sont également prêts à aborder la question du libre-échange, pour qu’un produit fabriqué dans des conditions de dumping environnemental et social soit taxé spécifiquement. Et ce, même sans accord multilatéral au sein de l’OMC. De la part des Allemands et des Français, c’est totalement nouveau ! Et c’est un progrès considérable. Dans l’histoire de la social-démocratie et du mouvement socialiste européen, le SPD est un grand parti qui a structuré la gauche européenne depuis le début du XXe siècle. Ce n’est pas rien. Nous avons aussi envoyé des ambassadeurs partout en Europe. Ils expliquent nos propositions en matière sociale, sur la fiscalité européenne ou sur les restrictions au libre-échange. Ils voient sur quoi nous pouvons avancer, ce qui relève d’un accord entre quelques-uns ou entre tous. Cela nous permettra de faire l’inventaire des convergences et des divergences pour ne pas être surpris ensuite. Sur ces questions sociales et fiscales, Martine Aubry et Sigmar Gabriel sont prêts à constituer un groupe de pays pionniers sans attendre l’accord des 27 États membres.

Êtes-vous favorable à la sortie du nucléaire ?

Je vous avoue que je n’en étais pas convaincu avant. Après en avoir discuté avec des militants écolos et des ingénieurs de cette filière, je pense que nous avons les moyens d’en sortir en restant souverains et indépendants. Les savoir-faire de la filière nucléaire doivent désormais être orientés vers les énergies renouvelables. Il y a aussi des emplois à créer avec le démantèlement des centrales. Le PS suivra-t-il ? Les primaires servent à cela, à regarder qui dit quoi sur le social ou le nucléaire. Les gens de gauche, qui ne voteront pas forcément socialiste au premier tour, ont pour la première fois l’occasion de choisir leur candidat de second tour – dans la probabilité où nous y serons –, celui qui sera le plus compatible avec ses orientations.

Soutenir les salaires et l’emploi passe avant la notation financière de la France, proposez-vous. Si la note de la France est dégradée, un gouvernement à dominante socialiste renoncera-t-il à emprunter auprès des marchés financiers ?

C’est bien pour cela que nous nous accordons avec les Allemands. Notamment pour que la Banque centrale européenne (BCE) puisse racheter de la dette souveraine afin que nous ne soyons pas obligés d’emprunter sur les marchés financiers au taux que ceux-ci souhaitent. Si c’était possible, la Grèce aurait aujourd’hui des taux à 2 ou 3 %. Elle pourrait résorber assez vite sa dette. Les banques privées peuvent se financer auprès de la BCE mais pas les États ! C’est quand même un système assez baroque. Aujourd’hui, il n’y a pas plus dépendant des marchés financiers et de la spéculation qu’un État européen. Tant que ce sera le cas, nous serons potentiellement étranglés. Nous n’allons pas élaborer un projet politique en nous disant : « Cela, nous ne pouvons pas le proposer, sinon ils vont nous baisser la note. » Si c’est Moody’s qui écrit le projet du PS, c’est clair qu’il ne sera pas de gauche ! Il faut casser cette mécanique. Quand on a construit par les luttes un modèle social européen, on le défend. Aujourd’hui, le fait de ne pas disposer de ces instruments nous désarme unilatéralement dans la compétition mondiale.

Recueilli par Nadia Djabali, Agnès Rousseaux et Ivan du Roy

Notes

[1Tourner la page, reprenons la marche du progrès social, Flammarion, 18€.