Développement durable

Segonzac, première ville lente

Développement durable

par Simon Gouin (Grand Format)

Marketing territorial ou vraie démarche environnementale ? En mai 2010, Segonzac a été le premier village français à être labellisé Cittàslow, un réseau international qui regroupe des villes engagées dans une réflexion sur le développement de leur territoire. Si les avancées à Segonzac apparaissent aujourd’hui limitées, les critères Cittàslow semblent orienter un peu les décisions municipales.

« J’espère que le label permettra à Segonzac de regagner un peu de vie. » Depuis trente et un ans, Patricia est vendeuse dans la quincaillerie de ce village charentais, « un endroit où l’on donne encore des conseils, pas comme au supermarché ». Depuis trente et un ans, cette habitante de Segonzac a vu de nombreux commerces fermer. Le bourg de 2 260 habitants lutte aujourd’hui pour que vienne s’installer un boucher. Alors si le label pouvait lui redonner quelques couleurs…

En mai 2010, Segonzac est en effet devenue le premier village français labellisée Cittàslow. En français, « ville lente ». « Les Segonzacais préfèrent “une ville où il fait bon vivre” », prévient tout de même Colette Laurichesse, adjointe au maire de Segonzac, en charge du dossier. La lenteur que leur évoquent les dizaines de journalistes de passage au village, depuis l’obtention du label, les agace. Elle les renvoie au cliché qui voudrait que les Charentais soient plus lents que les autres. Et à l’image de la cagouille, le surnom local de l’escargot, parfois associé aux Charentais… et emblème de Cittàslow !

Manque de visibilité

Pourtant, à Segonzac, qui est la capitale du cognac, seul le processus de fabrication du breuvage suggère la lenteur. Comptez entre 25 et 30 ans de vieillissement pour qu’il délivre toutes ses saveurs. Ce qui fait dire à Colette Laurichesse que « le label s’inscrit finalement dans la continuité de l’histoire de notre territoire ». Pour le reste, au milieu des vignes, Segonzac semble être un village ordinaire. Avec ses portes closes, ses commerces fermés et ses deux départementales qui traversent le bourg. Un territoire touché par la désertification rurale, qui cherche comment mettre en valeur ses atouts touristiques.

« Nous avions un manque de visibilité, raconte Colette Laurichesse. Il fallait faire parler du village par rapport aux qualités que l’on avait. » L’office de tourisme étudie alors les différents labels qui existent. Cittàslow retient leur attention. Près de 150 villes, réparties principalement à travers l’Europe, forment ce réseau fondé en 1999 en Italie, dans le prolongement de la philosophie de Slow Food. Son objectif est « d’ancrer les communes dans l’espace et dans le temps, en réaction à un développement urbain déconnecté des réalités humaines, culturelles et environnementales »  [1]. D’après la charte, une Cittàslow doit nécessairement comprendre moins de 50 000 habitants. Concrètement, pour en faire partie, il faut, par exemple, développer les zones piétonnes, favoriser les commerces de proximité et les marchés locaux, développer les transports « doux », lutter contre le bruit, exclure les lieux de restauration rapide et les OGM, etc.

Chaufferies au bois

« On a regardé la cinquantaine de critères, se souvient l’adjointe au maire. Et on s’est rendu compte qu’on répondait déjà à nombre d’entre eux. » Dans la catégorie « environnement », Segonzac met, entre autres, en valeur ses trois chaufferies au bois qui alimentent notamment les salles des fêtes, la médiathèque, le groupe scolaire, le gymnase, le presbytère et la maison de retraite. Plus banal : le tri sélectif, la déchetterie, les composteurs privés, la station d’épuration « sur roseaux ».

Pour l’urbanisme, les espaces verts privilégient les espèces locales et peu exigeantes en eau, ainsi que l’arrosage au « goutte-à-goutte ». Dans le centre de la ville, un petit parc a aussi été créé. « Pour les produits locaux, nous avons mis en place un convivium Slow Food pour promouvoir la consommation de produits locaux », explique Colette Laurichesse, qui souligne également l’existence, depuis quinze ans, de la Maison de la Grande Champagne, une boutique associative qui vend les produits d’une vingtaine de producteurs locaux, essentiellement viticoles. Autre atout mis en avant : l’aménagement d’une zone piétonne qui permet d’éviter, sur un tronçon, les routes passagères, et redynamise une partie de la ville.

Une nouvelle exigence, qui oriente les décisions des élus

Mais démontrer ses atouts ne suffit pas à obtenir le label. Il faut aussi pointer les domaines qui peuvent être améliorés. À Segonzac, il y a la circulation routière. Des pistes cyclables devraient être créées. La limitation de la vitesse est aussi murmurée : « Entre 50 et 30 km/h, c’est quoi la différence ?, s’interroge Colette Laurichesse. C’est là que l’on rejoint la notion de temps de Cittàslow. Et depuis l’obtention du label, on a beaucoup évolué sur ce qu’on est capable d’accepter pour une vie meilleure. »

Finalement, Segonzac a obtenu la note de 55,3 sur 100, et contre une adhésion de 600 euros, elle est devenue Cittàslow. « Entrer dans ce label, c’est avoir la volonté de travailler l’ensemble de ces critères », précise Colette Laurichesse. Une nouvelle exigence, qui oriente les décisions des élus. Quand il faut choisir ce qui remplacera la station d’épuration du village, en fin de vie, la municipalité envisage la technique des « jardins filtrants ».

« Il y a peu de vie et de solidarités ici »

En plus d’avoir réussi à faire parler d’elle, Segonzac apparaît donc engagée, grâce à ce label, dans une démarche de recherche d’une meilleure qualité de vie. Comme dans la plupart des villes Cittàslow, le projet est essentiellement porté par la municipalité et son maire, Véronique Marendat, conseillère régionale du Nouveau Centre. C’est là une des différences fondamentales avec le réseau des villes en transition, qui se caractérise par une approche « bottom up », à partir des habitants. Ces deux réseaux ont néanmoins pour point commun la volonté d’être apolitique. Il est interdit de lier le label à un parti politique, explique l’adjointe au maire. Même si à l’origine, les maires des quatre villes italiennes – Bra, Greve in Chianti, Positano et Orvieto – qui se sont réunis, en 1999, pour signer la charte Cittàslow, étaient de gauche.

Du côté de la population, les avis semblent partagés. « C’est vrai qu’il y a un art de vivre, note une habitante. Mais je ne suis pas certaine qu’il fasse plus bon vivre à Segonzac que dans un petit village des alentours. » Comme cette habitante, beaucoup jugent le label peu justifié, tout en saluant la démarche et en espérant qu’elle donne plus de vie au territoire. « L’idée de base est bonne, mais le problème, c’est qu’ici on n’a pas la même culture que les Italiens, explique un ouvrier agricole, au comptoir du café du village. Les plus gros producteurs de cognac vivent à Segonzac. Leurs propriétés sont immenses mais fermées. Il y a peu de vie et de solidarités ici. »

En un an, à part les visites fréquentes des journalistes, la vie n’a pas vraiment changé à Segonzac. « Il y a peut-être un peu plus de touristes », estime Patricia, la vendeuse de la quincaillerie. Quant aux agences immobilières de la région, elles ajoutent le label aux annonces correspondant au village. Quelques commerçants ont aussi contacté la municipalité pour s’installer à Segonzac. En juillet 2011, rien n’avait encore abouti.

Mais, comme le dit Colette Laurichesse : « L’escargot avance lentement, mais ne recule jamais. » Et Segonzac est désormais suivi par la Bastide-d’Armagnac, un village de 750 habitants, dans les Landes, devenu le 9 avril 2011 la deuxième Cittàslow française.

Simon Gouin

 Le site de l’organisation Cittàslow

Notes

[1p. 79, Vivre plus lentement, Un nouvel art de vie, Pascale d’Erm.