Énergies

Et si on construisait des parcs éoliens coopératifs ?

Énergies

par Nolwenn Weiler

Et si la production d’énergie était écologique, démocratique, et participative ? Dans le Pays de Redon, entre Bretagne et Pays de la Loire, une aventure unique en France est menée : celle de la construction d’un parc éolien coopératif. Ce projet, fondé sur des savoir-faire nouveaux, pourrait aujourd’hui être diffusé et transféré sur d’autres territoires. Se réapproprier les questions énergétiques, confisquées par l’État et les experts d’EDF, c’est possible. C’est ce qu’on apprend, depuis 10 ans, dans le pays de Redon. Reportage.

Au départ, il y a Michel Leclercq, prof de dessin retraité, et Eric et Laure Vaillant, maraîchers dans le pays de Redon (Bretagne et Pays-de-Loire). Ecolos, tous les trois, ils veulent installer une éolienne sur leur terrain, pour produire de l’énergie propre. « Cela s’est avéré compliqué et très fastidieux », se souvient Michel. « Et si on montait plutôt un parc éolien collectif ? », se sont-ils demandé. Cela s’est avéré encore plus compliqué. Mais la plus-value, c’est une aventure collective hors normes. Avec un projet ancré dans un territoire, et maîtrisé de bout en bout par la population locale. « Nous avions envie de réunir les gens autour d’un projet constructif, raconte Michel. Nous voulions nous battre pour quelque chose, alors que nous sommes plutôt habitués à nous battre contre... »

La réflexion collective commence en septembre 2002. Avec une trentaine de personnes. « Dès l’accord de la mairie sur le principe d’un parc éolien coopératif, nous faisons une réunion publique  » précise Michel. « Nous tenions à ce que les riverains pilotent le projet et aient leur mot à dire, qu’ils participent au financement. Pour qu’il y ait des revenus locaux, car l’impact principal d’un parc éolien est local. » Deux zones sont identifiées pour implanter des éoliennes : Sévérac-Guenrouët en Loire-Atlantique et Béganne, dans le Morbihan. Pour encadrer les récoltes de fonds et le financement des études de faisabilité, l’association Éoliennes en pays de Vilaine (EPV) est créée. Nous sommes en mai 2003.

Une entreprise pas comme les autres

Arrive ensuite le temps des études pour l’obtention de permis de construire. Une entreprise sous statut SARL, Site à Watts, voit le jour. « Cette structure était plus adaptée aux financements de ces études qu’une association, » précise Michel. Le capital de cette SARL pas comme les autres regroupe des adhérents d’EPV, mais aussi trois CIGALES (Clubs d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Épargne Solidaire) réunissant 60 personnes. Le Conseil général de Loire Atlantique est également entré au capital de la SARL par l’intermédiaire d’une Société d’économie mixte (SEM).

Parmi les « cigaliers », Christophe Baron, agriculteur. « Intégrer ce projet, c’était logique pour moi. J’ai un rapport fort à l’environnement », explique ce producteur de lait bio à Allaire, dans le Morbihan. Il y a trois ans, il a posé des panneaux photovoltaïques sur les toits de sa ferme. Et possède un « échangeur à plaques » dans sa salle de traite, qui lui permet de produire de l’eau chaude, en récupérant la chaleur du lait. Convaincu des projets collectifs, il fait partie d’un Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) depuis toujours. « Je me suis rendu compte, avec EPV et Site à Watts, que c’est une chance d’avoir ce statut juridique, pour qui veut jouer collectif en agriculture. » Pour l’éolien, c’est largement plus compliqué ! Il faut inventer un statut pour un projet collectif jamais pratiqué jusque-là.

D’énormes difficultés administratives

Aux savoir techniques de cette filière industrielle qu’il faut acquérir, les passionnés d’EPV ont dû ajouter l’apprentissage des outils financiers et juridiques, pour d’encadrer leur projet hors normes. Et quand on leur demande de récapituler les difficultés de ce vaste chantier, qui dure depuis 8 ans, salariés et bénévoles répondent comme un seul homme : « elles sont administratives ! » Charlène Suire, embauchée en mai 2010 par EPV, vient du secteur éolien privé, où elle a travaillé pendant deux ans. « Dans le secteur éolien, tout est long, explique-t-elle. Les études de faisabilité, les négociations avec les propriétaires, l’obtention des permis de construire. Sans compter que les textes de loi évoluent constamment. Mais quand on veut en plus faire participer une centaine de particuliers à l’exploitation d’un parc éolien, les contraintes juridiques sont encore pire ! »

Le Grenelle II, qui impose un minimum de cinq éoliennes par parc, favorise la centralisation et les grands projets plus difficiles à faire accepter par le voisinage. Il n’est pas favorable à l’éolien coopératif. Rien à voir avec nos voisins allemands ou danois. Chez eux, l’éolien s’est lancé sur ce modèle coopératif. C’est le point de départ de la filière. Les outils financiers sont donc au point depuis longtemps. « Au Danemark, 20% du parc doit être en participation citoyenne, explique Pierre Jourdain, salarié de Site à Watts. Il y a une obligation légale. En Ontario, au Canada, il y a des tarifs de rachat pour entreprises préviées et pour projets citoyens. Chez nous, il y a un frein culturel évident. Les projets participatifs ne sont pas habituels en France, d’autant moins en production d’énergie, pour laquelle on a l’habitude de tout déléguer à EDF. » Cela permet pourtant une réflexion collective et une appropriation par les citoyens des questions énergétiques. Sans être expert pour autant.

Une troisième structure pour la gestion des parcs

Les investisseurs (privés et publics) et riverains ont insisté pour financer un parc de leur territoire. Une troisième structure a dû être montée, pour la construction et l’exploitation des éoliennes. « La création de deux Sociétés par actions simplifiée (SAS) permet de relocaliser les projets. Cela permet en plus à Site à watts de garder sa compétence en développement de parcs éoliens », note Pierre Jourdain. A Béganne, la SAS qui gèrera les 4 éoliennes de 2 mégawatts, s’appellera Bégawatts⋅

Pour que tout cela voit le jour, il a fallu une motivation quotidienne ! Aux conseils de l’Union régionale des sociétés coopératives de production (SCOP) se sont ajoutés une persévérance quasi sans faille de l’équipe et un vrai soutien de la population. Qui a toujours été tenue informée. Des bonnes et moins bonnes nouvelles. « Des réunions publiques sont organisées très régulièrement, explique Charlène Suire. Même quand le projet patine. Pour que les gens sachent pourquoi. » Le Zeff, un bulletin d’information, est édité régulièrement. Au printemps dernier, un autre rouage est venu compléter ces allers-retours entre porteurs de projet et population : le comité de suivi. Composé d’une petite dizaine de riverains et animé par Charlène Suire, ce comité est chargé d’assurer une information de proximité aux riverains inquiets, ou non, du lancement des travaux.

« Gouvernance industrielle coopérative »

L’équipe d’EPV, Site à Watts et Bégawatts est maintenant lancée dans le dernier et plus grand défi de cette aventure : la gouvernance d’un projet de type industriel à plusieurs, particuliers, Cigales, collectivités locales, Caisse des dépôts,... Sachant que le budget est de 12 millions d’euros, dont 25% de fonds propres. Le reste est emprunté, à une banque assez visionnaire et confiante pour accepter. Ni EPV, ni Site à Watts, ni Bagawatts ne peuvent faire d’appel public à épargne. Un outil participatif et financier a donc été créé : Énergie partagée.

Cette « plate-forme de l’éolien citoyen » est une structure nationale qui va récolter l’investissement citoyen sur des projets d’énergies renouvelables. Le site de Béganne pourra, entre autres, en bénéficier. Mais pour associer plus de 99 personnes à une société (ce qui est le cas du projet de parc éolien coopératif), il faut un visa de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Énergie partagée attend ce visa pour pouvoir se lancer son appel à épargne populaire. L’objectif ? Que cette façon de produire de l’énergie « démocratique et écologique » se diffuse. Et que la France, champion mondial de l’énergie nucléaire, se mette enfin à imaginer un autre modèle énergétique.

Nolwenn Weiler

Photo : CC Stéphane Demolombe