Propagande

Qui paiera pour les coûts cachés du nucléaire ?

Propagande

par Jean-Claude Pierre

Face aux retombées de la catastrophe de Fukushima, les spécialistes de la communication du nucléaire sont déjà à l’œuvre, déployant des messages subliminaux ou rationnels. Pour Jean-Claude Pierre, porte-parole du réseau Cohérence pour un développement durable et solidaire, il est urgent de lutter contre cette propagande et d’engager un vrai débat démocratique sur nos choix de civilisation.

Le discours officiel est connu : la France a fait le choix du nucléaire, il n’est pas question de le remettre en cause ; cela relève du dogme !
Pour justifier cette position, trois types d’arguments sont avancés, on est même tenté de dire, sont assénés : le nucléaire assure notre indépendance énergétique, il est la panacée dans la lutte contre les
émanations de CO2 et, suprême justification, il permet de produire l’électricité au moindre coût…

Ces arguments, n’en doutons pas, vont être systématiquement et adroitement utilisés pour combattre les retombées sociales de la catastrophe de Fukushima. D’ores et déjà, nous pouvons en être
certains, des spécialistes de la communication sont à l’œuvre. Subliminaux ou rationnels, les « messages » qu’ils élaborent ne vont pas tarder à interférer avec les débats qui s’avèrent si nécessaires. Des débats qu’une démocratie digne de ce nom s’honorerait d’organiser avec recul, dans la transparence et la dignité, loin de toute forme de propagande.

Des citoyens fatalistes, résignés ou consentants

Propagande… le mot n’est pas trop fort, dès lors que nos autorités n’hésitent pas à parler du « choix de la France », alors que, s’agissant du nucléaire, aucune décision d’importance n’a jamais été soumise à
l’approbation des représentants de la nation. Depuis les décisions du gouvernement Messmer en 1972, seuls les « barons de l’atome » [1] ont eu voix au chapitre.

Nos députés et nos sénateurs s’en sont d’ailleurs bien accommodés et, récemment, à l’occasion du « Grenelle de l’environnement », le nucléaire, du seul « fait du Prince », a d’emblée été écarté des débats !
Ces accommodements avec les principes mêmes de la démocratie contribuent à aggraver l’abstentionnisme, car ils amènent nos concitoyens à considérer que les choix les plus lourds de conséquence sur leur vie leur échappent ; que ces choix sont devenus l’apanage d’une élite qui s’est érigée en caste.

Mais, disons le aussi, fatalistes, résignés ou consentants, une majorité de nos concitoyens s’est également accommodée de ce choix qui flattait l’orgueil national, assurait le confort et… permettait le
gaspillage qui est, on le sait, l’une des clés de voûte de notre société de consommation.

Qui payera pour les coûts cachés du nucléaire ?

Tous les arguments mis en avant par les tenants du nucléaire méritent bien évidemment d’être repris un par un, mais en soulignant, en préambule, qu’avec cette énergie, les risques technologiques n’ont
pas seulement changé de degré : ils ont surtout changé de nature.

Qui nous dira jamais la face cachée de tous les coûts, y compris des coûts externes, du nucléaire ? Les coûts de la sécurité civile et ceux du « maintien de l’ordre », ceux de nos engagements diplomatiques et
militaires destinés à protéger nos sources d’approvisionnement en uranium, en particulier en Afrique…, les coûts sur des centaines et des centaines d’années de la gestion des déchets radioactifs, les coûts de
démantèlement des installations et la manière dont ils ont été provisionnés ?

Qui nous dira, aussi très exactement, la manière dont les sinistres sont couverts et ce qui, in fine, reviendra à la charge de la collectivité lorsqu’il s’agira de réparer un sinistre, dans ses dimensions sanitaires,
sociales, économiques, écologiques… ?

L’exigence d’un débat sur nos choix de civilisation

Bien d’autres conséquences « externes », mais pourtant bien réelles, du choix du tout nucléaire devraient aussi être mises en débat : nous pensons en particulier à celles relatives aux brevets qui ne seront
jamais déposés et aux emplois qui ne seront jamais créés dans les énergies renouvelables, faute d’y avoir consacré suffisamment de crédits de recherche. Alors que, en Allemagne où d’autres choix ont été effectués, 260.000 emplois y dynamisent déjà l’économie et que l’on en prévoit très officiellement 500.000 en 2020.

Les enjeux sont considérables et ils devraient justifier un sursaut démocratique. Ils posent, de manière systémique et globale, le problème de l’acceptabilité sociale des choix scientifiques et
technologiques qui déterminent tout à la fois notre relation à la planète et nos relations avec l’humanité et son futur.

Le débat n’est pas nouveau mais, après Tchernobyl et Fukushima, il se pose avec encore plus d’exigence. Il nécessite l’engagement sans réserve de toutes les forces morales et spirituelles du pays car,
en définitive, c’est bien d’un choix de civilisation qu’il s’agit.

Jean-Claude Pierre, porte-parole du réseau Cohérence

Notes

[1Peter Springle et James Spigelman, Les barons de l’atome, Seuil, 1982