Extrême droite

Dieudonné, ou Tartuffe et les racistes

Extrême droite

par Eros Sana, Rino Della Negra

Pour ceux qui l’ignoreraient encore, l’humoriste et militant Dieudonné est un fervent supporter de l’extrême droite. Sa récente interview dans le journal Rivarol, le 11 mars dernier, permet de mieux cerner les contradictions d’un personnage toujours prêt à défendre la liberté d’expression de ses amis... et oubliant, qu’en France, antisémitisme, négationnisme et racisme ordinaire sont punis par la loi.

« Tartuffe : Personnage de théâtre faux dévot, hypocrite et profiteur. »

Dieudonné était interviewé le 11 mars dans Rivarol [1], hebdomadaire d’extrême droite fondé en 1951. Ce journal est issu du courant d’extrême droite « de la contre-révolution » et se revendique du pétainisme. Il s’est illustré à sa création par des campagnes de défense des collaborationnistes condamnés à la Libération. Dieudonné tente de nous faire croire depuis quelques années que lui et ses amis – dont un nombre conséquent de racistes et de fachos – n’ont pour seuls ennemis que les « sionistes ». Dieudonné, le patron du Théâtre de la Main d’Or, est devenu l’allié et l’ami de ceux qui luttent contre « le lobby » (sioniste), quitte à oublier les déclarations et les actes racistes que ses « amis » ont perpétré à l’encontre des Noirs et des Arabes.

Le journal dans lequel il est interviewé a été condamné par la justice en 1993 pour avoir, entre autre, comparé les Maliens vivant en France à un cancer. Ce cancer aurait été infligé par les « lobbys » qui ont la France sous leur botte ; mais, bon pour les personnes qui orbitent autour de ce journal, les Maliens, ça reste un cancer quand même. La directrice d’alors, Marie-Luce Wacquez, a été jugée coupable le 8 mars 1994 pour la publication d’une caricature raciste réalisée par Chard à l’encontre de la communauté noire. Elle n’est plus en charge du journal, mais son successeur Jérôme Bourbon revendique fièrement son héritage politique dans des émissions de radios et articles [2]. Ces informations n’ont rien de confidentiel et Dieudonné ne peut les ignorer. Tout comme il ne peut ignorer les dessins racistes de Chard, l’illustratrice du journal, qui feraient presque passer Tintin au Congo pour une œuvre de critique de la colonisation [3].

Les amis négationnistes de Dieudonné

Dieudonné a toujours déclaré ne pas s’intéresser au « révisionnisme historique », terme employé pour escamoter le mot « négationnisme ». Dans l’interview, il reconnaît pourtant être devenu un proche de Robert Faurisson. Son « copain Robert » comme il l’appelle. Ce « copain » lui aurait ouvert les yeux sur la « fausseté » des crimes contre l’humanité des manuels édités par Fernand Nathan (donc, à ses yeux, par des Juifs) et lui a fait découvrir de nouvelles perspectives sur l’histoire. Il y a quelques années, Dieudonné disait ne rien partager avec Faurisson. Il voulait simplement défendre la « liberté d’expression » et la performance artistique du « professeur ». Aux yeux de Dieudonné, « l’infréquentable Robert » est un personnage de théâtre. Dieudonné affirmait même être choqué de la négation, par ce dernier, du rôle de l’île de Gorée dans le commerce des esclaves [4]. Aujourd’hui, c’est « Touche pas à mon pote Robert », alors que celui-ci continue à tout faire pour relativiser les massacres perpétrés par les Européens.

Une vision historique partagée par Monseigneur Williamson, évêque catholique traditionaliste excommunié par Jean Paul II en raison de ses déclarations antisémites et négationnistes. Dieudonné parle de la valeur et du courage de cet homme d’Église qui lutte contre « le lobby » et la police de la pensée. Le « christique Williamson », exemple de résistance pour Dieudonné, déclarait le 2 avril 2000 que les Blancs avaient de droit divin la supériorité sur les Noirs et pouvaient piller leurs terres avec la bénédiction du Bon Dieu. Dieudonné, désormais expert autoproclamé dans la parole de Jésus et la connaissance des saintes Écritures, appréciera l’interprétation de la Bible de Williamson : « Depuis Noé, les fils de Japhet sont destinés, à de amples exceptions près, à commander aux fils de Cham et à occuper les tentes des fils de Sem. » Les Blancs étant les descendants de Japhet, les Noirs ceux de Cham et les Arabes et les Juifs ceux de Sem. C’est dans l’ordre naturel, même s’il y a des exceptions dont Dieudonné doit faire partie [5] Pour les autres, ils seront sans doute assimilés à un « cancer » dont il faut s’occuper.

Dieudonné se déclare également solidaire de Vincent Reynouard qu’il présente comme un père de famille nombreuse emprisonné pour ses idées. Vincent Reynouard est un négationniste qui œuvre à redorer la svastika du Troisième Reich : Hitler était un philanthrope et l’occupation allemande dans les années 1940, c’était du tourisme. Pas de massacre à Oradour-sur-Glane, pas de déportations... Tout ça, ce sont des mensonges du « lobby » qui embête le copain Robert, les grands hommes d’Église et les comédiens talentueux.

Dieudonné loue le courage de Bruno Gollnish

Vincent Reynouard est un ancien membre du Parti nationaliste français et européen (PNFE), un groupuscule néonazi dont la devise était « France d’abord ! Blanche toujours ! ». Le fait d’arme glorieux des camarades de Vincent Reynouard est d’avoir plastiqué un foyer de travailleurs immigrés Sonacotra en décembre 1988. Une seule personne sera condamnée à 18 ans de prison, d’autres bénéficieront d’un non-lieu. Des pièces du dossier se sont opportunément égarées grâce au zèle de curieux syndicalistes policiers, liés au PNFE. L’attentat a fait un mort et 12 blessés, facilement oubliés par Dieudonné.

Si pour les proches de Dieudonné, l’Île de Gorée n’existe plus et la Shoah est inventée par Fernand Nathan, des crimes comme l’attentat meurtrier contre le foyer Sonacotra ou la mort de Brahim Bouarram et d’Ibrahim Ali (assassinés en 1995) ne méritent pas d’être pris en considération. Les crimes racistes commis par les nervis du FN – et légitimés par les idées diffusées par les groupuscules d’extrême droite – sont aussi oubliés.

Dieudonné déplore le virage islamophobe de Marine Le Pen, et loue le courage de Bruno Gollnisch, qui était soutenu par Rivarol pour la succession de Jean-Marie Le Pen à la tête du FN. Lui aussi affronte le « lobby », et c’est tout ce qui compte. Les déclarations de Gollnisch sur le fait qu’il ne doit pas y avoir une mosquée de plus construite en France sont aussi « révisées », effacées.

Le Front national est généreux avec ses serviteurs

Un des principaux soutiens de Bruno Gollnisch est Yvan Benedetti, élu Front National à la mairie de Vénissieux. La pensée de celui-ci est synthétisée dans l’éditorial du journal « Droite Ligne » : « S’ils nous disent que toute l’Arabie est une mosquée sur laquelle ne peut se laisser construire aucune église, nous leur répondons que toute la France est une cathédrale sur laquelle on ne peut laisser construire la moindre mosquée ». Quand Dieudonné va au tribunal, c’est toujours pour soutenir une personne qui a dit du mal des Juifs ou qui a soutenu les négationnistes et leurs propos. C’est désormais son unique combat. Bien qu’il passe son temps à affirmer l’inverse, il ne défend plus les petites gens, il ne défend plus les classes populaires.

Il y a 15 jours a débuté le procès des victimes de l’incendie du boulevard Auriol. 17 morts, dont 14 enfants, ont péri dans la nuit du 26 octobre 2005. L’enquête n’a pas pu donner de réponse, alors que certains indices indiqueraient que l’origine de l’incendie serait criminelle. Dieudonné avait soutenu les familles au début. Et là, plus personne : ses nouveaux amis n’aiment pas plus les Noirs et les Arabes, que les Juifs. On ne rompt pas avec ses sponsors. Le racisme, ça rapporte. Et le Front National sait se montrer généreux avec ses serviteurs [6]

Jean-Marie Le Pen pour parrain

On ne rompt pas non plus avec sa famille. Le comédien n’a jamais reconnu que le baptême de sa fille a été célébré par un prêtre intégriste. Il a toujours nié que le parrain de sa cadette était Jean-Marie Le Pen. Ses soutiens, par le biais du site « La Banlieue s’exprime », ont expliqué qu’il s’agissait de malveillance de la part des médias « sionistes » comme Rue 89, avides de médire sur « l’artiste ». Sur scène, Dieudonné a expliqué qu’il s’agissait d’un coup de bluff. Il l’a aussi nié face à ceux qui s’inquiétaient de cette proximité avec Le Pen. Dans l’interview donnée à Rivarol, Dieudonné finit par avouer que ce parrainage et ce baptême ont bien eu lieu et qu’ils ont une dimension politique et spirituelle « de lutte contre le sionisme » dans le cadre d’un front uni… Il scelle ainsi sa fidélité en confiant la responsabilité spirituelle de sa fille à Jean-Marie Le Pen.

En lisant l’hebdomadaire Rivarol, on comprend que pour les lecteurs de ce journal, les morts du boulevard Vincent-Auriol ne sont pas les victimes d’une tragédie sur fond de spéculation immobilière, mais 17 Noirs en moins sur le sol de la France blanche.

Eros Sana et Rino Della Negra