Mouvement social

Début de contestation étudiante à l’université de Dakar

Mouvement social

par Agnès Rousseaux, Jean de Peña

À Dakar, des étudiants et lycéens viennent de lancer un ultimatum au président Abdoulaye Wade, et commencent une grève de la faim. Ils sont plus de 500 bacheliers à ne pas avoir été inscrits à l’université, faute de place. Un mouvement qui émerge sur fond de grogne sociale face à un État de plus en plus défaillant.

Photos : © Jean de Peña / Collectif à vif(s)

« L’exemple tunisien n’est pas à écarter si l’État ne réagit pas dans les 72 heures ». L’ultimatum est lancé par un groupe d’étudiants qui parcourent les amphithéâtres du Forum social, pour annoncer le démarrage d’une grève de la faim « illimitée ». La raison de leur colère : quelques centaines d’élèves bacheliers qui n’ont pas été « orientés », c’est-à-dire inscrits à l’université. Comme Famara Amaye Coly, 22 ans, originaire de Casamance. Tout juste bachelier, il attend depuis trois mois son inscription en fac de géographie. Comme les autres, il a fait trois choix d’orientation après le bac. Mais aucun département de l’université n’a répondu. Avec quelques jeunes dans sa situation, il s’est installé dans un couloir de l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar pour entamer une grève de la faim.

Ils sont une soixantaine à mener cette action, explique Aliou Goudiaby, étudiant de 26 ans en master de géographie, « mais 500 jeunes sont concernés, sur les quelques dizaines de milliers qui sont inscrits à l’université ». Pour Aliou, difficile de connaître les raisons de cette non-inscription. « Il n’y pas de critères, c’est totalement arbitraire. Ce ne sont pas les premiers arrivés, ou ceux qui ont eu des meilleures notes, qui sont inscrits. On ne sait pas comment est fait ce choix. » Une certitude : l’université peine à suivre l’augmentation croissante du nombre d’étudiants. « On a construit plus de 50 nouveaux lycées dans le pays, mais les facs n’ont pas suivi. » Du coup, l’université manque de moyens. « Les amphithéâtres sont pleins à craquer, certains profs n’ont même pas de place pour écrire. Il faut se lever à 6h pour avoir une place dans un cours à 8h, s’indigne Aliou. Beaucoup d’étudiants sont assis par terre, d’autres doivent prendre des notes debout pendant 2 heures. Et quelquefois, on n’entend même pas ce que dit le prof. »

« Nous sommes en tractation depuis trois mois, témoigne Cheikh Coly, 24 ans, membre d’un petit syndicat étudiant. Nous avons rencontré le ministre de l’Éducation, le médiateur et le recteur de l’Université. Mais nous n’avons toujours pas de réponse. » Les bacheliers en attente d’inscription ont déjà trois mois de cours de retard. Et les examens commencent bientôt. « Mais l’État sénégalais fait la sourde oreille, s’emporte Diouma Sene, 22 ans, étudiante en lettres et sciences humaines et l’une des leaders du mouvement. « Comme le Forum social est un espace de liberté, on veut en profiter pour dire aux citoyens du monde entier qu’une injustice est commise ici. » Pour elle, pas question de lâcher l’affaire. Chaque année, des jeunes sont privés d’inscription à l’université. « Tous ceux ici, en grève de la faim, sont issus du bas-peuple. Parce que nous sommes fils de paysans, habitant loin de Dakar, nous ne sommes pas orientés. Par cette grève de la faim, nous avons choisi de nous faire violence nous-mêmes, pour ne pas être violents envers les autres. »

Pendant le Forum social, Diouma a participé à un atelier sur le droit à l’éducation. « Ça m’a beaucoup touché, c’est un droit qui n’est pas respecté ici. C’est pour cela que nous allons aller jusqu’au bout de notre combat ». À côté d’elle, un représentant de l’université est pris à partie par un groupe d’étudiants. Des secouristes emmènent un des grévistes. Aliou intime à chacun de rester couché, « parce qu’une grève de la faim, ça ne se fait pas debout ». Une discipline que certains semblent avoir du mal à intégrer. Quelques-uns affirment être inspirés par les exemples tunisiens et égyptiens. « En Tunisie, il y a eu une immolation, explique calmement Diouma. S’il faut mourir, on le fera. » Autour d’elle, les jeunes acquiescent : « Être orientés ou mourir ».

Agnès Rousseaux

Photos : © Jean de Peña / Collectif à vif(s)