Ecologie populaire ?

Seine-Saint-Denis : l’île de la tentation participative

Ecologie populaire ?

par Nolwenn Weiler

Lovée dans un bras de Seine au nord de Paris, l’Île-Saint-Denis est une commune populaire qui s’essaie à l’écologie. Elue en 2001, la majorité verte, issue du monde associatif, expérimente un mode de gestion participatif. Entretien avec le maire, Michel Bourgain, auteur de « Maire vert en banlieue ».

Photo : projet d’éco-quartier fluvial à l’Île-Saint-Denis

Basta! : Comment présenteriez vous l’Île-Saint-Denis à des personnes qui n’y sont jamais allées ?

C’est un bijou ! Une île en plein milieu de la ceinture urbaine francilienne. Avec une dimension privilégiée : nous ne sommes que 7.000 habitants. C’est une commune populaire, où près de 30% de la population active est sans emploi. C’est une commune monde, avec 85 nationalités, ce qui constitue un gisement d’enrichissements mutuels très importants. C’est aussi une commune imprégnée par 50 ans de culture communiste [1]. Chez les habitants, cela a produit une inclination à négliger l’initiative personnelle pour se reporter, en cas de problèmes, sur les institutions communales, qui elles-mêmes se disaient bloquées par les décisions prises en plus haut lieu. Privés de pouvoir sur leur propre vie, les gens ont tendance à se replier, se décourager et à rejetter sur l’autre leur amertume. On devient anti-autre.

Comment redonner du pouvoir d’agir dans ce contexte ?

Pour redonner aux gens du pouvoir sur leur quotidien, et du goût à vivre ensemble, ils doivent découvrir tout l’intérêt qu’il y a à s’emparer collectivement des problèmes. Nous, les élus, sommes issus du milieu associatif, dans lequel nous nous sommes impliqués pendant quinze ans avant d’arriver à la tête de la mairie. Nous connaissons assez bien la population, même si elle est mouvante. Nous avons toujours à cœur d’impulser un esprit de coopération, d’apprendre à trouver des solutions ensemble. Mais on ne peut pas envisager de mettre les gens en mouvement pour résoudre des questions complexes si nous n’avons pas, avant, apporté de réponses à des questions concrètes. Si on veut penser au long terme, il faut pouvoir aborder les questions du court terme.

C’est quoi, du court terme, pour un élu municipal ?

Par exemple, des gens qui se plaignent du peu de cas fait aux piétons par les entreprises chargées des travaux en cours du tramway. « Il manque une marche ici, là il y a un trou, etc. » Nous avons réuni les habitants et avons réalisé une expertise d’usage très précise : à quels endroits manque-t-il une marche ? Une planche ? Nous avons corrigé cela. Et cela a révélé qu’il y avait un manque de respect plus général envers les piétons. Nous avons donc constitué un petit groupe pour étudier cela avec les entreprises.

Et une question complexe ?

Celle des ponts qui relient l’île-Saint-Denis à la terre ferme. Et qui devaient être détruits, selon le schéma prévu par la RATP. Attachés à ce témoignage de patrimoine historique (l’architecte, a aussi réalisé le pont de Bir-Hakeim dans Paris), nous avons refusé la destruction. Nous avons monté un atelier public d’urbanisme et de déplacement, ouvert aux conseilleurs municipaux, aux habitants, et aux techniciens. Notre bataille a duré cinq ans. Mais nous avons trouvé des solutions : un partage de la voirie entre tram, voitures et vélo, avec priorité au tram. Cette préservation des ponts permet d’économiser plusieurs millions d’euros. Pour gagner, il faut être patient, déterminé et inventif. Et mettre du monde dans le coup. Nous avons aussi rappelé, à cette occasion, que ce qui vaut pour Paris vaut pour la banlieue : à Paris, personne n’aurait pensé casser un pont.

« La démocratie participative, ce n’est pas seulement solliciter l’avis, écrivez-vous. C’est aussi mobiliser les compétences pour concevoir et réaliser des projets avec les moyens dont on dispose. » Comment avez-vous procéder pendant la mobilisation pour sauver les ponts ?

Lors d’une des réunions publiques organisées sur le sujet, des ingénieurs des ponts et chaussées s’étaient déplacés. L’un d’eux affirmait, du haut de son savoir, qu’il serait impossible de consolider les arches métalliques des ponts. Un soudeur, présent dans la salle, a affirmé le contraire. Il pratiquait tous les jours cette technique soi-disant impossible ! C’était un excellent moment. Ce qu’une tête ne sait pas, on peut le trouver dans dix têtes. Le résultat est plus riche. Et les gens se l’approprient, parce qu’ils ont été impliqués dans la résolution du problème.

Comment concilier préoccupations écologiques d’un côté, milieux populaires et culture ouvrière de l’autre, des aspects souvent opposés ?

Prenons la question de l’alimentation : 20% de l’alimentation scolaire est désormais en bio. Et on démarre, cette année, l’alimentation végétarienne. Les gens sont très contents, et très fiers, que leurs enfants mangent bio, même s’ils ne le font pas à la maison. Nous appréhendions un peu la suppression de la viande. Pour l’ouvrier, la viande reste importante, c’est une référence. Nous réalisons un gros travail d’accompagnement avec un nutritionniste, pour partager avec la population les bienfaits de l’alimentation végétarienne, et les méfaits d’une certaine alimentation carnée pour la planète et pour la santé. La santé, pour les ouvriers, c’est leur bien principal. Parce qu’ils n’ont rien d’autre. Et que sans, ils ne peuvent pas travailler. Pour dégager l’argent nécessaire à cette amélioration de qualité [2], nous avons assuré une meilleure gestion, et réorganisé le travail. Par exemple, on ne met plus le pain sur la table avant de servir. Sinon, les enfants se gavent de pain et ne mangent plus rien ensuite. Ce choix permet en plus aux agents de cuisine, qui sont aussi des habitants de la commune, de reprendre goût au travail !

La qualité du « vivre ensemble » s’est-elle améliorée ?

Le rapport à l’étranger s’est amélioré. Pour nous, même si l’intégration ne se fait pas d’emblée, l’étranger est une richesse avant d’être un problème. En 1988, le FN réalisait un score de 18%. Aujourd’hui, il arrive à peine à 10%, c’est-à-dire en deçà des taux moyens des communes voisines.

Existe-t-il des choses que vous feriez différemment ?

Pour pouvoir bénéficier d’aides publiques à la rénovation urbaine, nous avons déposé un premier dossier. Il a été refusé parce que pas assez ambitieux : il n’y avait pas assez de démolition. Pour être dans le canon de l’orthodoxie, nous avons donc prévu, dans le second dossier, la démolition d’une barre. Nous avons voulu aller trop vite, et avons insuffisamment développé la concertation. Cela nous a valu une levée de boucliers de la population. En plus, ce second dossier a été refusé. Il ne faut pas travailler dans la précipitation, même pour les problèmes urgents ! Et ne pas céder aux diktats de la politique d’État, souvent déconnectée du réel.

Difficile en ce moment...

Notre volonté de responsabilisation, des élus et des habitants, nous a fait éluder les dépendances que nous avions vis-à-vis des politiques d’État, par exemple. Nous n’avons pas assez dit que nous ne pouvions pas tout... Qu’il fallait desserrer les contraintes locales, libérer la créativité populaire, mais aussi mener des combats plus globaux, ce que nous faisons depuis la rentrée contre la xénophobie montante ou pour le droit à la retraite.

Recueillis par Nolwenn Weiler

Michel Bourgain,« Maire vert en banlieue », Éditions Les petits matins, 10 euros.

Notes

[1Le PCF gagne la mairie en 1947 et la dirige pendant 54 ans.

[2Les revenus des habitants de la commune sont inférieurs de près de moitié à la moyenne de ceux des ménages franciliens